#1 [↑][↓]  24-09-2018 15:59:07

Nardeus
Pilote confirmé
Date d'inscription: 29-11-2009
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[Réel] 25 octobre 1988 Aéroport de Montpellier : notam...

La scène se déroule pendant un vol en VFR de nuit. Il est environ 22 heures 30. L’appareil est un Cessna 172 immatriculé F-GDSH avec trois personnes à bord : un instructeur et deux stagiaires qui passent leur test final. C’est une navigation triangulaire « Marseille - Avignon - Montpellier – Marseille » avec un changement de pilote prévu à Montpellier. L’instructeur est Jean Bossy que tous les passionnés connaissent bien pour être le créateur de la « Cartabossy ».



UN NOTAM CONTESTABLE



Tout commence deux heures plus tôt au bureau de piste de Marignane… Lorsque Jean et ses deux stagiaires déposent les quatre plans de vol obligatoires, ils découvrent un Notam qui « interdit l’atterrissage en VFR de nuit aux avions non basés à Montpellier». En fait, à l’époque, il existe un conflit au niveau du bureau de piste de Fréjorgues. L'aérodrome étant ouvert H24, les personnels du bureau de piste veulent continuer à travailler H24 tandis que la direction estime que les personnels de la TWR suffisent pour gérer le trafic la nuit. L’arrivée de « petits » avions en VFR augmenterait « un peu » leur charge de travail. Les petits pilotes sont donc considérés indésirables pour une raison qui n’a aucun rapport avec la sécurité aérienne. Situation ubuesque dans laquelle il est obligatoire de déposer un plan de vol pour aller à Montpellier mais où il est interdit d’atterrir parce que les contrôleurs ne veulent pas prendre en charge le message d’arrivée. Le problème, c’est que Jean Bossy pilote professionnel/IFR, instructeur bénévole et président de l’Aéroclub Marseille-Provence est aussi ingénieur au Service Technique du Centre Enroute de Marseille Contrôle. Autant dire qu’il connaît plutôt bien la réglementation aéronautique. À ses yeux, le Notam émis par Montpellier est abusif et discriminatoire. Par ailleurs, il n’a aucune envie de pénaliser ses élèves car il est toujours difficile de réunir toutes les conditions pour faire passer des tests : la météo, la disponibilité de l’avion et celle des stagiaires. Avant de partir, Jean prend donc la décision de braver délibérément le Notam. Il n’est pas normal d’interdire un atterrissage parce qu’on refuse de traiter par téléphone les simples messages départ et arrivée qui sont la pierre angulaire des plans de vol VFR.

C’est dans ces conditions que le Cessna décolle de Marignane…



ARRIVÉE EN VUE DE MONTPELLIER…



La première branche du trajet se déroule tout à fait normalement… La visibilité est excellente. Il n’y a pas un nuage et pas la moindre une turbulence. C’est une nuit parfaite pour le VFR. Ariel Beresniak a effectué un premier atterrissage à Avignon puis il a redécollé et mis le cap vers Montpellier. Tout se passe bien ! C’est à partir du moment où le Cessna arrive à la verticale de la source Perrier à Vergèze que les choses vont devenir plus « compliquées ». Voici la retranscription des dialogues qui se sont tenus cette nuit-là entre Jean Bossy et le contrôleur de l’approche. Il est environ 22 heures 45.

Voici la conversation audio entre l atc et l'instructeur avec la retranscription des dialogues ci dessous
https://instaud.io/2IHx



(F-GDSH) : Montpellier Sierra Hôtel, bonsoir.

(Contrôleur) : Sierra Hôtel, Montpellier bonsoir…

(F-GDSH) : Fox Golf Delta Sierra Hôtel, Cessna 172, provenance Avignon, destination vos installations… nous venons de passer Uchaud à 3 000 pieds QNH 1015.

Bien évidemment, le contrôleur affiche d’emblée la couleur… Il a effectivement reçu le plan de vol du Cessna mais il ne veut pas entendre parler d’un VFR de nuit sur son aéroport :

(Contrôleur) : Sierra Hôtel vous maintenez 3 000 pieds et je vous rappelle et pour info, il n’y a pas de VFR possible avec atterrissage et décollage à Montpellier.

Après quelques secondes de silence, Jean Bossy décide d’afficher clairement ses intentions. Il se trouve à une quinzaine de kilomètres de l’aéroport et il maintient son cap. Le ton est ferme :

(F-GDSH) : On a quand même l’intention de venir. Pour l’instant, on se dirige vers les installations.

À cet instant, il est probable que le contrôleur ne réalise pas que le pilote refuse de céder. Sa voix est donc plutôt tranquille.

(Contrôleur) : Maintenez 3 000 pieds et je vous signale un Fokker 27 qui décolle, niveau 120 en montée vers Vienne.

Jean a le trafic en visuel et cela ne lui pose aucun problème car il est loin.

(F-GDSH) : Oui, en virage à gauche sur la 13, c’est ça ?

(Contrôleur) : Oui, sur la 13, il vire à gauche.

(F-GDSH) : Merci, on reste à 3 000… il pourra nous indiquer lorsqu’il passe 2 000 et 4 000 ?



PASSAGE EN VENT ARRIÈRE POUR LA 13 !



Un Air France décollee, le contrôleur le rappelle quelques secondes après que les roues ont quitté le sol :

(Contrôleur) : 1046, décollé à 03 et je vous signale un trafic… un trafic en VFR de nuit 3 000 pieds… actuellement dans le… nord-nord-est des installations pour 6 nautiques.

(AF 1046) : Oui on a visuel, on a les phares allumés.

(F-GDSH) : On a également en vue le trafic au décollage.

(Contrôleur) : Vu Sierra Hôtel, vous me rappelez verticale 3 000.

(F-GDSH) : Montpellier Sierra Hôtel, on a croisé le trafic, pour descendre à 1 000 pieds vent arrière.

(Contrôleur) : Négatif Sierra Hôtel, vous transitez 3 000, vers Perpignan ensuite.

Alors Jean réplique d’une voix ferme :

(F-GDSH) : On va pas à Perpignan, on va chez vous, on vous demande de passer à 1 000 pieds en vent arrière main gauche pour la 13…

Mais le contrôleur l’interrompt au milieu de son message. Le ton est dur :

(Contrôleur) : Je vous signale que vous êtes en infraction !

(F-GDSH) : …pour se poser et on ne reconnaît pas la validité du Notam.

Moment de silence un peu lourd. Cette fois, le contrôleur a compris et il ne s’attendait pas à ce genre de résistance.

(Contrôleur) : Oui… et je vous signale que vous êtes en infraction !

Mais Bossy ne cherche nullement à fuir ses responsabilités. Il réplique très calmement :

(F-GDSH) : OK.

Et il poursuit sa descente vers la vent arrière gauche.

(Contrôleur) : Je peux pas vous donner l’autorisation d’atterrir.

(F-GDSH) : Oui, je demande des informations de trafic seulement donc.

Bien évidemment, la tension monte. Il y a un nouveau silence. Puis, comme annoncé, le Cessna arrive au début de la branche vent arrière 13.

(Contrôleur) : Vous êtes sur un aérodrome contrôlé, je vous signale.

(F-GDSH) : Oui, c’est bien ça, donc, je demande de noter que nous nous poserons sans votre autorisation. Mais je ne tiens pas à couper la route à quelqu’un.

(Contrôleur) : Alors, je vous signale un trafic IFR qui arrive de Mende pour un atterrissage piste 31.

L’instructeur reste aussi calme que s’il s’agissait d’un vol normal.

(F-GDSH) : Bien compris, on passe à 1 000 pieds vent arrière.

Comme il n’y a pas de réponse, Bossy décide d’insister lourdement. Il faut absolument forcer le type à parler, ne serait-ce que pour s’assurer que la VHF de l’avion n’est pas en panne...

(F-GDSH) : Montpellier Sierra Hôtel, vous pouvez me donner le QNH ?

Cette fois, le contrôleur cède. Le ton n’est pas aimable mais il parle !

(Contrôleur) : QNH Montpellier 1016, Fox Echo 1015, le vent au sol est du 320 degrés pour 6 nœuds et conditions CAVOK.

(F-GDSH) : Et vous avez la 31 en service ?

(Contrôleur) : La 31 est en service…

Comme Bossy l’a précisé quelques instants plus tôt, il n’a aucune intention de gêner un autre trafic mais il veut atterrir coûte que coûte. Les droits des pilotes d’avions légers doivent être respectés tout comme ceux des gros. La navigation en VFR de nuit est autorisée en France et aucun bureau de piste ne peut l’interdire sans une raison valable. Donc il insiste.

(F-GDSH) : On se reporte vent arrière 1 000 pieds pour la 31 main droite.

Mais, de nouveau, le contrôleur l’ignore. Il s’adresse au trafic qui vient de décoller…

(Contrôleur) : Air France 1046, appelez Marseille 128.85, au-revoir.

(Air France 1046) : 128.85 au-revoir…

Bien évidemment, ce dernier a suivi l’altercation depuis le début. Avant de quitter la fréquence, il ajoute d’une voix ironique :

(Air France 1046) : Bonjour l’ambiance !



SILENCE RADIO !



Bossy fait signe à son élève de virer pour ejoindre la finale. Puis, imperturbable, il prend le micro :

(F-GDSH) : Montpellier Sierra Hôtel, en base pour la 31.

Pas de réponse… le contrôleur a opté pour la stratégie du silence. Qu’importe, l’instructeur poursuit son approche.

(F-GDSH) : Montpellier Sierra Hôtel, en dernier virage, on veut savoir si vous avez du trafic pour la 31 immédiatement.

Toujours pas de réponse… Visiblement, le gars tente de le déstabiliser en le poussant à la faute. Il espère ainsi l’amener à renoncer. C’est mal connaître Jean. Le bras de fer continue :

(F-GDSH) : Montpellier Sierra Hôtel comment me recevez-vous ?

Silence inquiétant !

Par chance, quelques secondes plus tard, un autre trafic appelle sur la fréquence :

(F-PR) : Montpellier Approche de Fox Papa Roméo ?

(Contrôleur) : Romeo, Montpellier bonsoir.

(F-PR) : Oui bonsoir, on n’a pas été lâché par Marseille et on les reçoit plus 123.8 ?

(Contrôleur) : Affirmatif Papa Romeo, ils me l’ont signalé. Vous pouvez poursuivre la descente passant SIMAR vers 3 500 pieds au QNH 1016.

(F-PR) : Oui, vers 3 500 pieds 1016.

Les balises lumineuses de la 31 sont maintenant juste devant le C172.

(F-GDSH) : Montpellier Sierra Hôtel en finale, comment me recevez-vous ? (Contrôleur) : Hôtel, je vous reçois 5.

(F-GDSH) : Merci, on se pose et on dégage première à gauche puis changement de pilote et on attendra ensuite.

Le contrôleur ne répond pas mais Bossy ne cède toujours pas. Le Cessna poursuit sa finale et atterrit. Puis il vire à gauche par « Victor » et s’arrête sur le taxiway. Tout est calme sur l’aéroport. Pas le moindre mouvement.

(F-GDSH) : Montpellier Sierra Hôtel piste dégagée.

Les portes du Cessna s’ouvrent rapidement et les stagiaires changent de place. Pendant ce temps-là, le trafic IFR s’intègre dans le circuit.

(F-PR) : Montpellier, Fox Papa Romeo, on va se reporter en vent arrière droite pour une approche à vue.

(Contrôleur) : Reçu Papa Roméo, vous pouvez descendre à votre convenance, numéro un pour l’atterrissage, rappelez finale.

(F-PR) : Ok, numéro un, bien reçu.

La permutation étant maintenant terminée, Bossy reprend son micro. Il sait pertinemment que le contrôleur va continuer à l’ignorer mais cela n’a pas d’importance. Il va assurer la sécurité en travaillant comme s’il était en auto-info.

(F-GDSH) : Montpellier Sierra Hôtel on roule pour le point d’attente 31.

Pas de réponse…

(F-PR) : Vent arrière droite Papa Roméo.

(Contrôleur) : Papa Roméo, autorisé à l’atterrissage 31 droite vent 340 degrés pour 6 nœuds.

Bossy se place au point de manœuvre 31 juste au bord de l’étang de Mauguio et il attend tranquillement que le trafic se pose.

(F-PR) : courte Papa Roméo, finale.

(Contrôleur) : 340 degrés 4 nœuds.

Dès que l’avion a les roues au sol, il rappelle :

(F-GDSH) : Montpellier Sierra Hôtel, je m’aligne 31 s’il n’y a pas d’autres avions en finale.

Toujours pas de réponse… Le contrôleur ne s’adresse qu’à l’avion qui vient d’atterrir pour le guidage au sol.

(Contrôleur) : Papa Roméo, prochaine à gauche et vous roulez jusqu’au parking.

(F-PR) : Oui ok, on va aller au hangar d’Air Lit.1

Quelques secondes plus tard, le trafic quitte la fréquence. Comme il n’y a plus la moindre trace de trafic, Bossy appelle une dernière fois la tour.

(F-GDSH) : Montpellier Sierra Hôtel, je décolle piste 31 et virage à droite, le cap sur Lunel, montée vers 3 000 pieds.

(Contrôleur) : Réglementairement, vous n’êtes pas autorisé à décoller.

(F-GDSH) : Oui , comme pour l’atterrissage !

Le stagiaire met les gaz et décolle dans la nuit claire. Six minutes plus tard, le Cessna est en route pour Marseille et Bossy contacte Montpellier pour la dernière fois.

(F-GDSH) : Montpellier Sierra Hôtel, on a atteint 3 000, on quitte la fréquence, on passe avec Istres, au-revoir.

(Contrôleur) : Au-revoir...



Dès qu’il est de retour à Marseille, Jean Bossy décide de se préparer pour la suite des événements. Car il est bien conscient que cette action quasi « militante » ne restera pas sans conséquence. Il se dit que la meilleure défense, c’est l’attaque… Dès le lendemain, il demande à Montpellier de lui fournir l’enregistrement des conversations qui se sont tenus sur la fréquence. Bien évidemment, on lui oppose un refus catégorique ! Il demande alors à la DAC… Refusé ! Il fait alors un courrier très explicatif à la DGAC. Encore refusé… Jean Bossy ne se laisse pas impressionner. Obstiné, il décide de saisir la « Commission d’Accès aux Documents Administratifs » qui vient tout juste d’être créée. Et, cette fois, les choses bougent ! L’affaire remonte jusque dans les hautes sphères de l’état et il finit par obtenir une réponse étonnante : la CADA lui adresse la copie d’une lettre adressée par le Premier Ministre au Ministre des Transports et qui exige que le pilote reçoive l’enregistrement des conversations de Montpellier. C’est la loi ! Quelques jours plus tard, un petit colis arrive par la poste. À l’intérieur, il y a une cassette audio : elle contient la totalité de l’enregistrement demandé.

Aucune infraction relevée, aucune demande d’explication envoyée.

Dernière modification par Nardeus (24-09-2018 16:07:14)


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#2 [↑][↓]  24-09-2018 17:17:11

Rémy
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Re: [Réel] 25 octobre 1988 Aéroport de Montpellier : notam...

Excellent récit ! Tu m'as tenu en haleine !

Après, sur le fond, je ne saurais quoi dire donc je n'irai pas de mon petit commentaire.

Dernière modification par Rémy (24-09-2018 17:33:07)


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#3 [↑][↓]  24-09-2018 17:43:16

Armand42
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Re: [Réel] 25 octobre 1988 Aéroport de Montpellier : notam...

Bravo Nardeus !!!!
Tout est reporté par écrit (ça t'a fait du boulot) et tu joins le fichier audio ... Impec !!!
C'est super !!!! eusa_clap

Dernière modification par Armand42 (24-09-2018 17:43:42)

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#4 [↑][↓]  24-09-2018 19:37:40

vbazillio
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Re: [Réel] 25 octobre 1988 Aéroport de Montpellier : notam...

Armand42 a écrit:

Tout est reporté par écrit (ça t'a fait du boulot) et tu joins le fichier audio ... Impec !!!

"Extraits d’un article publié dans PILOTER sous la plume de JP Otelli" :)

Source : un mail de Jean Bossy sur la PilotList, tôt ce matin ou le "Forum des Pilotes Privés" (http://www.pilotes-prives.fr/viewtopic. … t&sd=a) par exemple.

Dernière modification par vbazillio (24-09-2018 19:44:16)


http://status.ivao.aero/R/138779.pngVincent B.
Visitez mon Blog "Du Virtuel au Réel" et ma chaine Youtube.

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#5 [↑][↓]  24-09-2018 20:16:37

Nardeus
Pilote confirmé
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Re: [Réel] 25 octobre 1988 Aéroport de Montpellier : notam...

Armand42, j'ai reçu cela d'un collègue aujourd'hui, je me suis dit que c'était bien de partager ici ;-) Je n'ai en effet pas écrit tout cela lol ^^


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