#1 [↑][↓]  03-05-2017 19:00:10

philouplaine
Copilote
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[Réel] Un article de Louis Blériot en 1930 sur les avions du "futur"

Un article de Louis Blériot à un magazine américain en 1930
Rubrique : Archéologie Aéronautique


Cher(e)s ami(e)s,
Voici la traduction d’une lettre de Louis Blériot, le fameux pionnier de l’aviation,  adressée à un magazine américain spécialisé dans l’Aviation en 1930. Blériot y présente ses idées sur ce que seront les futurs avions transocéaniques (comme on disait à l’époque). Cet article a été publié dans le numéro de janvier 1930 du mensuel américain Aeronautics.
Bonne lecture,
Philippe

La couverture du numéro d'Aeronautics (avec un design étonnamment moderne!)
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Voici la traduction de l'article:


Un Article et les Perspectives de Louis Blériot

Monsieur Blériot, un pionnier légendaire de l’aviation et, maintenant, le directeur d’une grande entreprise française, Blériot-Aéronautique, donne son avis sur ce que seront, d’après lui, les avions transocéaniques du futur.


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Louis Blériot (1872-1936), en juillet 1909 (© Dover Library).

Suresnes (Seine), le 30 août 1929,
Aeronautics
608 S. Dearbon Street
Chicago Illl.

Messieurs,

Je viens de recevoir aujourd’hui votre lettre du 15 août dernier dans laquelle vous me demandiez de vous écrire un article sur mes impressions du passé et du futur de la Navigation Aérienne. Voilà maintenant un quart de siècle que je me consacre chaque jour à cette science, et ce serait se perdre dans des discours bien trop longs que de vouloir parler de tout. De plus, étant très occupé par mes activités, j’ai peu de temps à vous consacrer.

Cependant, je souhaiterais vous communiquer des informations que j’ai gardées et qui ont joué un grand rôle dans l’histoire de l’aviation. C’est un grand plaisir que de souligner que, dès le tout début de cette aventure, les Etats-Unis et la France se sont donnés la main  pour fournir au monde entier ce nouveau moyen de transport.

C’est en1908 que j’ai rencontré Wilbur Wright. J’ai assisté à tous ses essais lors de son séjour en France. J’ai dès le départ admiré son avion et la manière ingénieuse avec laquelle il le contrôlait en vol. Cependant, je n’approuvais pas tous ses choix.

Dès 1907, en effet, j’avais construit le Blériot VII, une machine monoplan qui jusqu’à présent peut être donnée comme le prototype de tous les monoplans actuels. Je vous fais parvenir quelques photographies d’époque du Blériot VII.

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Le Blériot VII.
Texte manuscrit de L. Blériot : "Cet appareil muni d’un moteur Antoinette de 50 HP était beaucoup trop rapide pour le mauvais pilote que j’étais à cette époque. Après en avoir cassé trois je dus refaire un appareil plus petit, le Blériot XI, muni d’un moteur de 20 à 25 HP Anzani, et beaucoup moins fin, moins rapide. C’est le Blériot XI qui me permit de faire réellement mon apprentissage de pilote".


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Le Blériot XI. Imaginé et conçu par Louis Blériot fin 1908, avion sur lequel il effectua la première traversée de la Manche en juillet 1909. Construit de 1909 à 1931 par le constructeur français Blériot Aéronautique. Commercialisé à plus de 800 exemplaires, il est le premier avion construit en série de l'Histoire de l'Aviation.

En juillet 1909, je franchissais la Manche et en août la compétition du premier vrai meeting aérien de Reims, la Grande Semaine d’Aviation de la Champagne, furent l’occasion pour le grand public de s’intéresser enfin de très près à l’Aviation. Il faut hélas bien reconnaître qu’aucun de ces deux événements n’a permis de faire avancer la technique aéronautique.

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Plus tard, en 1911, un événement d’un tout autre genre permis d’intégrer la notion de l’équilibre des forces dans la technique aéronautique, je veux parler des expériences de Pégoud. C’est Adolphe Pégoud qui, le premier, réussit un looping, c’est lui le premier qui réussit à voler sur le dos (NdT : ces figures de vol furent effectuées pour la première fois par A. Pégoud en 1913, pas en 1911. En cela il est le fondateur de l’acrobatie aérienne). Il tenta bien d’autres techniques de vol audacieuses comme la mise au point de la « descente en feuille morte ». C’est, d’ailleurs, bien dommage qu’on ait abandonné ses recherches car, après tout, la descente en feuille morte contenait très certainement le secret de l’utilisation optimale de la portance de l’aile dans les manœuvres de descente.

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Timbre à l’effigie d’Adolphe Pégoud (1889-1915).

Puis vint la Grande Guerre de 1914, qui fut l’occasion d’une très forte demande d’avions ce qui consolida l’industrie aéronautique naissante et qui fut, pour moi, l’occasion de dessiner le Spad, l’avion qui nous donna la suprématie aérienne.

Enfin, quelques années plus tard, j’ai eu le grand honneur d’accueillir Charles Lindbergh, un enfant des Etats-Unis, qui, amplifiant ma traversée transmaritime de 1909, traversa l’Atlantique le premier montrant ainsi au monde la grandeur de l’Aviation Américaine.

Je pourrais continuer ainsi à évoquer encore et encore telle ou telle gloire du passé de l’Aviation. Mais je préfère, maintenant, vous entretenir de ce que je considère comme un futur très probable. Le passé est là pour enseigner, à ceux qui savent les lire, les chemins à éviter et ceux à suivre.

A mon avis, c’est dans le domaine de la vitesse que les plus grands progrès de la locomotion aérienne dans l’avenir verront le jour. Et ces progrès seront incroyables selon nos critères d’aujourd’hui. C’est donc dans le domaine de la vitesse des avions que nous devrions centrer nos recherches.

La vitesse ne doit pas être un danger, et ce n’est pas des sortes d’avions-éclair qui s’élèvent dans les airs après quelques mètres de roulage dont nous partirons dans nos cogitations. Laissons ces avions-éclair au domaine des courses de vitesse.

En ce moment, la comparaison entre les avions et les dirigeables reste d’actualité. L’épopée toute récente du Dr. Hugo Eckener sur son Graf Zeppelin autour du monde provoque une admiration sincère. Tout, pour le moment, semble même indiquer que le dirigeable est en avance sur l’avion pour les vols long-courrier. Et, cependant, je suis convaincu de ne pas être dans l’erreur en pensant qu’on assiste au crépuscule des dirigeables comme moyens de transport, tant ils sont lents et le resteront face à des avions qui se déplaceront de plus en plus vite. Et cela restera vrai, même si le profil des Zeppelin est modifié et qu’on réduise, comme il se dit, leur élongation d’un ratio de 10 à un ratio de 8, voire même de 7. Il sera toujours pratiquement impossible de faire évoluer un dirigeable à une grande vitesse tant leur conception même est incompatible avec des vents violents. Enfin, le plus-léger-que-l’air exigera toujours une structure 8 à 10 fois plus grande que celle d’un avion pour transporter chaque passager.

C’est dans le domaine du rayon d’action que le dirigeable est aujourd’hui un maître incontesté des airs en frappant notre imagination. Cependant, là aussi, l’avenir pourrait en décider autrement. La plus grande distance entre deux points sur le globe terrestre est de l’ordre de 20 000 km. Il n’est pas obligatoire de parcourir cette distance sans escale !

On pourrait aussi croire que le dirigeable est un moyen privilégié de locomotion aérienne parce qu’il peut faire du vol stationnaire. C’est en effet, pour le moment, réservé aux seuls ballons. Mais il ne le peut qu’au prix de grandes difficultés et dans une atmosphère paisible.

Même à ne considérer que ces deux avantages, il faut bien reconnaitre que c’est au prix d’inconvénients majeurs. Les dirigeables sont incroyablement fragiles, l’hydrogène dont ils son plein est hautement inflammable surtout par temps d’orage, ils sont incroyablement volumineux et, pour les entreposer, il faut construire des hangars d’une taille colossale. Les voyages en dirigeables sont donc plus lents, plus dépendants des conditions atmosphériques et plus dangereux que les voyages en avion. La supériorité qui reste aux dirigeables est celle des voyages au-dessus des océans.

Si l’augmentation du rayon d’action des avions prend encore quelques temps pour sa mise au point, la solution pourrait très bien être, dans un avenir proche, d’équiper les océans de stations d’atterrissage formant une succession d’escales intermédiaire reliant les deux côtes à travers un océan. Je vois bien, pour ces stations des îles artificielles flottantes.

J’ai une très grande confiance dans le succès que remporteraient ces stations flottantes pour l’utilisation d’avions sur les longues routes transocéaniques. Ces îles pourraient s’inspirer fortement du système proposé par Armstrong. Quand, dans quelques années, l’infrastructure de ces îles aérodromes, espacées les unes des autres de 500 à 600 km, aura vu le jour, les dirigeables auront définitivement perdu tout intérêt. L’avion, bien plus rapide et bien moins sensible aux variations atmosphériques, établira alors immédiatement sa suprématie sur le dirigeable.

Quelles seront les caractéristiques de ces îles-escales flottantes ? Elles devront d’abord être nombreuses et elles seront connectées entre elles par la télégraphie sans fil. Elles seront de plus équipées de moyens radiogoniométriques. Si bien qu’un avion circulant dans la zone d’une île soit toujours en contact TSF avec cette île. Si jamais, l’île qu’il doit rejoindre est subitement prise dans une tempête ou dans un épais brouillard, alors l’avion pourra sans peine dévier sa trajectoire pour rejoindre l’île accessible la plus proche, en se repérant sur les signaux radiogoniométriques propres à chaque île qui seront consignés dans des tables particulières à bord de chaque avion.

Les avions qui voleront d’un continent à l’autre en allant de l’une de ces îles à l’autre, devront être très robustes. J’ai passé beaucoup de temps, ces dernières années, à étudier le genre d’avion qu’il faudrait pour ces transports transocéaniques.

J’ai dessiné plusieurs avions qui répondraient à cette utilisation. En mettant de côté délibérément l’hydravion, qui ne peut pas facilement voler au-dessus des terres, j’ai choisi un modèle d’avion à train rentrant pour atterrir sue la piste des îles-escales flottantes et équipé de plusieurs moteurs encastrés dans une aile épaisse, dans laquelle le mécanicien navigant pourrait se déplacer pour aller en plein vol réparer un moteur défaillant.

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Un essai d’avion transocéanique quadrimoteur par le Bureau d’Etude de Blériot Aéronautique.

Dans l’éventualité, où l’avion serait obligé d’amerrir, j’ai dessiné une cabine passager spéciale en forme de coque de bateau qui serait détachable du reste de la carlingue pour pourvoir servir alors d’embarcation de secours capable de résister aux grains violents et à une mer démontée. Cette cabine-bateau est équipée de ballasts se remplissant automatiquement d’eau pour une flottaison optimale, et de tout le nécessaire, TSF et nourriture, pour la survie des passagers et de l’équipage qui y auront trouvé refuge. La cabine-bateau se détacherait du reste de l’avion par un mécanisme enclenché par la dernière personne à y trouver place.

Quelle vitesse pouvons-nous raisonnablement espérer qu’un tel avion atteindrait ? Pour l’heure, je pense qu’une vitesse de 200 km/h est tout à fait envisageable dans un avenir proche. Auquel cas, les Etats-Unis ne seraient plus qu’à trente heures de voyage de la France ! Une façon d’améliorer les choses serait de prévoir une cabine isolée où la pression resterait identique quelle que soit l’altitude de vol. Dans ce cas, l’avion pourrait voler plus haut sans inconvénient pour les passagers. Or l’altitude est un gros avantage pour les grandes vitesses, puisque chaque millier de mètres gagnés permet d’accroître la vitesse à puissance motrice équivalente. Ce qu’on peut désormais envisager grâce aux compresseurs.

Et, donc, plus un avion s’élèvera haut dans les airs, et plus le nombre d’heures que j’avais indiqué pour un vol Paris-New York diminuera. On peut d’ores et déjà envisager que dans un avenir assez proche, la vitesse des avions transocéaniques aura été fortement augmentée à la fois par l’augmentation de l’altitude du vol et par l’augmentation de la puissance motrice. On peut alors conjecturer qu’un vol Paris-New York pourrait ne durer qu’une douzaine d’heures ! Il suffira de prendre un avion à cabine isolée et dont l’altitude de croisière serait de 13 000 mètres.
Quand tout ceci sera-t-il une réalité ? Tout dépend des efforts financiers et techniques des différents pays décidés à entrer dans cette course. Je suis convaincu que si les Etats-Unis et la France s’entendent pour travailler en commun sur ce projet, il sera une réalité d’ici dix ans.

Je vous prie, Messieurs, de recevoir l’assurance de ma respectueuse considération,
Très cordialement vôtre,
Louis Blériot

P.S. J’ai dans ce texte intentionnellement laissé de côté les conjectures de certains prophètes qui prévoient pour un avenir proche des vitesses de 500 km/h et même plus en utilisant des moteurs-fusées plutôt que l’hélice. Je voulais rester dans le domaine du possible et des réalisations futures certaines aujourd’hui.

Dernière modification par philouplaine (03-05-2017 19:08:30)


ouaf ouaf ! bon toutou !!

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#2 [↑][↓]  09-05-2017 19:12:48

Avro
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Re: [Réel] Un article de Louis Blériot en 1930 sur les avions du "futur"

Bonjour,

Merci pour le partage.


Emmanuel

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