#1 [↑][↓]  02-08-2018 10:37:24

philouplaine
Copilote
Lieu: Toulouse
Date d'inscription: 07-06-2010
Renommée :   69 

[Réel] Archéo Aéro - Il y a 99 ans, Charles Godefroy

L’Archéologie Aéronautique?
Qu’est-ce donc ? Comme en archéologie, on fouille ... dans les vieux numéros des revues spécialisées d'il y a 80-90-100 ans (et plus), pour dénicher des choses intéressantes (j'espère) à raconter ...


Chers amis,

Voici un texte rédigé par M. Roger Guil dans un style où l’auteur fait parler son ami Charles Godefroy. Ce texte a été publié dans le numéro du 25 décembre 1947 de la revue « Décollage : le Magazine de l’Aviation Mondiale ». Je vous transmets donc ce texte, un petit bijou sur un exploit aérien réalisé dans l’euphorie de l’immédiat après-guerre, on parle ici de la première guerre mondiale où les pilotes étaient encore animés d’un esprit de conquérant de l’air, avides de réaliser ce qui n’avait encore jamais été tenté. Charles Godefroy (1888-1958) est un pilote français qui compléta sa formation militaire en novembre 1918 à Miramas. Il ne connut donc aucun combat aérien. Il est surtout connu pour avoir été le premier aviateur à passer aux commandes d’un avion sous l’Arc de Triomphe. Les autorités désapprouvent l'événement car elles craignent qu'il soit reproduit, mais Godefroy s'en tire avec un simple avertissement. On pensait l'exploit impossible. Pourtant, le 7 août 1919, l'aviateur Charles Godefroy est parvenu à passer sous l'arc de triomphe de l'Etoile, à Paris, à bord de « Bébé », son chasseur Nieuport XI d'une envergure de 7,50 mètres (pour une ouverture de l’arche de 14,50 mètres et une hauteur de 29,20 mètres). Une forme de revanche pour l'aviateur, mécontent comme tous les autres aviateurs français que les pilotes français aient été obligés de défiler à pied lors de la parade du 14 Juillet 1918, quelques mois seulement après la fin de la première guerre mondiale, conflit qui avait fait d'eux des héros. Mis à la retraite par sa hiérarchie, Charles Godefroy ne sera reconnu et décoré qu'à sa mort, en 1958.
Bonne lecture!
Philippe

vidéo de l’exploit de Charles Godefroy : ici

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Charles Godefroy, pilote français (1888-1958)


Le 7 août 1919 Godefroy passait sous l’Arc de Triomphe
P.C.C. Roger Guil.
Article paru dans la revue hebdomadaire Décollage du 25 décembre 1947


Roland Garros avait dit : « Celui qui essaiera de passer là se tuera ! » ... Pourtant le 7 août 1919 Godefroy passait sous l’Arc de Triomphe. 

(Note : Puis l’auteur fait parler C.  Godefroy)

Cette idée ? C’était l’idée de Guynemer. Non ! Cette idée ne m’est pas venue comme un coup de tête, comme vient le désir du risque et de l’aventure ! Bien sûr, pour ma génération de pilotes de la guerre de 14, qui avons fait franchir un grand pas dans le domaine des réalisations pratiques de l’aéronautique, l’idée du risque et de l’aventure était familière. Nous avions trouvé, au début de la guerre, une aviation qui en était aux balbutiements et les accidents ont été nombreux qui nous maintenaient en compagnie constante du risque et du danger. Sans parler des dangers permanents de la guerre... Ceux-là, ils étaient pour tout le monde à l’époque. Mais cette idée de passer avec un zinc sous l’Arc de Triomphe, c’était une tout autre histoire.

Guynemer qui avait déjà tenté de passer, avait déclaré : « C’est impossible ! Quand on arrive sur l’Arc, on ne voit pas le trou, mais seulement une masse de pierres. »

Cependant, cette idée hantait tous les aviateurs de cette époque : « défiler » aussi et en avion à la Grande Parade de la Victoire. Et l’idée était d’autant plus vive que nos armées avançaient et que nos soldats, au prix de leur sang, poursuivaient maintenant les Boches en déroute sur tous les fronts. Voilà ce que pensaient les aviateurs français dans les derniers mois de la Grande Guerre. La victoire était sûre désormais. Les « As » seraient-ils les seuls à ne pas participer au fameux défilé sous l'Arc de Triomphe ?

Mais Garros, qui faisait autorité en la matière, n’avait-il pas dit : « Celui qui essaiera de passer là se tuera ! » ? Aussi, il fallait bien une tête brûlée comme l’indiscipliné Jean Navarre pour tenter de mettre à exécution le fameux projet, et devenir ainsi le deuxième pilote après Guynemer à tenter le coup. Une fois la guerre finie, il fit donc construire, aux dimensions, un Arc de Triomphe en bois sur le terrain de Villacoublay pour s’entraîner. Ceux qui assistèrent à cet essai avaient le cœur serré quand ils virent le Spad piloté par Navarre piquer, parce qu’ils savaient la volonté tenace du fameux pilote. On savait bien qu’il n’hésiterait pas à foncer dans le tas... et ce fut le terrible accident qui coûta la vie du cher Navarre le 10 juillet 1919, c’est-à-dire quatre jours avant le grand défilé. La parole de Roland Garros se justifiait : « Celui qui essaiera de passer sous l’Arc de Triomphe se tuera ! ».

L’idée me trottait toujours dans la tête et je promis de la réaliser. De retour à mon camp d’entraînement de Miramas, elle ne me quittait plus. Je ferais défiler nos ailes sous l’Arc de Triomphe !

Un jour que je faisais des acrobaties avec mon appareil au-dessus de la Crau, j’aperçus devant le nez de mon moteur l’arche d’un pont sur le petit Rhône. L’espace d’un éclair, ma décision est prise ... je pousse sur mon manche à balai et hop ! ... je passe dessous et je remonte rapide. Là-bas, devant ... un autre pont... et allez donc ! Je passe encore dessous. Les gens dans la campagne en voyant bondir ce martin-pêcheur d’un nouveau genre levaient les bras en l’air et couraient vers le Rhône, pensant sans doute que j’avais perdu la tête. Et je rentrai au camp, mais j’avais décidé, dès ce jour, que je ferai la grande tentative. Je voulais faire les choses avec calcul et mettre toutes les chances de mon côté. J’étais sûr de réussir malgré l’affirmation de Garros. J’allais souvent Place de l’Etoile, faire des calculs précis avec mon ami Jacques Mortane (Note : journaliste français spécialisé dans l’Aéronautique) qui avait la foi lui aussi.

Garros avait parlé de la sorte surtout parce qu’il connaissait bien els appareils que nous avions en main à son époque. Il savait qu’avec nos moteurs Rhône 120 on ne pouvait acquérir une vitesse assez grande pour de redresser et pour éviter les deux courants d’air opposés provoquées par les baies latérales de l’Arc de Triomphe qui donnent sur les avenues de Wagram et Kléber. Mais j’avais mon plan et Mortane le partageait : j’amorcerai un piqué très long, ce qui me permettrait d’amener mon moteur à 1 350 tours et d’accroître ma vitesse vers 200 km/h. Et je passerai. J’étudiais aussi le vol des pigeons qui sont nombreux à loger sous la grande voûte. Leur instinct les portait à s’incliner deux fois en traversant ; ils prenaient ainsi els eux courants sous leurs ailes et se redressaient automatiquement à la sortie de l’arche.

Voilà toutes les observations que je fis et dont j’espérais bien profiter. J’étais sûr de mes calculs et à cause de cela je devais vaincre la terrible appréhension de Guynemer quand il tenta le coup : « Foncer dans une masse de pierres ».

Mais il était toujours totalement interdit de passer en avion sous l’Arc de Triomphe et il fallait tenter l’aventure « en fraude ». J’avais un bon copain mécano à Villacoublay. Je lui fis part de mon projet et de mes calculs. Je peux bien aujourd’hui donner le nom de cet ami. Il a été l’un des artisans de ma réussite. C’est le mécano Lagogué et c’est la première fois, 28 ans après, que je donne son nom à la presse. Décollage sera ainsi le premier à lui rendre un hommage public. Merci Lagogué !

Avec des précautions de conspirateurs, Mortane, Lagogué et moi, nous fixâmes la date de la tentative au 7 août. Dès six heures du matin, j’étais à l’aérodrome. Dans la brume matinale, j’aperçois Lagogué qui m’attendait devant le hangar.
-    « J’ai un zinc en pleine forme, me dit-il, mais tu ne peux partir avec ce temps-là. »
Il regardait le ciel tout embrumé.
-    « Pour le terrain, continua-t-il, au contraire tout va bien. Nous allons pouvoir sortir l’avion sans être repérés, mais sur Paris tu ne vas rien voir !
-    Qu’importe, lui répondis-je, le plafond va peut-être se dégager dans un moment tu sais. Sortons toujours l’oiseau. »
Nous poussons el Nieuport dehors. Je grimpe, j’ajuste mon serre-tête, je manœuvre mes commandes. Tout va bien. Contact ... ça tourne, ça ronfle.
-    « Sauve-toi vite, crie Lagogué, on pourrait te demander où tu vas.
-    Enlève les cales ! »
Je roule dans un fracas de moteur et j’aperçois une dernière fois le brave mécano qui, les deux mains en porte-voix, me hurle un mot bien senti qu’on peut traduire en français correct par « Bonne chance ! ». Il était tout fier et trépidant, lui aussi avait la foi.

Un petit canter d’essai au-dessus du terrain (Note : un canter, en équitation est le galop d'essai qu'effectuent les chevaux pour se rendre du pesage à l'emplacement du départ de la course) : un tour, deux tours, je repasse en rase-mottes au centre de la piste comme pour dire à Lagogué : « Merci, ça gaze ! » Et je pars ... en direction de Paris. Le ciel s’éclaircit un peu à mesure que le soleil s’échauffe. Aucune émotion, tout ira bien.

J’aperçois le ruban de la Seine avec tous ses anneaux de ponts. Voici la grande avenue et ... l’Arc de Triomphe tout au bout. C’est le but. C’est là qu’il faut passer. D’en haut, en effet, je en vois qu’une « masse de pierres ». Je me rappelle le mot de Guynemer. Il y a pourtant un passage, je le sais ... et il faut y aller ! C’est la plus grande appréhension à vaincre et c’est vraiment la seule que j’ai eue. Un tour au-dessus de la place pour me repérer. Je sais que Mortane et de nombreux amis sont là qui m’attendent anxieux.

Je m’éloigne pour me mettre bien dans l’axe et pour gagner de la hauteur afin de glisser le plus longtemps possible en piqué pour accroître ma vitesse. Je me retourne, prends mon point de mire, fais demi-tour et fonce à pleins gaz ... dans la « masse de pierres ». Une petite embardée à gauche, une à droite, une grande caresse d’ombre qui me surplombe, je redresse et ressors à l’air libre, enlevant mon Nieuport de tous ses chevaux juste au-dessus d’un tramway qui passe ... C’est fait ! Et je rentrai à Villacoublay.

Quelques photos de l'exploit:

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Lagogué scrutait le ciel avec anxiété. Il reconnut mon moteur et accourut pour m’embrasser. Vite. Au hangar ! Quand les portes furent fermées, il projette rapidement du sable qu’il tenait prêt dans les deux petits sacs sur les ailes. A cette époque, un avion qui arrivait d’un vol était reconnaissable, ses plans luisaient des vapeurs d’huile que dégage le moteur.
-    « C’est le vieux principe des anciens pour sécher l’encre, me dit-il. Dans dix minutes, je passe un coup de balai et il n’y paraîtra plus rien... »
Et, en effet, personne par la suite n’a jamais pu retrouver l’appareil qui était sorti ce jour-là.

Cependant, place de l’Etoile, l’émotion était vive. Mortane avait amené avec lui des journalistes et six cameramen qui avaient filmé mon passage. C’est avec ces bandes que dernièrement on a pu éditer une partie du film La mort est peut-être pour ce soir, qui passe actuellement sur les écrans de France.

Les spectateurs qui n’étaient prévenus s’étaient sauvés dans toutes les directions à mon passage, des gens avaient sauté des tramways, certains des journalistes s’étaient aplatis par terre. L’un d’eux, Fromentin, s’était mêm trouvé mal et était resté sur la carreau plusieurs heures.

Le lendemain, on sonna à ma porte de bonne heure. C’était le général Duval qui m’envoyait chercher avec sa voiture. On m’emmena à Villacoublay. Le général vint me féliciter devant tous les officiers de l’Ecole, tout en m’apportant avec douceur les blâmes officiels. Puis, en cortège, nous avons défilé devant les hangars pour savoir qui avait prêté l’avion. Mais, personne n’a jamais pu le découvrir. Nous passâmes devant Lagogué, qui ne broncha point.

Des lettres de félicitations, j’en reçus plus de 1800. Le président de la République me fit appeler à l’Elysée et aussi le président du Sénat. Ils m’adressèrent de chaleureuses félicitations. Clémenceau, lui, n’était pas content du tout ... qu’il disait ! Ma ville natale me dit aussi un merci touchant en faisant ériger une plaque sur ma maison natale. Vous pourrez la voir si vous passez par La Flèche.

Encore maintenant, les Vieilles Tiges, cette magnifique association d’anciens de l’aviation, m’a admis dans son sein le 23 novembre dernier pour le trentième anniversaire de mon brevet de pilote qui porte la date du 23 novembre 1917. Je remercie ici les Vieilles Tiges de ce témoignage d’amitié et remercie Décollage de s’en faire publiquement l’écho et mettant ses colonnes à la disposition de la grande cause de l’aviation pour les jeunes de France en leur contant comment les anciens ont toujours eu à cœur d’en faire la première du monde.


ouaf ouaf ! bon toutou !!

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