#1 [↑][↓]  09-06-2017 21:21:07

philouplaine
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[Réel] Archéo Aéro - Les Frères Wright, 25 ans après

Les Frères Wright, 25 ans après
Rubrique : Archéologie Aéronautique


Archéologie Aéronautique? Comme l'archéologie,on fouille ... dans les vieux numéros des revues spécialisées d'il y a 80-90-100 ans, pour dénicher des choses intéressantes (j'espère) à raconter ...

Chers amis,
Voici un titre qui peut paraître un peu étrange, puisque nous allons fêter les 114 ans du premier vol des frères Wright … Alors, pourquoi seulement 25 ans après ? Tout simplement parce que le magazine spécialisé américain Popular Aviation dans son  édition de décembre 1928, et donc 25 ans après, proposait un numéro spécial dédié aux frères Wright. J’ai pensé que vous seriez sans doute intéressés à lire la traduction de cet article … c’est chose faite ! On y apprend tout ce que les frères Wright ont apporté à l’Aéronautique, c’est étonnant vous verrez.
Bonne lecture !
Philippe




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La couverture, très Art-Déco, du numéro de décembre 1928 consacré aux frères Wright.


The Wright Brothers
Popular Aviation de décembre 1928 page 11 et suivantes



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En-tête de l’article original. En haut, photographie mondialement célèbre du premier vol du Flyer le 17 décembre 1903 sur la plage de Kitty Hawk en Caroline du Nord.  En-dessous, Orville (avec moustache, 1871-1948) et Wilbur Wright (1867-1912).

En décembre 1901, la revue littéraire américaine North American Review publiait un article du Vice-Amiral George W. Melville, l’ingénieur général de l’US Navy d’alors, intitulé : « L’ingénieur et le problème de la navigation aérienne ». Aujourd’hui, 27 ans plus tard, il est difficile de s’imaginer que la très grande majorité des personnes informées de l’époque pensait totalement impossible qu’un homme puisse un jour voler sur une machine plus lourde que l’air. Et, pour eux, c’était une certitude, cela n’arriverait jamais. Ils parlaient tous de « chimères intellectuelles ».

Voici ce que l’Amiral Melville écrivait dans son article : « Dans les temps anciens, il n’était pas rare que des hommes réfléchis et savants se laissent aller aux délices de l’imagination. Mais ces mêmes hommes s’ils revenaient aujourd’hui constatant, à la lumière de l’Histoire, à quelle folie la nature humaine a débauché une noble vérité, alors ils réaliseraient tous les dangers d’obscurcissement de toute sagesse et de toute grandeur qu’il y a à abuser de l’imagination et à se prélasser à l’excès dans ses plaisirs. Cette folie est tout particulièrement manifeste dans les sciences naturelles quand elle se complait à jouer avec la Mécanique Appliquée pour imaginer ce qu’ils pourraient tous les deux produire. A côté de l’impossibilité prouvée de la chose, on ne peut trouver de meilleur exemple des dégâts d’une imagination débridée que dans les essais répétés de l’Homme à imiter les oiseaux. Aucun autre rêve de la Mécanique Appliquée n’a reçu autant d’efforts avec si peu de retour que les essais des hommes à voler. Jamais on n’a vu un domaine de recherche aussi résolument s’éloigner constamment de son but que celui-ci : voler dans les airs. Ce ne sont là que questions légitimes passées systématiquement sous silence, problèmes réels desquels on se défile, opposition permanente du vouloir aux faits, prendre ses rêves pour la réalité et la réalité démontrée et en faire la publicité, faire passer des échecs patents pour des succès et des succès splendides, et enfin mettre en avant constamment le ballon ou tout autre machine volante en passant sous silence leurs nombreux défauts et leur manque total d’utilité. Nonobstant la masse considérable de données et de connaissance accumulées par la vraie physique, les efforts inlassables de physiciens sérieux qui, ces dernières années, ont soumis le problème de la navigation aérienne à des méthodes de recherche sans cesse modernisées, on peut désormais conclure sans équivoque et sur la base de la connaissance scientifique que l’espoir qu’un jour la navigation aérienne ait une utilité commerciale ou même militaire est autant un rêve aujourd’hui qu’il y a des siècles. » Un peu plus loin dans son article, il écrit ceci : « Une machine volante qui sortirait tout d’un coup des cendres de l’imagination de ces rêveurs serait autant réelle que peut l’être un Phénix ! »

Le professeur et mathématicien américain Simon Newcomb se posait la question suivante en 1903 : « Un navire aérien est-il pour demain ? » Il répondait lui-même à cette question dans un article publié par le mensuel américain McClure’s Magazine, trois mois seulement avant le premier vol des frères Wright sur la plage de Kitty Hawk. Il citait alors certaines lois de la physique qui, d’après lui, étaient en totale opposition avec le vol humain. Il rappelait que pour tout objet manufacturé quel qu’il soit, le poids varie comme le cube de la taille, quand elle et doublée, et la surface comme le carré.  «  On peut alors comprendre quel est le nœud de la difficulté dans cette théorie du vol humain. S’il existait un métal suffisamment rigide et en même temps suffisamment léger pour qu’un feuille de ce métal d’un millimètre d’épaisseur et de vingt mètres carrés de surface reste aussi rigide qu’une planche et qu’en même temps, cette feuille puisse supporter le poids d’un moteur d’assez petite puissance, alors on peut légitimement envisager qu’une telle feuille pourrait enlever un homme dans les airs. Mais, en l’absence d’un tel métal, on peut raisonnablement prédire que la première machine volante sera faite par un horloger et qu’elle ne pourra emporter qu’un insecte et, encore, un petit insecte. (...) J’ai donc démontré dans cet article que la construction d’une machine volante qui pourrait emporter un homme et le conduire d’un endroit à un autre par les airs exige la découverte soit d’un nouveau métal, soit la découverte d’un nouveau type de force propulsive. Et même dans le cas où ceci arriverait, on ne peut en attendre que le transport d’un point à un autre en ligne droite, rien de plus ! Plus que tout, j’ai voulu dans cet article, insister sur un point capital. A savoir contrer définitivement  l’objection fréquemment rencontrée qui dit, de façon trop optimiste, que puisque l’on a vu par le passé tellement de choses qu’on pensait impossible se réaliser que celle-ci est sans doute possible. Une telle inférence ne tient pas quand il s’agit d’une merveille longtemps recherchée et jamais atteinte. »

Pendant que ces articles étaient écrits, les frères Wright, dans leur atelier provincial, mettaient au point un cerf-volant capable d’emporter un homme dans les airs. En 1878, leur père, le pasteur Milton Wright, avait amené chez lui un jouet hélicoptère (sic - NdT : l’article dit : a toy helicopter ). C’est ce jouet qui déclencha leur passion pour l’aviation. Par la suite, ils se fabriquèrent plusieurs petits modèles réduits du même genre et aussi des cerfs-volants. Petit à petit, ils en vinrent à abandonner le cerf-volant. Ils pensaient en avoir épuisé toutes les possibilités. Ils abandonnèrent alors momentanément l’idée de voler.

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Le Flyer en vol à Fort-Myer, en Virginie, lors de ses vols d’essai pour l’Armée Américaine en 1908.

En 1898, la nouvelle de la mort brutale d’Otto Lilienthal lors de l’essai de l’un de ses planeurs, atteignit les Etats-Unis. Cela ranima leur intérêt pour le vol.  Ils avaient alors quelques livres de chevet qu’ils lisaient et relisaient. Le Mécanisme Animal du professeur Jules-Etienne Marey, les articles écrits par Otto Lilienthal, et le livre L’Empire de l’Air écrit par Louis-Pierre-Marie Mouillard en 1881. Les autres livres qu’ils lisaient avec beaucoup d’intérêt étaient Experiments in Aerodynamics (1891) et Story of Experiments in Mechanical Flight (1898) de Samuel P. Langley, Progress in Flying Machines (1894) du franco-américain Octave Chanute et, enfin, les numéros de l’Aeronautical Annuals de James Mean pour 1895, 1896 et 1897.

Les Wright en arrivèrent à la conclusion que les échecs répétés de leurs prédécesseurs venaient principalement du manque d’essais pratiques. Ils avaient notamment découvert dans leur lecture qu’Otto Lilienthal, celui réputé pour avoir pris l’air le plus souvent pendant les cinq années qu’il avait passées à étudier le mode de déplacement de ses planeurs, n’avait en réalité volé qu’un peu moins de cinq heures. Cinq heures en cinq ans ! Ils étaient alors convaincus que si on arrivait à fabriquer une machine volante capable d’être utilisée chaque jour, on pourrait alors espérer sérieusement résoudre le problème du vol. Ils se mirent alors tous les deux à travailler sur les plans d’une machine. Ils aboutirent à un engin pour lequel le calcul indiquait que des vents de 18 km/h au moins étaient nécessaires pour espérer la voir décoller. Les plans des frères Wright étaient toujours d’utiliser un cerf-volant stationnaire et de grande taille pour tracter l’un des deux dans les airs.

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Discussion sur les vols effectués au sein de la famille Wight pendant les essais pour l’Armée Américaine à Fort-Myer en 1908. A droite, Katharine Wright, la jeune sœur des frères Wright.

En octobre 1900 commencèrent les essais du cerf-volant Wright à Kitty Hawk, en Caroline du Nord, qui disposait d’une belle plage bien venteuse.  Tout de suite, les premiers essais montrèrent que leur cerf-volant était défectueux. En dépit des tables qui avaient été publiées, indiquant la pression de l’air sur une surface en fonction de la force du vent, et qui leur affirmaient le contraire, leur cerf-volant ne pouvait pas soulever un homme même avec un bon vent de 18 km/h. Le coup fut rude pour les frères Wright. Ils ne comprenaient pas où était l’erreur. Leur engin devait soulever un homme, et il ne le faisait pas. Ils décidèrent d’équiper leur cerf-volant de câbles supplémentaires qui permettraient de contrôler le vol plus efficacement depuis le sol. Ils déduisirent des vols du cerf-volant ainsi modifié des indications nouvelles et précieuses en matière d’aérodynamique. Leur cerf-volant n’emportait pas de passager mais ils pouvaient mieux contrôler son vol et son équilibre. Cette année-là, ils repartirent à Dayton et à leur atelier de réparation de vélos l’esprit content.

L’année suivante, l’été 1901, les frères Wright eurent la visite d’Octave Chanute qui passera avec les frères Wright plusieurs semaines les deux années suivantes au camp de Kill Devil Hill où les Wright logeaient pendant leur saison des essais à Kitty Hawk. Mais, ayant manqué l’essai de décembre 1903, le premier vol motorisé auquel il assistera aura lieu en 1904, près de Dayton.

Le cerf-volant de 1901 était d’une taille pratiquement double de celle du cerf-volant de l’année précédente, il passait d’environ 15 m2 à 29 m2 de surface portante. Et malgré cela, il ne pouvait toujours pas soulever un homme ! Leur programme de développement du vol par un cerf-volant qui serait motorisé par la suite fut abandonné définitivement cette année-là. Et les frères Wright commencèrent à plancher sur l’utilisation d’un planeur.

En fait, dès 1900, les frères Wright étaient arrivés à Kitty Hawk avec, en plus de leur cerf-volant, un planeur de leur conception. A la fin de leur saison d’essai de 1900, les Wright avaient laissé le planeur chez M. et Mme. Tate chez qui ils logeaient pendant leur séjour à Kitty Hawk. Quand ils revinrent en 1901, ce fut pour s’apercevoir que la belle toile de leur planeur avait été utilisée par Mme Tate pour fabriquer des vêtements pour ses enfants. Les frères Wright construisirent alors sur place un second planeur. Le 27 juillet 1901, ce planeur volait à Kill Devil Hill sur une petite distance avec l’un des frères Wright à son bord.

Cette saison 1901 fut très décevante pour les frères Wright et, ce, en dépit de plusieurs vols réussis avec leur planeur. Mais toutes les tables de chiffres et les indications données dans les quelques livres d’aérodynamique qu’ils avaient à leur disposition s’avérèrent inutilisables car soit volontairement faux soit complètement erronés. Tout était à faire ! Plusieurs années plus tard, Wilbur Wright déclarait que : « Quand nous avons quitté Kill Devil Hill cette année-là (1901), nous étions complètement abattus au point de songer à tout abandonner (...) Orville et moi nous nous disions que si un jour un homme volerait sur un engin motorisé, nous ne serions plus de ce monde. (...) Pour nous tout cela était comme tâtonner dans l’obscurité totale. »

De retour à Dayton, les frères Wright étaient arrivés à un point critique. Jusqu’à ce jour, leurs essais de cerf-volant et de planeurs étaient plus du sport que de la recherche. Mais face à l’accumulation de désappointements, ils décidèrent alors de se lancer dans l’aventure dans un esprit scientifique plus que sportif. Comme ils le dirent eux-mêmes plus tard, ce fut « à contrecœur ». Mais cela changea tout ! En cette fin 1901, il devenait évident que des données précises et reproductibles devaient être obtenues en grand nombre et dans des conditions expérimentales contrôlables. Avant de piloter un avion, ils devaient d’abord piloter leurs expériences. Pour cela, ils construisirent un tunnel en bois ouvert aux deux extrémités et ils équipèrent l’une des extrémités d’un grande ventilateur à vitesse réglable ... la première soufflerie et le premier tunnel de soufflerie étaient nés. Ils purent alors soumettre des plans verticaux de formes très variées à des vents de vitesses contrôlées et modifiées à volonté (grâce à l’emploi du tunnel) et mesurer les pressions qui en résultaient sur le plan. Ils purent vérifier l’effet des mêmes vitesses de vent sur des surfaces de natures différentes. Leur cahier de laboratoire montrent que la première série d’expériences qu’ils tentèrent, issues de leur connaissance pratique obtenue avec leur cerf-volant et leur planeur, fut de soumettre pas loin d’une cinquantaine de surfaces de formes , de calibre et de courbure différentes à des vents de vitesses variables avec une modification graduelle de l’angle d’attaque de 0° à 45° en procédant par incréments de 2°1/2. Cette idée de varier l’angle d’attaque d’une surface plane soumise à la force d’un vent de face  puis de mesurer la pression exercée par le vent sur la surface datait du 18ème siècle  et de l’Académie des Sciences française, mais les valeurs consignées alors étaient inexploitables car trop chargées d’erreur. Le fait de mesurer en soufflerie changea tout, la force et la direction du vent incident étant très constantes.

Une des premières découvertes des frères Wright fut que, contrairement à ce que tous les auteurs disaient, la pression du vent sur la surface n’augmentait pas continuellement avec l’angle d’attaque. Jusqu’à un angle de 40°, c’était vrai, mais au-delà la pression chutait assez brutalement (première découverte du phénomène de décrochage). Ce résultat étonna les frères Wright qui doutèrent de sa réalité, tellement c’était en contradiction avec ce qu’ils avaient lu.

Pour vérifier la réalité de la mesure, ils décidèrent de construire un curieux assemblage : ils prirent une girouette et de part et d’autre du pointeur de la girouette ils attachèrent deux surfaces planes qui avaient un angle de 80° entre elles. On lit dans leur cahier de laboratoire : « Selon nos résultats précédents, cette girouette devrait être dans un état instable quand elle pointerait en direction du vent. » (NdT : sachant que 80° = 2 fois 40° et que 40° était l’angle d’attaque critique où la pression exercée sur le plan augmentait si l’angle d’attaque diminuait un tout petit peu, ou diminuait si l’angle d’attaque augmentait un tout petit peu). On lit dans leur cahier de laboratoire : « Si, par hasard, le sens du vent incident changeait un tout petit peu et vienne frapper l’une des surfaces avec un angle de 39° et l’autre surface avec un angle de 41°, alors la surface ayant le plus petit angle serait soumise à une plus forte pression que l’autre surface et ferait pivoter le pointeur de la girouette en-dehors du sens du vent incident, jusqu’à ce que les pressions exercées sur les deux surfaces redeviennent égales. Selon nos tables précédentes, cela se produirait quand l’angle d’attaque deviendrait 30° sur l’une des surfaces et 50° sur l’autre. A notre très grande surprise, c’est exactement ce qui se passa. » Il suffisait d’un petit mouvement de part et d’autre d’un angle d’attaque critique pour que le plan se soulève ou s’abaisse et fasse tourner la girouette associée soit à gauche, soit à droite. Les frères Wright venait d’inventer le concept des ailerons pour faire tourner un avion. Ils décidèrent aussitôt de mettre cette découverte en pratique lors de leur prochain séjour sur la plage de Kitty Hawk.

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Wilbur Wright (à gauche) lors des essais à Fort-Myer en 1908.

En août 1902, les frères Wright reprirent leurs vols en planeur à Kitty Hawk. Le nouveau planeur qu’ils construisirent en 1902, possédait une aile principale biplane. Sur l’aile du dessous, en avant, était le poste du pilote, qui était en position allongée comme sur leur planeur précédent. Mais, cette fois, il était équipé à l’arrière d’un élément entoilé vertical, le tout premier empennage. Au départ il était fixe, mais à la fin de leur saison d’essais 1902, l’empennage était devenu mobile et était relié par des câbles au mécanisme de gauchissement des ailes qui, jusqu’alors permettait seul de faire virer le planeur. Ce mécanisme faisait que la dérive de l’empennage tournait automatiquement du côté de l’aile qui avait le plus petit angle d’attaque. C’était la première application pratique de l’ajustement des ailerons et de la dérive pour obtenir le tout premier virage équilibré dont les frères Wright sont les inventeurs.

Durant les mois de septembre et d’octobre 1902, les frères Wright enchainèrent un millier de vols en planeur, plusieurs d’entre eux dépassant les 200 mètres. Certains furent réalisés contre des vents qui soufflaient à près de 70 km/h. Il n’y eut aucun accident. Les frères Wright devenaient de plus en plus confiants dans leur système de contrôle de vol par gauchissement des ailes et par  l’utilisation combinée de l’empennage. Les vols de plus d’une minute devenaient  monnaie courante. Une fois, l’un des frères décolla en flèche tout à coup et atteint une assez haute altitude et y resta un temps qui parut très long à tous les acteurs de ce premier vol de longue durée. Qu’on imagine que le pilote était simplement allongé sur l’aile basse sans attache ! A l’atterrissage, l’un des assistants des frères Wright était tellement enthousiaste qu’il leur suggéra de recouvrir les ailes avec des plumes pour faire du planeur un vrai oiseau.

Depuis trois années à Kitty Hawk, les frères Wright accumulaient les vols en planeur. Ils avaient acquis des connaissances pratiques, basées sur une approche scientifique et des essais en soufflerie, qu’ils estimaient suffisantes pour passer à l’étape suivante qui leur trottait dans la tête depuis déjà pas mal de temps, le vol sur un engin motorisé.  De retour à leur atelier de Dayton ils se mirent immédiatement à construire un petit moteur à essence d’une puissance de 8 CV, le tout premier moteur Wright. Ils pensèrent cette fois à déposer un brevet d’invention pour le moteur et pour le nouvel avion, qu’ils baptisèrent le « Flyer ». Sur plan, le Flyer devait peser 272 kg (600 livres), pilote et moteur compris. Mais quand ils eurent terminé et testé leur moteur, il s’avéra qu’il délivrait une puissance supérieure à ce qu’ils attendaient si bien que le Flyer pourrait enlever 68 kg de plus, portant le poids total au décollage (le premier de l’histoire) du Flyer à 340 kg (750 livres). Ces 68 kg furent rapidement ajoutés sous forme de matériel en câbles et en châssis métallique pour consolider la machine et les deux ailes superposées.

La difficulté de cette conception résidait bien sûr dans la conception de l’hélice. Dès 1843, le physicien anglais George Cayley, qui fut le premier à s’intéresser aux lois de l’aérodynamique et qui est le père de l’identification des quatre forces élémentaires de l’aérodynamique : poussée, traînée, portance et poids, avait imaginé qu’on pourrait transposer le système propulsif de l’hélice des navires à un planeur autopropulsé. Mais personne n’avait essayé la chose dans la pratique (NdT : l’Eole de Clément Ader était équipé de deux hélices quadripales mues par un moteur à vapeur de 30CV, mais la réussite ou l’échec –on ne sait toujours pas vraiment – du vol de l’Eole était inconnu des frères Wright car les essais menés par Ader étaient couverts du secret militaire). Les frères Wright reprirent ce concept en y appliquant leur propre découverte sur le comportement de surfaces de différentes formes en soufflerie. Ils avaient notamment étudié une surface ellipsoïdale. Après tout, une hélice n’est rien d’autre qu’une surface ellipsoïdale voyageant dans un vent contraire selon une course en spirale. Et c’est de cette façon que les frères Wright conçurent leur première hélice.

Mais, « ce qui nous sembla au début assez évident, devenait de plus en plus compliqué au fur et à mesure que nous l’étudions. Voici une machine qui se déplace vers l’avant, et donc l’air se déplace vers l’arrière et, en plus, une hélice qui tourne perpendiculairement au sens de déplacement ... et rien ne restant immobile, nous ne pouvions trouver un point de départ d’où tracer, par la théorie, les différentes réactions ayant lieu simultanément. La contemplation de l’ensemble était déroutante. Nous eûmes de très nombreuses discussions assez houleuses entre nous car nos avis divergeaient du tout au tout. Souvent, nous nous retrouvions dans la position ridicule où chacun convainquait en même temps l’autre de la justesse de ses vues et, au final, nous étions toujours opposés. »

Quand l’énigme de l’hélice fut finalement résolue, bien que l’accord trouvé entre les deux frères ait été assez bancal, la solution trouvée était plutôt bonne. La première hélice fabriquée par les frères Wright, conçue uniquement à partir des calculs affichait un rendement de près de 66%, ce qui est excellent. C’était le double des hélices issues des travaux d’Hudson Maxim et du professeur Langley.

Le planeur motorisé fut assemblé dans le hangar de Kitty Hawk en novembre 1903, et le premier vol d’un engin motorisé plus lourd que l’air eut lieu le 17 décembre de la même année. Trois jours avant, la machine était prête à être essayée. Les deux frères Wright utilisèrent un penny pour tirer au sort lequel des deux serait le pilote du premier essai. C’est Wilbur qui gagna ! Mais le départ fut quelque peu inattendu. Avant même que l’avion n’ait décollé, encore sur sa course, des pièces se cassèrent obligeant à stopper la tentative. Après réparation, le Flyer était prêt à prendre l’air le matin du 17 décembre. Et, le sort en ayant décidé autrement, Orville Wright s’apprêta à décoller par une belle matinée où le vent soufflait à près de 40 km/h. Et le Flyer décolla pour un vol de 15 secondes à quelques mètres au-dessus du sol sur une distance d’un peu moins de 40 m (exactement 120 pieds). Wilbur remplaça Orville aux commandes, et décolla à nouveau pour un vol de 12 secondes lors du deuxième vol effectué dans la foulée. Puis, l’enthousiasme les gagnant tous les deux,  Orville se remit aux commandes et repartit pour un vol de près d’une minute sur 260 m (très exactement 852 pieds). A l’issue de ce troisième vol, alors que les frères Wright et leurs assistants discutaient de ce qui venait d’être réalisé et que le Flyer était laissé sur un coin de la plage sans surveillance, une forte rafale de vent le retourna, brisant de nombreux haubans et endommageant les ailes. Mais, les frères Wright venaient de démontrer l’impossible, une machine volante autopropulsée pouvait voler, même avec un fort vent hivernal.

Le quotidien Virginia Norfolk, dans son édition du 18 décembre 1903, titrait en première page et sur sept colonnes de large : « Une machine volante monte en flèche et vole sur un mile dans les griffes d’un vent violent au-dessus des dunes de sable de la côte de Caroline à Kitty Hawk » L’article en question était une version quelque peu enjolivée car basé en partie sur les potins des habitants du coin et en partie sur les histoires des vols de planeur des trois dernières années plus que sur une interview des frères Wright.  Le journal envoya cet article aux grands quotidiens nationaux américains, mais si l’histoire fut retenue par l’un de ceux-ci est toujours un mystère tant l’accueil fait à cette nouvelle fut discret (NdT les auteurs utilisent le mot : inconspicuous ici ! .. donc un « discret » très marqué). Mais l’homme pouvait voler !

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Fort-Myer, 1908, installation de l’avion des Wright sur son monorail de lancement. Wilbur Wright est à droite en chemise blanche et chapeau melon, on a la classe ou on ne l’a pas !

Les Wright déplacèrent leur atelier et leur laboratoire à Simm’s Station, près de Dayton où ils habitaient, dans un champ qui appartenait à M. Torrence Huffman. Et c’est là qu’ils poursuivirent leurs recherches et leurs mises au point. Ils y érigèrent un cabanon et un hangar sommaire, un peu comme ils l’avaient fait à Kitty Hawk. Un nouveau Flyer fut construit, mais plus lourd et plus solide que le premier Flyer. Les vols effectués avaient montré un gros souci pour le pilotage, c’était le maintien de l’équilibre de vol. Et en septembre 1905, après de très nombreux vols d’essai, ce problème était largement résolu. Et puis, soudain, le 5 octobre 1905, les frères Wright durent cesser les vols à cause de la foule de curieux de plus en plus nombreuses et sans-gêne qui, chaque jour, venait voir ce que les Wright » trafiquaient ! » Le premier problème de sécurité aérienne était résolu, en quelque sorte.

En 1904, les frères Wright firent 105 vols en tout. Et c’est pendant le vingtième de ces vols qu’Orville Wright, le 15 septembre 1904, réussit le premier virage en vol. En 1905, jusqu’au fatidique 5 octobre, les Wright firent plus de 50 vols. Et les records pleuvaient. Le 26 septembre 1905, Wilbur Wright faisait  un vol de 18 minutes et 9 secondes sur une distance totale de 11 ½ miles. trois jours plus tard, le 29 septembre, Orville parcourait 12 miles restant presque 20 minutes en l’air (homologués : 19 min 55 sec).  Le 3 octobre, le même Orville volait pendant un peu plus de 25 minutes sur une distance de 15 ¼ miles. Le lendemain, toujours Orville, parcourait cette fois presque 21 miles pendant un vol de 33 minutes et 17 secondes. Le 5 octobre, le jour des arrêts obligés des essais en vol, Wilbur effectuait un vol de 33 minutes et 3 secondes sur une distance parcourue de 24 1/5 miles ! On ne s’étonnera pas que des telles prouesses, jamais réalisée auparavant, ait attiré les foules.

La vitesse moyenne atteinte pendant ces différents vols était un bon 60 km/h (38 mph homologués). Durant ces trois premières années, près de 160 vols motorisés furent effectués, sans aucun accident, couvrant une distance totale d’à peu près 160 miles. Il est intéressant de remarquer que pendant le vol du 5 octobre, Wilbur Wright effectua trois tours de terrain successifs autour du champ de Simm’s Station, et que ce seul vol dura plus que tous les 105 vols de 1904 réunis. Et personne d’autre que les frères Wright n’avait encore volé sur une machine motorisée.

Dès 1904, les frères Wirght avaient offert leur invention au gouvernement des Etats-Unis pour la somme de 100 000 dollars. Les autorités américaines, tant civile que militaire, avaient répondu avec beaucoup de froideur. En revanche ; les autorités françaises et allemandes avaient montré un grand intérêt. En 1906, des représentants des deux pays se déplacèrent à Dayton pour voir de plus près de quoi il retournait. Ils rencontrèrent les frères Wright dans des entretiens en tête-à-tête et bien qu’ils n’aient jamais vu la machine volante, ils furent convaincu et retournèrent dans leur pays avec enthousiasme.

Le Board of Ordnance and Fortifications de l’armée américaine (NdT : Commission du Matériel Militaire et des Fortifications, organisme calqué sur l’armée britannique, chargée de fournir aux armées américaines leurs équipements et l’entretien des forts) ne montrant aucun intérêt pour leur invention, les frères Wright décidèrent d’aller la proposer ailleurs. Avec l’aide Charles R. Flint et de son agent en France, Hart O. Berg, les Wright essayèrent d’abord d’intéresser le gouvernement britannique. Ils se rendirent en Angleterre, en France et en Allemagne, mais sans réel succès. Wilbur Wright décida de repartir aux Etats-Unis pendant que son frère, Orville, resterait en Europe. Puis  des accords furent conclus avec des hommes d’affaire français et allemands, ainsi qu’avec le gouvernement italien.

A l’automne 1907, voyant que les frères Wright remportaient des succès pour leur avion en Europe, le Département de la Guerre américain convoqua les frères Wright pour un entretien qui eut lieu le 1er février 1908. Il en résulta un appel d’offre qui était uniquement basé sur ce que les frères Wright disaient de leur invention. La rigueur des exigences du gouvernement américain dans cet appel d’offre étonnèrent même ceux qui s’intéressaient de près à l’aérodynamique. On put lire alors dans le mensuel spécialisé American Magazine of Aeronautics, la seule publication de ce genre aux Etats-Unis à l’époque : « Les exigences formulées sur les possibilités dynamiques de la machine volante sont telles qu’on est certain que personne ne pourra y répondre ». Le grand quotidien New York Globe remarquait tristement : « Un naïf pourrait penser à la lecture des demandes de cet appel d’offre inédit que l’ère du vol humain est venue (...)  mais un rapide coup d’œil aux exigences de ces demandes suffit à se convaincre que ce n’est qu’une illusion. (...) Une machine qui remplirait les conditions de l’appel d’offre de l’Armée serait la chimère qui aurait résolu avec succès et du premier coup toutes les difficultés connues pour qu’un engin volant plus lourd que l’air puisse voler (sic !). de fait, une telle machine ouvrirait à l’humanité le même contrôle dans les airs qu’elle a sur terre et sur mer. Une telle machine déclencherait de nouvelles industries qui engrangeraient des millions de dollars de profit, qui très certainement révolutionneraient la guerre, et, peut-être même, le transport des passagers. Une telle machine ouvrirait à l’exploitation commerciale des régions du monde aujourd’hui inaccessibles. Disons-le nettement, une telle machine serait LA révolution technologique de toute l’histoire de l’humanité. »

Et on comprend le grand étonnement des lecteurs de l’appel d’offre. On y lisait en effet les exigences suivantes : 1) produire une machine volante plus lourde que l’air, 2) capable de transporter deux hommes, 3) capable de transporter suffisamment d’essence pour couvrir une distance de 125 miles, 3) capable d’atteindre une vitesse de 40 miles par heure, 4) capable de voler sans interruption pendant une heure au moins, 5) capable d’être assemblée en une heure, et 6) capable d’atterrir sans dégâts.

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Fort-Myer, 1908. De gauche à droite : Lorin Wright, le frère aîné de Wilbur et d’Orville, le lieutenant Arthur L. Welsh, chargé dans la nouvelle Société Wright d’apprendre aux clients à voler, Orville Wirght prenant des notes, le lieutenant Thomas D. Milling, le premier chef-instructeur du futur Coprs Aérien des Etats-Unis et Wilbur Wright.

Ce ne sont pas moins de 22 compagnies qui répondirent à cet appel d’offre. La liste de ces compagnies est très intéressante :
1. George W. Schultz pour 30 000 $,
2. Brown and Swingle pour 5 450 $,
3. R.G. Dressler and co. pour 5 000 $,
4. O.M. Preston pour 20 000 $,
5. A.F.P. Stenzy pour 10 000 $,
6. W.R. Gorden pour 40$, 50$ et 65$ par livre enlevée,
7. L.J. Brown pour 15 000 $,
8. J.F. Cavanaugh pour 55 000 $
9. J.J.P. Boatman pour 7 000 $ par tonne enlevée, capacité d’emport de la machine proposée : de 1 à 10 tonnes,
10. A.M. Herring pour 20 000 $,
11. C.M. Wanzer pour 1 000 000 $,
12. A.M. Barker pour 850 $,
13. A.E. Moline pour 1 389 $,
14. J.M. Kairies pour 30 000 $,
15. E.H. Young pour 5 000 $,
16. F.C. Schwartz pour 10 000 000 $,
17. W. Harper Jr. pour 20 000 $,
18. Frank and Hedden co. pour 500 $,
19. C.B. Nichols pour 52 568$,
20. A.W.H. Criepe pour 25 000 $,
21. J.F. Scott pour 1 000 $,
22. Wright Brothers co. pour 25 000 $

Il est tout aussi intéressant de lire les présentations des différents participants. L’un d’entre eux dit que sa machine lui permettra de s’élever dans les airs sans aucun moteur et de faire cela quel que l’atmosphère soit calme ou qu’il y ait un orage violent. Plusieurs participants déclarèrent que leur machine dépasserait de loin la vitesse de 40 mph. La durée demandée pour réaliser les machines volantes allait de quelques mois à cinq ans. L’un d’entre eux écrivait même : « C’est une entreprise de longue haleine ».

La condition de l’assemblage de la machine en une heure posait un gros problème à beaucoup. L’un des participants écrivait dans sa proposition : «  Mon invention est une très ardue et dangereuse application de la puissance mécanique. Alors qu’elle pourra sans aucun problèmes facilement répondre aux différentes exigences de l’appel d’offre, il est bien certain qu’il faudra bien plus d’une heure pour l’assembler ou la démonter. »

L’une des machines en compétition, offerte d’ailleurs à un très bas prix par son inventeur, était ainsi décrite : « Vitesse : 100 mph (grâce à des ailes au profil en courbes d’arc, bandes d’aluminium alternées avec des bandes de soie, câblage en acier et surfaces en papier). Surface des ailes : 2 fois 7 m2, 2 fois 5 m2, un plan pour virer de 14 m2 et quatre voiles verticales de 11 m2 chacune, trois roues, deux roues guyre-scope (sic), un avertisseur sonore, vitesse du moteur 1000 tour par minute, poids total avec deux personnes à bord et l’essence nécessaire : 700 livres (...) »

Une autre proposition était nettement plus ambitieuse. Le participant proposait « une machine volante de bombardement par grenades à main transportant 15 hommes à une vitesse de 40 mph avec de l’essence pour un vol de 3 jours sans escale, équipé d’un moteur de 25 CV (...) » Ce même participant comme pour prouver que ce qu’il proposait n’était pas une fable, écrivait sous le coup d’une subite inspiration : « Bei Gott sind alle Dinge Moglich » (NdT : Avec Dieu, toutes les choses sont possibles, en allemand dans le texte).

Seuls trois des 22 participants allèrent jusqu’à la soumission finale d’une proposition, les autres se retirèrent spontanément quand ils apprirent que le gouvernement américain demandait, pour cet appel d’offre, le paiement d’une inscription forfaitaire. les trois participants restant étaient : A.M. Herring de New York pour une offre à 20 000 $, James F. Scott de Chicago pour une offre à 1 000 $, et les frères Wright pour une offre à 25 000 $.

Le 10 février 1908, un contrat était signé entre le Capitaine C.S. Wallace, représentant l’U. S. Army, et Orville Wright, représentant les frères Wright, pour la livraison «  d’une (1) machine volante plus-lourde-que-l’air motorisée selon les spécifications de l’Appel d’Offre N°486 en date du 23 décembre 1907, contre la somme de 25 000 $. La livraison devra avoir été faite avant le 28 août 1908. » Ni Herring, ni Scott ne fabriquèrent une machine volante, leur projet resta à l’état d’un texte. On sut, par la suite, que Herring n’avait jamais envisagé de construire une machine volante. Son plan était de soumettre une proposition sous-évaluée, de remporter l’appel d’offre et de sous-traiter la fabrication de la machine aux frères Wright en empochant une grosse commission. A ce titre, il voyait déjà assez clairement le potentiel commercial de la machine volante des frères Wright.

La deuxième semaine de Mai 1908, les frères Wright retournèrent à Kitty Hawk pour compléter la mise au point de leur avion en vue de le fournir aux Etats-Unis. Ils utilisèrent une machine du même modèle que celle qu’ils avaient utilisés en 1905, mais en y introduisant quelques modifications. L’avion comprenait deux sièges et non plus un, un pour le pilote et le second pour le passager. L’avion était doté d’un moteur Wright plus récent et un peu plus puissant. L’avion emportait plus d’essence et un radiateur avait été installé pour refroidir le bloc-moteur.

Le 14 mai, Wilbur Wright accompagné de Charles Furnas, l’un de leurs employés, atteint en vol la vitesse de 41 mph. Ce fut là le tout premier vol avec passager jamais réalisé. A part ce premier vol avec passager et le vol de 38 minutes des Wright en 1905, le seul vol de longue durée enregistré était celui du pionnier français Léon Delagrange pour un vol de 6 minutes et 30 secondes le 11 avril 1908.

Après avoir fait 13 vols en 5 jours, à la fois avec ou sans passager, les Wright démontèrent leur avion, l’emballèrent dans ses caisses et se préparèrent à renter à Dayton. Tout n’allait pas pour le mieux car, lors du dernier atterrissage, Wilbur avait endommagé l’avion.

Puis Wilbur s’embarqua pour la France. Le 8 août 1908, il faisait son premier vol de démonstration au Mans devant des représentants des intérêts privés qui s’intéressait à la machine volante des Wright. Le 5 septembre, il réussissait un vol de 19 minutes et 40 secondes. Et le 10 septembre, il volait d’un coup pendant 21 minutes et 43 secondes, ce qui fit grande impression.

Pendant ce temps-là, Orville qui était resté aux Etats-Unis, faisait ses premiers vols de démonstration à Washington, en quelques jours il établissait de nombreux records.  Le matin du 9 septembre 1908, il fit un vol de 57 minutes et 25 secondes, et l’après-midi du même jour il fit un vol d’une heure deux minutes et 15 secondes. Puis, sans souffler, il repart le même jour avec le Lieutenant Lahm de l’Armée Américaine pour un vol avec passager qui dura 6 minutes 24 secondes. Les 10, 11 et 12 septembre, Orville à chaque vol restait plus longtemps dans les airs. Le record final étant de 1 heure 15 minutes à une hauteur de 100 mètres, une autre première. Le 12 septembre, il repartait pour un nouveau record : un vol avec passager, le Major George O. Squier, de 9 minutes et 6 secondes.

Hélas, l’accident du 17 septembre 1908 qui coûta la vie à son passager, le Lieutenant Thomas Selfbridge, la première victime d’un accident aérien,  mit un brusque point final à cette série de vols de démonstration. Orville Wright et le Lieutenant Selfbridge était à une altitude de 150 pieds quand l’une des pales de l’hélice se cassa net. L’avion se mit alors à planer et à redescendre. Mais, vers 75 pieds, Orville perdit le contrôle de sa machine qui partit en vrille et s’écrasa. Le Lieutenant Selfbridge fut tué sur le coup alors que Orville Wright était gravement blessé.

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Fort-Myer, 1908. Photographie prise immédiatement après l’accident du Flyer. Des personnes portent secours à Orville Wright, coincé sous l’avion, et, plus loin sur le champ, au lieutenant Selfbridge qui a été éjecté.

Pendant ce temps, Wilbur battait record sur record au Mans.  Le 16 septembre 1908, il faisait un vol de 39 minutes et 18 secondes. Le vol le plus long établi en France à ce moment était un vol récent de 29 minutes et 54 secondes de Léon Delagrange. Le 21 septembre, alors qu’il avait stoppé tout vol après avoir appris par lé téléphone l’accident de son frère, Wilbur reprenait ses vols de démonstration. Ce jour-là, il fit un vol incroyable de plus d’une heure et demie : une heure trente-et-une minutes et vingt-cinq secondes pour être précis. Il gagnait du même coup le Grand Prix de l’Aéro-Club de France qui offrait 5 000 francs pour le vol le plus long effectué avant le 30 septembre. Tout le mois suivant, Wilbur continuait de voler en France repoussant toujours plus loin les limites de ses vols. Le 6 octobre, il emportait un passager pour un vol qui dura une heure quatre minutes et vingt-six secondes couvrant une distance d’un peu plus de 78 km. Il remportait ainsi un autre prix, celui du Syndicat de l’Aéronautique Française (NdT : je pense que le rédacteur américain ici fait référence à l’Association des Industriels de la Locomotion Aérienne) qui avait demandé un vol avec un passager sur au moins 50 km. Quatre jours plus tard, le record était  battu par un vol avec passager de près d’une heure et dix minutes (très exactement l’homologation portait : 1 h 9 min 45 et 2/3 sec).

A la fin du mois d’octobre 1908, Wilbur entreprit d’enseigner à Pau au Comte de Lambert, au Capitaine Girardville et à Paul Tissandier le pilotage du Flyer. En novembre 1908, Wilbur Wright battait encore d’autres records, d’altitude notamment. Enfin,  le dernier jour de cette année 1908 qui avait vu tant de brillants records être établis les uns après les autres, Wilbur Wright sur son Flyer repoussait encore plus loin les limites par un vol de 2 h 20 min 32 et 2/10 sec en parcourant la bagatelle de 125 km d’un coup.

Les vols de Wilbur avec ou sans passager continuèrent pendant le mois de janvier 1909. Mais cette fois, toute l’Europe était terriblement excitée par ce qui se passait à Pau. Le Roi Edouard VII, le Roi Alfonse, le Premier Ministre britannique, Lord Balfour, le Ministre français des Travaux Publics, Louis Barthou, et bien d’autres firent le voyage à Pau pour visiter ce qui était devenu le Centre de Pilotage Wright. Plusieurs de ces personnalités furent emmenés par Wilbur Wright pour un vol, dont le Roi Alfonse. De grandes foules s’assemblait à chacun de ses vols, et dans chaque destination où ses vols l’emportaient il était accueilli avec ferveur et enthousiasme.

Orville rejoignit son frère en Europe au printemps 1909. le 1er avril, ils arrivaient à Rome pour y montrer leur avion au gouvernement italien. Ils furent reçus par le Roi Victor-Emmanuel. Le 15 avril ils faisaient leur premier vol en Italie, au Centocelle, un quartier périphérique de la Rome d’alors. Ce champ allait devenir le premier aéroport de Rome :le fameux Rome-Centocelle. Le Flyer utilisé pour ces vols de démonstration avait été acheté par le gouvernement italien. Dès le 16 avril, les frères Wright apprenaient aux Lieutenants Calderara et Savoia à le piloter.

Le 11 mai 1909, les frères Wirght étaient de retour aux Etats-Unis et, en juin, ils étaient officiellement reçu à la Maison Blanche par le Président Taft. Ils furent décorés à cette occasion de la médaille de l’Aéro-Club d’Amérique. La semaine suivante, alors qu’ils étaient revenus à Dayton, le général James Allen leur remit la Médaille du Congrès. C’était alors la treizième fois que cette médaille d’exception, la plus haute distinction des Etats-Unis, n’était pas attribuée pour des faits de guerre et c’était la première fois en 20 ans qu’elle était donnée à des civils.

Le 29 juin 1909, Orville Wright reprenait des vols d’essais à Fort Myers, en Virginie, sur une nouvelle version améliorée du Flyer pour le compte de l’Armée Américaine. Et les vols s’enchainèrent pendant des mois. Toutes les conditions posées par l’Appel d’Offre de l’année précédente furent remplies très facilement par ce nouveau Flyer. Le contrat passé entre les frères Wright et l’Armée stipulait que la somme de 25 000 $ serait versée aux frères Wright si leur machine atteignait la vitesse de 40 mph, et un bonus de 10% serait versé pour chaque miles additionnels. Tout cela pour un volo d’au moins 10 miles avec un passager. Lors du vol d’essai, le Flyer qui transportait comme passager le Lieutenant B.D. Foulois, atteignit la vitesse moyenne homologuée de 42,583 mph. Ils reçurent donc la somme de 30 000 $ pour leur machine (soient près de 700 000 euros !).

En septembre 1909, Orville, qui était reparti en Europe, explosa deux records mondiaux : il atteignit l’altitude de 204,3 mètres lors d’un vol de présentation à Berlin. Il exécuta un vol avec passager d’une heure et trente-six minutes.

A l’automne de 1909, Wilbur Wright firent un vol de démonstration qui eut un très grand retentissement au-dessus de New-York. Le Flyer décolla d’une petite esplanade près du Port de New-York, puis il remonta l’Hudson River et, faisant demi-tour, il revint se poser là d’où il était parti. Pour l’occasion un canoë avait été attaché solidement entre les patins en-dessous du berceau du Flyer au cas où un amerrissage sur la rivière Hudson eût été nécessaire (NdT : un peu comme une prémonition de l’aventure du commandant Sully Sullenberger un siècle plus tard très exactement),.

En octobre, les Lieutenants Frank P. Lahm et Frederick E. Humphreys reçurent chacun un apprentissage du pilotage. Les deux firent leur premier vol seul aux commandes du Flyer. Ce faisant, ces deux hommes étaient les premiers pilotes militaires de l’histoire de l’Aviation ...  (NdT : ici le texte imprimé présente une grave coquille qui rend la phrase incompréhensible) Le Lieutenant Foulois reçut son instruction de pilote en partie de Wilbur Wright et en partie du Lieutenant Humphreys.

Le 15 octobre 1909, Orville Wright concluait sa série de vols de démonstration en Allemagne et repartait vers les Etats-Unis. Le 22 novembre 1909, lui et son frère fondait la Compagnie Wright avec un capital de 1 million de dollars. Wilbur était le Président, Orville et Andrew Freedman étaient les deux Vice-Présidents, et Alpheus S. Barnes le secrétaire de la nouvelle Société. Le Conseil de Direction de la Société Wright Bros. comprenait : les deux frères Wright, R.A. Alger, A. Belmont, E.J. Berwind, H. Gould, M.F. Plant, A.A. Ryan, T.P. Shontz, R.J. Collier, A. Freedman, Cornelius Vanderbilt, et P.W. Williamson. Belmont était le banquier qui avait financé la construction du métro de New-York. Berwind était le propriétaire de mines de charbon et, surtout, le collaborateur de J.P. Morgan, le fameux banquier. Gould et Plant étaient deux propriétaires de grosses compagnies de chemin de fer américaines. Ryan était un financier New-Yorkais. Collier était propriétaire de nombreux magazines et le Président de l’Aéro-Club des Etats-Unis. Freedman était le propriétaire de nombreux clubs de base-ball et de football américains. On ne présente pas Cornelius Vanderbilt. Williamson était l’avocat spécialisé dans le droit des affaires de la Société Wright.

Dans les années qui suivirent, les frères Wright rachetèrent petit à petit les parts des autres actionnaires et devinrent les principaux propriétaires de la Wright Company. Entre temps, les profits générés par la Société étaient tels que tous les actionnaires firent de gros bénéfices sur leur investissement. En 1916, la Société Wright fit une fusion capitaliste avec la Compagnie Glenn Martin et la Compagnie des Automobiles Simplex. Peu de temps après, Glenn L. Martin se retira et créa sa propre Société de construction aéronautique. Puis, finalement, la Société Wright évolua encore une fois, en changeant de main, pour devenir la Société Wright Aeronautical Corporation actuelle qui fabrique exclusivement des moteurs d’avion.

Nous sommes très redevables à M. Ernest I. Jones, directeur de la communication du Département National du Commerce, pour nous avoir communiqué de nombreuses photographies rares pour cet article.

Dernière modification par philouplaine (09-06-2017 21:26:02)


ouaf ouaf ! bon toutou !!

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