#1 [↑][↓]  16-09-2021 09:15:25

philouplaine
Copilote
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[Réel] 1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

L’Archéologie Aéronautique ?
Qu’est-ce donc ? Comme en archéologie, on fouille ... dans les vieux numéros des revues spécialisées d'il y a 100 ans (et plus), pour dénicher des choses intéressantes à raconter. Espérons-le !  ... et un rapport confidentiel de l’USAAF de fin 1945 rendu public début 1946.


Chers amis,

Voici un très long texte, que vous pourrez soit lire d’un coup soit picorer selon vos envies et votre passion pour cette époque. Ce texte étant vraiment très long, j’ai dû le découper en plusieurs parties pour pouvoir le poster en entier sur ce forum.

Il s’agit d’un document que j’ai traduit pour vous de la documentation américaine du début de 1946. Il s’agit d’un très long texte avec la bagatelle de 36 pages imprimées ! Il provient du Service de l’Intelligence de l’USAAF (US Army Air Force, l’ancêtre de l’USAF) paru fin 1945, peu de temps après la reddition japonaise, dans la revue confidentielle IMPACT qui était destinée en interne aux officiers de l’USAAF.

Ce texte a été ensuite rendu public en février 1946 dans le mensuel spécialisé FLYING. C’est donc une analyse "à chaud" par les vainqueurs ... c’est bien connu, ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire.

Je vous avais déjà traduit le rapport officiel de la même source sur l’analyse de la victoire aérienne des Etats-Unis sur l’Allemagne Nazie. Voir ici.

Je vous ai traduit ce nouveau texte pensant que certain(e)s d’entre vous seraient intéressé(e)s tant par sa valeur historique que par les photographies et les informations, toutes plus étonnantes les unes que les autres, dont il fourmille. Notamment, le résumé donné ici de la chronologie des différentes opérations sur tous les théâtres du Pacifique est vraiment très informative. On y apprend par exemple que les B-29 qui participaient aux raids incendiaires sur le Japon pour emporter une plus grande charge de bombes n’emportaient aucune mitrailleuse de bord et étaient donc sans défense ! ... et bien d’autres choses.

Vous trouverez ici et là des notes marquées "NdT" (notes du traducteur) où je précise certains passages que j’ai difficilement traduit à cause de l’argot américain des années 1940 totalement obsolète aujourd’hui et d’autres passages parce que trop propagandistes !

Bonne lecture !
Philippe



Couverture du Flying de février 1946

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VICTOIRE AERIENNE SUR LE JAPON
Comment la puissance aérienne a battu le Japon
Air Victory over Japan
How air power beat Japan

FLYING Numéro de février 1946



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Illustration d’en-tête de l’article. Traduction de la légende. Les détracteurs se sont souvent moqués, mais la puissance aérienne a battu le Japon. Voici un rapport officiel de 32 pages de l'Armée de l’Air.


TRADUCTION DU TEXTE ORIGINAL


Annonce des éditeurs de FLYING
Cette section de 32 pages conclut la série de trois rapports spéciaux, résumant le rôle de l'aviation dans notre victoire, que FLYING a donné à ses lecteurs dans ses derniers numéros. Ces documents sont les publications jusqu'ici confidentielles de la revue de notre armée de l'air à destination des officiers : IMPACT. Les deux premiers de la série résumaient respectivement les phases stratégiques et tactiques de la guerre aérienne en Europe. Celui-ci porte sur les phases tactiques et stratégiques de notre guerre aérienne dans le Pacifique contre l'Empire japonais. La puissance aérienne a eu besoin de la puissance terrestre et de la puissance maritime pour sécuriser ses bases. Après quoi, ses coups répétés ont fini par détruire tout le potentiel de guerre du Japon rendant ainsi possible notre victoire.


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La "route de la Victoire". Attention, dans cette carte le sud est en haut et le nord en bas.


Les Japs avaient quelque chose que nous n'avions pas. Ils avaient un plan. C'était un plan grandiose qui convenait aux vrais Fils du Ciel. Nous l'avons connu sous le nom de "Sphère de coprospérité de la Grande Asie de l'Est". Le nom était illusoire car il impliquait beaucoup plus que l'Asie et n'avait rien à voir avec la coprospérité. Ce plan faisait son chemin dans le cerveau des Japonais depuis que le Commodore Matthew Perry leur avait révélé en 1854 qu’en-dehors du Japon il y avait tout un monde en marche.

Pendant deux cents ans avant cette époque, les Japonais avaient vécu une existence fière, féodale et isolée - et cela leur avait plu - ou du moins cela plaisait aux dirigeants Japonais, les seuls qui comptaient vraiment dans ce Japon. Le commodore Perry ne les avait pas convaincus qu'ils étaient arriérés et ridicules. Au contraire, il les avait simplement convaincus que s'ils voulaient maintenir leur existence séparée, ils devraient intégrer des méthodes modernes et étendre leur zone d'isolement. Voilà, en bref, ce qu’est la Grande Sphère de Coprospérité de l'Asie : un grand royaume où les idées et les idéaux japonais seraient à l'abri des influences de l'Occident, un royaume assez grand pour fournir toutes les nécessités et tous les luxes de la vie, et assez étendu et puissant pour être impénétrable. Et ce grand projet japonais a totalement échoué.

Les Japs ont échoué, tout d'abord, parce que l'Allemagne a échoué. Le Japon a parié sur une victoire allemande et a planifié toute sa grande stratégie sur cette hypothèse. L'histoire montrera que Stalingrad a été pour l’ennemi une catastrophe - pour le Japon tout autant que pour l'Allemagne.

Les Japs ont échoué, deuxièmement, parce qu'ils ne pouvaient pas suivre le rythme de la production industrielle des Alliés. Ils ont commencé la guerre avec une supériorité numérique dans pratiquement tous les domaines de l'équipement de l'armée et de la marine et ont considérablement accru cette supériorité dans les premiers mois de la guerre par l’usure des Alliés. Par la suite, la balance s'est rapidement retournée contre eux. Lorsque les États-Unis ont finalement mis en place des bombardiers stratégiques capables d’atteindre les Îles Mères du Japon, les Japs n'ont eu alors plus aucune chance. Ils étaient confrontés à la supériorité des Alliés en matière d'avions, de navires et de toutes choses si bien que les obstacles de la guerre se sont accumulés pour eux pour atteindre des proportions stupéfiante par un effet boule de neige.

Les Japonais ont échoué, troisièmement, parce qu'ils ne possédaient pas un "savoir-faire" scientifique leur permettant de rivaliser sur le plan qualitatif. Les équipements japonais devinrent rapidement inférieurs aux nôtres. À la fin de la guerre, ils ne disposaient pas d'une seule arme opérationnelle supérieure à la nôtre ou que nous n'aurions pas pu produire. Dans le cadre de la mise au point de nouvelles armes, le Japon était pratiquement au point mort alors que les Alliés étaient restés dans la course. Le radar japonais était vraiment rudimentaire selon nos normes. Les Japs n'avaient rien qui se rapprochait d'une Forteresse volante ou d'un Liberator, et encore moins d'une Superforteresse. Et ils étaient constamment perplexes, déconcertés et abasourdis par la galaxie des nouvelles armes produites par les Alliés : les fusées air-sol, le napalm, les viseurs informatiques, les fusées missiles, les mines aériennes, le bazooka, le lance-flammes, la bombe atomique. Ce sont ces choses, et l'incapacité des Japonais à les produire, qui ont provoqué la défaite japonaise, et ces petits rigolos de jaunes d’après-guerre l’ont parfaitement admis (NdT – ici la phrase originale est très curieuse : "... the Nip post mortem artists ..." L’usage de "Nip" est très clair, c’est volontairement insultant, cela joint au mot "artists" qui, dans ce contexte, indique une phrase de très fort dédain ... l’expression "post mortem" est tout à fait étonnante et inhabituelle ... cela fait probablement référence à post war avec un Japon impérial quasiment mis à mort et qui, en cette fin 1945 quand ce rapport est écrit était dans un état vraiment post-mortem. J’ai essayé de traduire ce passage du mieux que je pouvais en respectant l’esprit de l’auteur... si vous avez d’autres idées et bien faite-le moi savoir svp. C’est vraiment une phrase américaine très marquée par l’esprit victorieux d’après-guerre).

Les Japonais ont échoué parce que leur haut commandement a échoué. La stratégie japonaise était fondée sur l'hypothèse que les États-Unis pourraient être pris par surprise et battus avant qu’ils ne puissent s’armer et riposter efficacement. Ils ont fait l'erreur de croire leur propre propagande, par exemple qu'il y avait des dissensions internes aux États-Unis, que les Américains étaient pacifistes et décadents et donc incapables de se battre, et qu'il faudrait des années aux États-Unis pour passer de la production de produits de luxe décadents à la production de matériel de guerre.

Les stratèges et les techniciens japonais ont vraiment mené leur guerre dans le respect de leur Règlement militaire. Ce règlement n'a jamais été révisé jusqu'à ce que les Japs apprennent, par une bien malheureuse expérience pour eux, qu'il était totalement dépassé et obsolète. Et lorsque les Alliés se sont battus avec leur propres règles, les Japs ont été abasourdis et incapables de réagir en prenant des contre-mesures efficaces. La croyance des Japonais selon laquelle leurs "porte-avions étaient insubmersibles" et que, donc, ils constitueraient des obstacles infranchissables à notre progression à travers le Pacifique en est un bon exemple. Lorsqu'il a été prouvé qu'une puissance aérienne supérieure pouvait détruire les bases aériennes dans les îles et que des avions à long rayon d’action basés à terre pouvaient neutraliser leurs bases sur les îles-mères du Japon, les Japs se sont retrouvés sans aucune alternative.

Les stratèges japonais apparemment n’arrivaient pas à prévoir une situation dans laquelle ils n'auraient pas l'initiative. Leur conception de la guerre était construite autour du seul mot : "attaque". Lorsqu'ils étaient sur la défensive, il leur fallait beaucoup de temps pour apprendre qu'il y avait de meilleurs stratagèmes à réaliser qu'une charge banzai aussi héroïque fut-elle. Lorsque le mouvement de l’histoire se retourna contre eux, ils perdirent parfois leur capacité de raisonnement et se mettaient alors à agir dans la confusion la plus totale. En témoignent l'incident des Mariannes, lorsque la crème de l'aéronavale nipponne a été surprise au-delà de son rayon d'action, ou lors de l’engagement du cuirassé Yamato, lorsque la fierté de la flotte japonaise, dans un mouvement futile de fuite vers Okinawa, a été coulée par des avions de notre aéronavale. Ou lors des premières semaines sur Guadalcanal, lorsque les Japonais n'ont pas su utiliser leur supériorité aérienne écrasante efficacement pour anéantir notre aérodrome, Henderson Field.


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Vue aérienne d’Henderson Field sur Guadalacanal peu après sa conquête par le Corps des US Marines.


Les stratèges japonais n'ont compris que trop tard les potentialités de la guerre aérienne. Tout comme les Allemands, ils concevaient l’aviation militaire comme une arme d'attaque destinée au soutien des forces navales et des armées terrestres. Comme ils n'avaient eux-mêmes aucune idée de ce que pourrait être une aviation stratégique, ils négligèrent totalement la possibilité qu'elle soit utilisée contre eux et n'étaient donc pas du tout préparés à la contrer. La Japan Air Force (JAF) a été construite autour de bombardiers et de chasseurs à courte portée qui n’étaient en fait que des pièges à feu, sans aucun blindage. Les petits bombardiers japonais, tous bimoteurs, ont été incapables de soutenir une seule offensive qui a vraiment fait mouche. Les chasseurs japonais étaient de plus en plus inefficaces contre les bombardiers alliés qui osaient survoler leur patrie, vague après vague, et faisaient des choses que les Japs n'avaient pas su prévoir suffisamment tôt. Les Japs ont appris la guerre aérienne à grande échelle, mais ils l'ont apprise à la dure, tout comme les cochons d’inde au laboratoire finissent par apprendre des scientifiques à la suite de traitements de choc répétés.

Les Japonais ont échoué, enfin, parce que leurs hommes et leurs officiers étaient inférieurs aux nôtres, non pas par leur courage, mais par l'utilisation intelligente de leur courage. L'éducation japonaise, le culte des ancêtres et le système de castes des japonais ont fait preuve à maintes reprises d'un commandement peu inspiré et de soldats comme frappés de stupeur en permanence. Dans une situation militaire prévisible qui pouvait être facilement gérée de manière orthodoxe, les soldats japonais étaient toujours compétents et parfois même ingénieux. Cependant, sous la frustration, l'obsession de l'honneur personnel éteignait l'étincelle de l'ingéniosité ; et une situation qui se détériorait provoquait chez le soldat Japonais une volonté de résistance jusqu’au-boutiste de plus en plus irrationnelle. La tentative de l'armée de l'air japonaise de briser notre débarquement de Leyte en est un exemple frappant. Pendant des jours, les Japs ont essayé la même tactique de bombardement conventionnel et leurs avions ont été abattus par centaines sans qu’ils nous fassent des dégâts appréciables. À défaut, la seule improvisation qu'ils ont pu montrer est celle des attentats suicides. Comparez cet échec désespéré des Japs avec le succès des Alliés dans la bataille de la mer de Bismarck, où moins de 150 avions les plus divers de la 5ème US Air Force ont coordonné leurs tactiques par des bombardement par vagues, du mitraillage au sol et des largages de précision au point qu’un convoi entier Jap a été envoyé par le fond. Tout cela en étant toujours à portée d'une force aérienne japonaise numériquement supérieure.


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Traduction de la légende. Un objectif important dans la course depuis les îles du Pacifique vers le Japon  a été la neutralisation de la grande base japonaise de Rabaul. Ici, une partie de l'aérodrome de Rabaul est attaquée par des bombes à parachute de haute précision. Rabaul fut soumis à un feu aérien si constant que nos forces terrestres n'ont même pas eu à combattre pour la capturer.


Tous ces échecs se résument à une seule chose. L'exécution des plans japonais n'a jamais été à la hauteur des exigences grandioses de leur stratégie. Ils ont finalement appris que même les ambitions exquises des Fils du Ciel ne pouvaient surmonter les limites du Jap commun, un simple mortel que l’on empêchait de réfléchir par lui-même.

Mais parfois, nous avons simplement eu de la chance, beaucoup de chance. Nous devons l'admettre. Nous avons eu la chance, pendant les premiers mois de la guerre, de combattre un ennemi mentalement incapable d'exploiter son avantage. Nous avons eu la chance que les Japs n'aient pas jeté tout ce qu'ils avaient à Oahu. Et nous avons eu de la chance à Port Moresby quand le général MacArthur les a pris pour des nuls avec un superbe bluff alors que son jeu en main était théoriquement perdant. Après cela, la donne a changé du tout au tout, et toute la chance du monde n'aura pas pu aider les Japs à échapper à l'épreuve de force.

Lorsque l'offensive américaine commença à Guadalcanal le 7 août 1942, les Japs avaient déjà fait un bon bout chemin vers leur objectif d'isolement stratégique complet. À l’époque, les Alliés étaient repoussés en Inde, en Australie, à Hawaï, en Alaska, dans des bases si éloignées les unes des autres que seul, de temps à autre, un de nos sous-marins pouvait faire piteusement bonne figure, et seul le geste monumental de défi du lieutenant-colonel Doolitle put provoquer un séisme momentané au cœur même du Japon.

Bien que l'empire japonais fut vaste et que ses forces armées fussent redoutables, il était vulnérable. Le Japon avait des artères délicates et un cœur en mauvais état. La valeur des contrées qu'il avait annexées et celle des forces armées qui défendaient ces contrées était directement proportionnelle à la capacité de ses navires à les approvisionner, à maintenir la puissance militaire des forces d’occupation et à ramener au Japon les matières premières tirées de ces contrées ce qui permettait de mener une guerre moderne. Détruisez les navires des liaisons maritimes, et le Japon ne sera plus que quatre îles sans empire, quatre îles sur lesquelles se trouvent quelques dizaines de villes faites pour brûler, dans lesquelles sont concentrés les gens et l'industrie qui, ensemble, constituent la machine de guerre japonaise. Détruisez la navigation nipponne et brûlez les villes japonaises et tout le complexe militaire et industriel de l'empire japonais sera comme une marionnette abandonnée, sans cordes et sans la main du marionnettiste pour lui donner vie.

Telles étaient les conceptions de base de la stratégie américaine, une guerre d'usure contre la marine marchande japonaise qui serait menée sur un front à la taille d’un océan et qui coïnciderait avec une poussée de nos forces en apparence en direction directe des îles intérieures du Japon mais en réalité vers des positions d’où des bombardiers lourds à longue portée basés à terre pourraient aller sectionner les artères vitales du Japon et le frapper au cœur.

Le cours de l'offensive alliée a été déterminé à Guadalcanal. La route semblait longue jusqu'à Tokyo. Elle l'était. La bataille victorieuse de Guadalcanal semblait être un début plutôt modeste. Il l'était. Beaucoup d'hommes, de temps et d'efforts de guerre avaient été nécessaires pour acquérir ce qui semblait être un simple trou de boue dans la jungle.

Mais ce trou de boue en valait la peine. La réaction des Japonais à notre débarquement a été une preuve suffisante de sa valeur stratégique. Mais l'opération Guadalcanal a été plus rentable que le terrain conquis, ce trou de boue. Nous avons théorisé sur les perspectives potentielles de Guadalcanal, et c’est un geyser qui a jailli. La théorie pour attaquer à Guadalcanal était qu'une force alliée, travaillant avec un terrain d'aviation et quelques avions (un trou boueux dans la jungle et des chasseurs obsolètes feraient très bien l'affaire), pourrait battre les Japs et éventuellement les pousser vers une défaite décisive. C'est ce que nous avons fait. Avec la confiance et la promesse d'un dispositif accru sous la forme d'avions, de navires, d'équipements et d'hommes plus nombreux et meilleurs, les perspectives de développer l’expérience de Guadalcanal  en une véritable aubaine semblaient excellentes. Avec la victoire à Guadalcanal, nous pouvions désormais aller de l'avant.

La technique de la guerre triphibie (NdT- traduction à ma sauce de "triphibious warfare", une formule inventée pat Churchill pour désigner les opérations amphibies impliquant les trois armes) a évolué et s'est tellement standardisée dans son schéma qu'elle en est devenue presque un rituel.

Voici ce schéma standard, appliqué île après île. D’abord les sous-marins étaient généralement les agents avancés, fouinant, harcelant, faisant des diversions et apportant l'enfer parmi les navires de ravitaillement ennemi. Puis, on faisait venir sur la scène des bombardiers de reconnaissance à longue portée, ou bien on envoyait une force aéronavale disposant de porte-avions faire une attaque brutale et soudaine sur les forces aériennes et les navires de transport de l’ennemi. Puis cette force d’attaque se retirait aussi vite qu’elle était venue avant que les Japs ne puissent faire jouer leur supériorité tactique. Ensuite, pendant quelques semaines voire quelques mois, des bombardiers basés à terre prenaient le relais pour maintenir la base ennemie sous tension permanente, neutraliser peu à peu ses installations aériennes, ses positions de tir et ses points forts.  Puis, au bon moment, notre force de débarquement arrivait, escortée par une force d'intervention appropriée qui faisait jouer toute son artillerie navale et toute sa puissance aéronavale pour bien aplanir la voie à nos forces terrestres. Elles établissaient d’abord une tête de pont, d’où elles avançaient aussi vite que possible vers l'intérieur des terres. Ensuite, une fois une bonne partie de l’île conquise, les forces du génie, le plus souvent les Seabees, prenaient le relais des troupes avancées avec leurs bulldozers et leurs fusils et, en un rien de temps, un terrain d'aviation tout neuf, sorti de nulle part, était prêt. Des avions commençaient alors à arriver, d'abord les avions de repérage d'artillerie, puis les chasseurs et les chasseurs de nuit, puis enfin les bombardiers ; et alors l'endroit était déclaré sûr. Une possession Jap disparaissait de leur liste et, aussitôt, nous commencions à nous intéresser à une autre, toujours de plus en plus proche du Japon.


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Traduction de la légende. Les Japs frappaient fort contre nos forces de rassemblement dans le sud. Ici, un de nos Liberator est en feu à Funafuti après une attaque à 4 heures du matin, le 22 avril 1943. Mais à mesure que nous étranglions les liaisons maritimes de ravitaillement des Japs et que notre puissance militaire augmentait, nous les avons poussés de plus en plus sur la défensive.


Pendant longtemps, notre jeu a été plutôt vaseux et notre progression plutôt lente, mais fin 1943, l'offensive alliée a commencé à prendre de la vitesse. A ce moment-là, nous avions une supériorité certaine, quantitative et qualitative, en matière de navires, d'avions, d'équipement et de technique. Le général MacArthur est allé d’île en île en direction des Philippines ; Kwajalein et Eniwetok sont tombés suite à de courtes campagnes intenses, la première en 4 jours seulement en février 1944 et la seconde en six jours fin février 1944. C’est alors que les forces opérationnelles de la Marine, qui n’étaient pas attachées aux opérations de soutien direct, ont fait jouer leurs muscles et sont alors allés défier l'ennemi directement dans ses fiefs tant convoités, lui administrant une bonne gifle en pleine figure pour lui démontrer nettement que le jeu qu’il avait commencé à Pearl Harbor était devenu pour nous une sorte de hobby.

Le 15 juin 1944 fut le jour où l'offensive américaine atteignit sa vraie ampleur et passa à la vitesse supérieure. C'est le jour où les Superforteresses B-29 basées en Chine ont projeté leur ombre sur Yahata et le Japon après le raid de Doolittle. C’est le jour où nos forces ont débarqué à Saipan. C'est le jour où le haut commandement japonais a dû admettre, du moins pour lui-même, que son beau rêve d'isolement de l’Empire s'était transformé en un horrible cauchemar.

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Bombardiers B-29 Superforteresse se préparant le 15 février 1944 quelque part en Chine à partir pour la première mission de bombardement au cœur du Japon depuis le raid de Jimmy Doolittle en 1942.

À suivre ...

Dernière modification par philouplaine (07-10-2021 13:45:13)


ouaf ouaf ! bon toutou !!

Hors ligne

 

#2 [↑][↓]  16-09-2021 09:23:17

philouplaine
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Re: [Réel] 1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

SECONDE PARTIE



Après notre conquête des Mariannes, nous étions enfin en mesure, avec nos B-29, de mener une guerre d'usure stratégique contre l'empire japonais. À partir de ce moment, l'augmentation de la force des Alliés commençait à aller de pair avec la détérioration de la capacité de riposte des Japonais. Nous étions prêts à enclencher une tornade de destructions à laquelle il serait impossible aux Japs d'échapper. Dans cette série de sauts d’île en île, si les Japonais décidaient de reculer un cran plus loin sans combattre, nous avancions plus rapidement. S'ils choisissaient de résister et de se battre, nous les anéantissions et nous aurions beaucoup moins d’adversaires à combattre dans l’île suivante. À Kwajalein, 7810 des 8100 japs défendant l’île furent tués, contre une perte de 400 hommes pour nos forces.

C'était aussi simple que cela, car les Alliés avaient amassé une puissance titanesque. Les Japonais ne pouvaient pas s'y opposer et il n'y avait aucun endroit où ils pouvaient aller pour s'en sortir. Ils n'avaient rien d’inamovible à placer entre eux et notre force irrésistible. Finalement, ils n'avaient plus qu'un seul choix : se rendre ou être anéantis.

La route vers Tokyo a commencé là où il fallait, là où nous avons cessé notre retraite après avoir été chassés des Philippines, des Indes orientales, de tous les endroits à portée du Japon.
Cette route fut un long voyage, effectué sur un pont dont les travées ont été poussées en avant les unes après les autres, après avoir ancrées chaque pile du pont à des bases gagnées par la force combinée des armées de terre, de mer et des airs. Ce rapport va vous montrer comment nous sommes arrivés à notre point de départ, et comment les US Army Air Forces ont aidé à construire et à utiliser ce pont.

Le premier jour de la guerre, nous avons perdu les deux tiers de la totalité de nos avions basés dans le Pacifique. Hawaii a été effacée comme source possible de renforts immédiats pour nos troupes dans les Philippines. Et aux Philippines, où les attaques ennemies devenaient continuelles, contrairement à ce qui s’était passé à Pearl Harbor, nos avions furent rapidement tous abattus. La grande phase de mise hors service de nos forces par les Japs était en cours, le 19ème Groupe de Bombardement quitta les Philippines et emmena ses 14 B-17 en Australie, puis de là à Java pour une brève mais futile intervention. Le 24ème Groupe de Chasse continua à apporter toute l'aide possible à nos troupes qui cédaient progressivement du terrain aux Philippines, mais son anéantissement local n’était plus qu’une affaire de jours avant la fin de 1941.

L'effort aérien pour tenir les Indes orientales néerlandaises rayonnait à partir d'une base aérienne principale à Malang, Java. La supériorité aérienne numérique du Japon (de 10 contre 1) et l'arrivée rapide de ses troupes d'invasion ont rapidement forcé l'abandon de tout espoir. Fin février 1942, l'évacuation fut ordonnée et, début mars, les avions de la 5ème US Air Force, autour de laquelle était construite la force aérienne de tout le Pacifique Sud-Ouest, se trouvaient tous en Australie.

L'Australie fut alors prise d'une grande angoisse. Les Japonais, qui avaient capturé d’un coup les Indes orientales néerlandaises, attaquèrent par air Port Darwin et d'autres villes du nord-ouest de l’Australie. Alors qu'ils attaquaient la 5ème Air Force, un autre volet de leur offensive générale fut lancé contre le nord de la Nouvelle-Guinée, les îles de l'Amirauté, la Nouvelle-Irlande, la Nouvelle-Bretagne et les îles Salomon. L'Australie fut alors coupée du nord. Les débarquements japonais de fin janvier 1942 à Kavieng, Rabaul et Bougainville montrèrent clairement que la ligne de ravitaillement de l'Australie en provenance des États-Unis était désormais menacée. Ces mêmes débarquements allaient protéger le flanc gauche de l'ennemi et servir de tremplin pour son invasion de l'île-continent.

La 5ème Air Force fortement étrillée par les Japs était arrivée en Australie en provenance de Java avec bien peu de bombardiers en état de combat et plus un seul chasseur. Du coup, cette force aérienne était négligeable, au moins jusqu'à ce que les renforts puissent arriver. L'Australie elle-même était à peu près dans la même situation. Les garnisons des avant-postes dans ses possessions insulaires du nord le long du détroit de Torres furent vite débordées. À un moment, il ne restait plus que 43 avions de combat opérationnels dans cette région. La gravité de la situation était évidente et les rapports des avions de reconnaissance faisant état d'une navigation ennemie intense à Rabaul augmentaient la tension. Juste au nord de l'Australie, dans le sud de la Nouvelle-Guinée, se trouve Port Moresby. Sa perte au profit de l'ennemi aurait rendu les bases aériennes de Townsville et d'autres villes du nord-est de l'Australie inopérantes, nous poussant à installer nos bases aériennes principales hors de portée de Rabaul. Lorsqu'au début du mois de mars 1942, un convoi japonais envoya des troupes à terre à Lae et Salamaua, dans le nord de la Nouvelle-Guinée, ce fut le signe que le nœud coulant du Japon sur l’Australie commençait à se resserrer. Les avions de deux porte-avions américains s'opposèrent alors au débarquement de Lae-Salamaua, réussissant à traverser la chaîne centrale du golfe de Papouasie et à couler 15 navires ennemis, mais cela n’empêcha pas le débarquement japonais de continuer.


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Des avions-torpilleurs Douglas TBD Devastator du porte-avion Yorktown attaquent des transporteurs de troupe japonais dans le golfe de Huon lors du débarquement de Salamaua, le 10 mars 1942.



1. MER DE CORAIL ET MIDWAY


L'ennemi toujours victorieux, agacé mais pas sérieusement inquiété par le raid de Doolittle sur Tokyo le 18 avril 1942, envoya un convoi dans la mer de Corail, visant Port Moresby. Deux porte-avions, sept croiseurs, 17 destroyers, 16 navires de guerre non identifiés, 21 transports de troupe  et deux sous-marins furent repérés par un avion de reconnaissance le 4 mai. Des unités de la flotte américaine, concentrées dans les eaux australiennes, se portèrent à son attaque. Des avions basés à terre bombardèrent les aérodromes ennemis de Lae et Rabaul pour les neutraliser, tandis que des avions de l’aéronavale attaquaient le convoi. Cette bataille de la Mer de Corail fut un engagement aérien. À aucun moment les unités de surface des deux flottes ne se trouvèrent à portée de tir l’une de l'autre. Le 9 mai 1942, la bataille était terminée, le convoi mis en déroute par les avions de nos porte-avions. Les Japs avaient subi leur première grande défaite de la guerre et Port Moresby avait retrouvé une nouvelle vie.

Puis vint l’événement qui allait ralentir le rythme de l'expansion japonaise et stabiliser le périmètre extérieur des conquêtes de l'ennemi dans le Pacifique. Le 3 juin, des navires de guerre japonais furent aperçus à l'ouest de Midway par un de nos avions de reconnaissance à longue distance. Les B-17 Forteresses de la 7ème Air Force partirent pour le premier assaut tandis que nos porte-avions, jusque-là poussés au repli, se mirent à portée d’attaque. Comme lors de la bataille de la Mer de Corail, il n'y a pas eu de contact entre les forces de surface et, comme lors de l'engagement précédent, les Japs ont subi une défaite cuisante. Quatre porte-avions, deux croiseurs, trois destroyers et un transport ont été coulés, d'autres ont été endommagés et 275 avions ennemis ont terminé à l'eau. Nous avons perdu un porte-avions, un destroyer, 150 avions, deux B-17 et deux Marauders. La flotte des porte-avions de notre Marine avait démontré magistralement sa supériorité sur les Japs, avait épuisé les forces aéronavales de l'ennemi de façon si brutale que jamais plus l’Empire du Japon ne put frapper aussi rapidement, avec autant de force, et sur une aussi vaste zone que ce qu’il avait fait jusque-là.

Alors que la force Jap d’attaque de Midway se dirigeait vers le désastre, un autre groupe de navires jouait à cache-cache dans le brouillard des Aléoutiennes. Le 3 juin 1942, ce groupe perdit un avion au-dessus de notre base secrète d'Umnak, c’était un zéro qui par chance tomba intact entre nos mains. Le lendemain un groupe d’attaque japonais attaqua Dutch Harbor. Des chasseurs de Cold Bay et d'Umnak décollèrent à sa rencontre, et nos bombardiers cherchèrent le porte-avions d’accompagnement. Quelques contacts furent signalés ici et là, et un porte-avions japonais fut endommagé, mais la météo était si mauvaise que le contact visuel sur les navires ennemis ne durait au maximum que quelques minutes seulement. Les Japonais en profitèrent pour se replier sous le couvert du brouillard et, une semaine plus tard, un de nos avions de reconnaissance les repérait bien installés sur les îles de Kiska et d’Attu.


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Le chasseur Mistubishi Zero aux couleurs américaines, capturé lors de l’assaut des japonais sur Dutch Harbor le 3 juin 1942. Connu sous les appellations du "Zero Akutan" ou encore "Zero Koga" ou le "Zero des Aléoutiennes", c’était un modèle 21 du Mitsubishi A6M Zero. Il s’était écrasé sur l'île d'Akutan, dans le territoire de l'Alaska, et avait été retrouvé intact par les Américains en juillet 1942. Il fut réparé, envoyé en Californie et piloté par des pilotes d'essai américains. Grâce aux informations obtenues lors de ces essais, les tacticiens américains ont pu concevoir des moyens de vaincre les chasseurs Zero, qui fut le principal avion de chasse de l’aéronavale japonaise pendant toute la guerre.


2. NOS DEBUTS EN NOUVELLE-GUINEE


Le coup d’arrêt donné à Midway ralentit l'ennemi, et brisa la morosité qui régnait auparavant et dans laquelle les Alliés s’étaient englués, mais il n’élimina pas la tension en Australie ni la menace qui pesait sur Port Moresby. Moresby subissait des attaques aériennes incessantes ; c’était trop risqué d’y baser nos bombardiers lourds. Les bombardiers lourds qui se rendaient à Rabaul, partait de leur base de Townsville, faisaient le plein à Port Moresby, allaient frapper Rabaul et repartaient en Australie. Mais Port Moresby était un élément clé de la promesse faite par MacArthur de retourner aux Philippines. Le général George C. Kenney, qui prit le commandement de la 5ème Air Force à ce moment, donna l'assurance qu'avec les quelques avions dont il disposait, plus les renforts attendus, il pourrait obtenir et conserver la supériorité aérienne. Ainsi, malgré les attaques aériennes continues et la possibilité toujours présente d'un assaut depuis la mer, notre base à Port Moresby se développa au cours du printemps et de l'été 1942, avec les sept pistes d'atterrissage d’un aérodrome tout neuf qui prenaient forme. C'était la base que nous devions avoir pour échanger des coups avec l'ennemi, la base à partir de laquelle nous pouvions atteindre et frapper durement Rabaul.

Moresby ne pourrait tenir le coup que si les avions de Kenney pouvaient répondre aux attaques aériennes continuelles des Japonais et les repousser, et pouvaient faire payer les Japs très cher tout en s’économisant. Ils ont dû le faire avec beaucoup trop peu d'avions qui devaient voler beaucoup trop d'heures chaque semaine. Ils ont dû le faire avec des avions qui ne pouvaient pas égaler le Zéro en termes de maniabilité, de vitesse de montée ou de vitesse de vol en palier. Mais ils disposaient de certains outils qui manquaient aux Japs. Ils avaient des B-17, la Forteresse Volante, une arme qui pouvait atteindre toutes les principales bases de l'ennemi à partir de bases distantes et donc relativement épargnées des attaques en retour. Ils disposaient d'avions de chasse construits pour la défense comme pour l'attaque et qui ne devenaient pas des torches subitement enflammées en réponse à la gâchette d’un adversaire. Ils avaient aussi des hommes qui faisaient preuve d'ingéniosité en matière de maintenance, de vol et de tactique. Ce sont ces qualités qui ont permis à la 5ème Air Force de s’installer à Port Moresby pendant le printemps et l'été 1942.

Puis, fin juillet 1942, les Japs débarquèrent à Buna, Gona et Sanananda sur la côte nord-est de la Nouvelle-Guinée, juste de l’autre côté de la chaîne montagneuse centrale Owen Stanley. Ils commencèrent à remonter la piste de Kokoda tandis que les Australiens menaient des combats d’harcèlement tout en faisant retraite. Kokoda tomba et  les Japs continuèrent leur poussée vers le col de la montagne, menaçant Port Moresby, qui était de l’autre côté de la montagne. Puis la situation commença à changer à Port Moresby. Les troupes qui y étaient installés se déplacèrent pour aller à la rencontre de l'ennemi dans la jungle des montagnes. Les pilotes de la 5ème Air Force décidèrent d’aider les troupes impliquées, inventant ainsi le soutien aérien aux troupes au sol dans des conditions extrêmement difficiles. Alors qu'ils mitraillaient et bombardaient les Japs le long de la piste et frappaient les dépôts de ravitaillement, ils le faisaient le plus souvent sans voir leurs cibles, cachées dans la jungle. Ils n'avaient que de vagues points de repère dans un mélange confus d'arbres, de vallées et de crêtes. Mais ils les frappaient, ainsi que les aérodromes et la navigation côtière. Ils volaient tant que les avions étaient réparés avec des bouts de fil de fer trouvés ici ou là, puis ces avions ainsi rafistolés repartaient en mission. Les mécaniciens étaient les rois de l’improvisation. De vieux Bell P-400 (des Airacobras P-39 modifiés fabriqués pour les Britanniques et envoyés en urgence sur le théâtre du Pacifique) étaient transformés en bombardiers en piqué avec chacun une bombe de 500 livres placée sous son fuselage. Et lorsque les Australiens cessèrent de céder du terrain et arrêtèrent les Japs à seulement 50 km de Port Moresby, la 5ème Air Force joua son plus grand rôle dans la campagne, déclenchant le début de la guerre des sauts d’île en île voulue par MacArthur.

Avec la région de Gona et Buna aux mains de l'ennemi, Port Moresby ne serait jamais en sécurité, Rabaul ne pourrait pas être neutralisé et une offensive partant du Sud-Ouest du Pacifique vers Tokyo ne pourrait pas être lancée. La campagne de Papouasie a démarré par une poussée terrestre de nos forces le long la piste de Kokoda, avec le transport aéroporté de 15 000 hommes à travers les montagnes près de Buna. Le Troop Carrier Command (TCC) transporta d’abord des ingénieurs avec du matériel de construction pour construire des pistes d'atterrissage provisoires. Puis le TCC fit atterrir sur ces pistes provisoires des troupes et leur équipement. Le manque d'avions était aussi aigu pour le transport que pour le combat, et, souvent, les bombardiers lourds au retour d’une mission de bombardement repartaient avec leurs soutes chargées d'artillerie. Les forces terrestres étaient dépendantes de l'approvisionnement aérien en nourriture, en munitions et en équipement. Cette route de ravitaillement aérien était bichonnée et, souvent, son terminus provisoire était à portée d’armes des Japs. Nos blessés étaient évacués sur les vols de retour. Le 2 janvier 1943, Buna tomba en nos mains et la menace sur Port Moresby prit fin. La première travée du pont de MacArthur pour Tokyo était enfin en place.

Entre-temps, à la fin de l'été 1942, la campagne des îles Salomon fut lancée. Son objectif immédiat était également la sécurité de l'Australie. L'invasion des Salomons par les Japonais en mai 1942 avait poussé le tranchant du couteau japonais tout près de l'artère de ravitaillement australienne. Toute la poussée vers les Philippines dépendait de la transformation de toute l'Australie en un formidable entrepôt d'hommes et de matériel. Cette stratégie fut mise en danger à un degré critique lorsque Guadalcanal, l’île des Salomons où se trouvait la capitale de l’archipel, fut occupée par les Japonais. Guadalcanal devait être reprise.


3. LA CAMPAGNE DES SALOMON


Des avions de l'armée de l'air, regroupés plus tard au sein de ce qui sera la 13ème Air Force, lancèrent des attaques depuis l'île d'Espiritu Santo sur les positions japonaises de Guadalcanal et de Tulagi, tandis que les avions de la 5ème Air Force frappaient à Rabaul. Les pilotes de l’aéronavale et du corps des Marines se mirent à parcourir le ciel des îles Salomon, attaquant les navires et les aérodromes, en préparation du jour de l'invasion. Le 7 août 1942, les Marines débarquèrent sur Guadalcanal. Pendant trois mois critiques, ils combattirent les Japs à armes égales. Les forces alliées étaient à peine suffisantes et l'ennemi déversait en permanence des renforts depuis Rabaul. Mais nos patrouilles navales et aériennes incessantes et les attaques contre leurs navires diminuèrent progressivement la capacité des Japs à renforcer leurs troupes de plus en plus défaillantes, et le cours de la bataille changea.

Fin octobre 1942, nous avions la supériorité aérienne et à la mi-novembre, des bombardiers lourds décollaient de l’aérodrome Henderson Field de Guadalcanal. La bataille de Guadalcanal était une victoire, mais le nettoyage de l’île ne fut terminé qu’en février 1943. Guadalcanal a été le premier pas vers Rabaul et fut suivi par l'invasion des îles de Nouvelle-Géorgie dans les Salomon centrales à la fin de juin 1943 et par l'invasion de Bougainville le 1er novembre 1943. Ces objectifs atteints, Rabaul était alors à portée des chasseurs de la 13ème Air Force. Son port et ses aérodromes furent alors soumis sans arrêt à des attaques aériennes quotidiennes. Mais Bougainville ne fut pas prise facilement. Les combats au sol étaient âpres et coûteux en pertes humaines. L'ennemi frappait avec sa pleine puissance aérienne encore et encore, mais dans cet effort acharné il rencontra des pilotes mieux équipés et plus rusés et ses pertes devinrent écrasantes. Lors des combats aériens, ses pertes atteignirent un ratio incroyable de 10, 20, voire même 30 avions abattus contre 1 pour nous. À la fin de l'année 1943, l'accumulation des pertes ennemies et l'augmentation de la production américaine nous montrèrent clairement que la destruction totale de l'armée de l'air japonaise n'était plus qu'une question de temps.

Alors que Guadalcanal et Port Moresby étaient sécurisés et que les premières avancées se faisaient au-delà sur le théâtre du Pacifique Sud-Ouest, d'autres événements montraient que les Alliés étaient plus forts jour après jour en cette année 1943. Sur le théâtre des Aléoutiennes, une force amphibie contourna l’île de Kiska, occupée par les japonais, et débarqua sur Attu en mai 1943. Cette ancienne île américaine avait été bombardée de temps en temps depuis nos bases d’Adak et d’Amchitka, mais la persistance de nuages bas sur Attu rendait ces attaques aériennes moins profitables que celles menées sur Kiska. Le débarquement sur Attu fut donc une manœuvre de surprise, passant au large de l'île la plus fortement défendue. Attu tomba le 2 juin et les forces américaines étaient désormais interposées entre  l’île Kiska et sa base de ravitaillement dans le nord des Kouriles. Le 15 août 1943, les troupes canadiennes et américaines débarquèrent sur Kiska et virent aussitôt que la tactique du contournement avait été très efficace. Il n'y avait plus un seul Jap sur Kiska. Ils s'étaient retirés fin juillet sous le couvert d'un front météorologique si épais qu'un des destroyers japonais qui couvrait cette évacuation aperçut soudain les roches de l'île Petite Kiska droit devant, crut qu'il s'agissait d'un navire de guerre américain et ouvrit le feu. Non seulement le sol américain avait été libéré de l'envahisseur lors de la campagne des Aléoutiennes, mais désormais les bombardiers de la 11ème Air Force pouvaient aller frapper les îles Kouriles. Ces attaques, qui se multipliaient à mesure que les aides à la radionavigation et les radars réduisaient la nécessité d'avoir du beau temps pour voler, conduisirent les Japs à envisager sérieusement la possibilité d'une attaque du Japon par le nord. Cela les obligea à immobiliser dans les Kouriles des hommes, des avions et des navires qu'ils ne pouvaient plus affecter sur leur flanc sud qui s'effondrait.


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Le 5 mai 1944, sur le terrain Casco de l’île d’Attu, l’équipage d’un bombardier PV-1 Ventura de l’escadrille VB-135 de l’aéronavale, se prépare pour la première mission de bombardement des bases japonaise aux Kouriles.


Sur le théâtre du Centre Pacifique aussi, les choses commençaient à se gâter pour les Japs. L'atoll Wake était bombardé de temps à autre par les bombardiers de la 7ème Air Force depuis leur base de Midway. Mais comme la plupart des avions de la 7ème Air Force étaient mobilisés pour l’offensive des Salomon sous la protection des chasseurs de la 13ème Air Force, les attaques aériennes depuis Midway avaient une portée limitée. En avril 1943, cependant, les bombardiers de la 7ème Air Force commencèrent à cibler les îles riches en phosphate de Nauru et de Tarawa, dans les Gilbert. Ces îles continuèrent à être attaquées occasionnellement puis, à partir de septembre 1943, les avions de l'armée de l’air et ceux de l’aéronavale terre et de la marine s'unirent pour attaquer en force, c’est le moins que l’on puisse dire, Tarawa. La puissance offensive des États-Unis, qui en 1944 balaya tout le Pacifique, commençait à s’assembler.


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Vue oblique de l'île Tarawa pendant l'invasion des Marines américains durant l’opération "Galvanic". Pointe sud-ouest de l'île montrant les emplacements des canons lourds japonais et les tranchées. Photographie prise par l’un des avions du porte-avion USS Chenango (CVE-28) le 22 novembre 1943.


4. CAMPAGNES DE LA NOUVELLE-GUINEE ET DES MARSHALL


La reconquête de la Nouvelle-Guinée, qui fut déclenchée à partir de l’Australie par Buna et Gona, nécessitait avant tout deux choses : empêcher les Japs de recevoir des renforts, et protéger les troupes alliées contre les attaques aériennes. La 5ème Air Force accepta de se charger des deux. La première obligation, empêcher les renforts Japs, fut assurée de manière spectaculaire lors de la bataille de la Mer de Bismarck.

Les bombardiers du général Kenney, présents partout à la grande surprise des japonais, parcouraient les côtes et la mer de plus en plus fréquemment à mesure que le 5ème Air Force gagnait en puissance. Le 1er mars 1943, un Liberator de reconnaissance repéra un grand convoi japonais avec une escorte de destroyers qui se dirigeait vers l'ouest au large de la côte nord de la Nouvelle-Bretagne en provenance de Rabaul. Il transportait du ravitaillement et plus de 12 000 hommes en renfort pour la position de Lae. Lorsque la nouvelle de cette "prune bien juteuse" (NdT – "juicy plum" en anglais, expression américaine typique)  fut envoyée par radio à la base, des B-17 Forteresses Volantes furent aussitôt envoyées pour l’attaquer. Le convoi, cependant, était caché sous un front très nuageux et le contact ne fut pas établi, les B-17 rentrèrent bredouilles. À l'aube du jour suivant, la 5ème Air Force rassembla tous ses avions, envoyant ses Douglas A-20 Havoc pour attaquer l'aérodrome de Lae pour le neutraliser pendant que tous ses B-24 Liberator, tous ses B-17 Forteresses et la totalité de ses chasseurs P-38 Lightning partaient à l'attaque du convoi. Le convoi fut repéré et bombardé à moyenne altitude. Quatre navires furent alors coulés. Plus tard dans la journée, des Forteresses Volantes l’attaquèrent à nouveau alors que les navires du convoi manœuvraient pour se réfugier sous une ligne de grains. Cette nuit-là, la météo changea du tout au tout et, au matin, le convoi entrait dans le golfe de Huon sous un ciel clair. C'était le jour du jackpot pour nous.

Les tests effectués par le Proving Ground Command à la base aérienne d’Eglin Field non loin de Pensacola en Floride, avaient établi la faisabilité d'un bombardement efficace de navires à très basse altitude (à hauteur des mâts), une attaque latérale à très basse altitude avec la bombe larguée directement dans le flanc du navire. Cette attaque était synchronisée avec un bombardement simultané à haute altitude  et des chasseurs d’escorte. Rapides à saisir ces nouvelles idées, les Forteresses Volantes de la 5ème Air Force tentèrent avec succès des attaques à basse altitude sur des navires dans le port de Rabaul la nuit. Les B-25 Mitchell et les A-20 Havoc de la 5ème Air Force s’entrainèrent, entre deux missions de combat, à cette nouvelle technique sur une vieille coque dans le port de Port Moresby. Les B-25 furent modifiés pour gagner en sécurité et en puissance de feu, grâce à une modification du nez de l’appareil en l’ornant de pas moins de 8 mitrailleuses de calibre 12.7 mm.

Ainsi, le 3 mars 1943, le convoi japonais, qui ne se doutait de rien, allait à son rendez-vous avec l'éternité.  En entrant dans le golfe Huon, les Bristol Beaufighters de la Royal Australian Air Force attaquèrent les premiers, mitraillant les destroyers de protection du convoi. Après cette première attaque, la défense anti-aérienne du convoi était réduite à presque rien. Les bombardiers lourds entèrent alors dans la danse, choisissant leurs cibles à moyenne altitude et faisant des passages répétés de bombardement. Puis les bimoteurs Mitchell et les Havoc attaquèrent à leur tour en créant la surprise chez l’adversaire. Ils arrivaient en rase-motte, mitraillant d’abord avec leurs huit mitrailleuses de nez les ponts des navires qu’ils avaient pris pour cible puis larguant leurs bombes juste avant de s’élever dans les airs en frôlant les mâts du navire ciblé. Pendant ce temps,  les Lightning d’escorte engageaient les chasseurs japonais envoyés pour protéger le convoi. À la nuit tombée, le convoi n’existait plus, les huit navires transporteur de troupe avaient tous été coulés et quatre des huit destroyers d’escorte aussi. Aucun des 12 000 soldats envoyés en renfort n’arriva vivant à Lae. Le lendemain, les attaques sur l'aérodrome de Lae furent menées pour empêcher les japonais d’envoyer des avions pour secourir les survivants. Le 5 mars, les Beaufighter et les Mitchell achevèrent ce travail en allant mitrailler tous les radeaux et canots de sauvetage partout où cela était possible. La puissance aérienne terrestre avait démontré que lorsqu'elle était correctement utilisée, elle pouvait arrêter tout envahisseur avant que le port ne soit même en vue. À partir de ce moment, les Japs furent contraints de faire avancer leurs troupes le long de la côte de Nouvelle-Guinée la nuit, dans des barges camouflées qui longeaient le rivage et s'abritaient à l'approche de l'aube. La première obligation de la 5ème Air Force, empêcher les renforts d’atteindre la Nouvelle-Guinée, avait été tenue.


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Vue d’une frégate japonaise en feu et train de couler suite à l’attaque à très basse altitude de trois bombardiers B-25 Mitchell de la 5ème Air Force. Ces attaques venaient s’ajouter à leurs autres missions de lutte anti-soumarine et de dépôt de mines pour étrangler les navires japonais et couper l'approvisionnement des bases avancées japonaises, dont beaucoup furent complètement isolées.


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Un transport de troupe japonais tentant d’échapper aux bombardiers lors de l’attaque du convoi dans le Golfe Huon, le 3 mars 1943.

À suivre ...


ouaf ouaf ! bon toutou !!

Hors ligne

 

#3 [↑][↓]  16-09-2021 09:30:56

philouplaine
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Re: [Réel] 1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

TROISIEME PARTIE




4. CAMPAGNES DE LA NOUVELLE-GUINEE ET DES MARSHALL (suite)


Le deuxième objectif fixé à la 5ème Air Force était la protection des troupes contre les attaques aériennes ennemies. Cette obligation impliquait la destruction de l'armée de l'air japonaise sur place dans une proportion telle que tout renfort éventuel devenait téméraire pour les Japs. Cet engagement a été rempli grâce à notre suprématie dans les combats aériens, par des attaques surprises sur les aérodromes ennemis, et par la construction de plus en plus d'aérodromes pour nos avions.

Après la conquête de Buna, l’étape suivante pour les forces de MacArthur était la ville de Lae en Papouasie occupée. Non seulement Lae était dans la bonne direction pour le grand mouvement vers les Philippines, mais sa possession serait un élément puissant dans la neutralisation de Rabaul. Pour soutenir l'offensive sur Lae, les hommes du génie commencèrent à tracer sur près de 300 km une route dans la jungle de Nouvelle-Guinée jusqu'à atteindre un lieu situé à une soixantaine de km au sud-ouest de Lae, le futur champ de bataille. Là, ils dégagèrent un grand terrain, posèrent une piste d’atterrissage provisoire et baptisèrent le tout : Marilinan Field. Dès que les avions de transport purent y atterrir, les premiers C-47 Skytrain apportèrent les hommes du 871ème régiment du génie aéroporté avec tout leur équipement et de nombreux canons anti-aériens. L’aérodrome fut vite agrandi et des pistes en dur aménagées. Il devint aussitôt la principale base à partir de laquelle Wewak fut attaquée. Quatre grands aérodromes japonais se trouvaient dans la région de Wewak, au nord-ouest de Lae) et tous abritaient des grandes quantités d'avions. Le grand show de Wewak, préliminaire à la phase intensive de la campagne terrestre  de Lae qui devait suivre, eut lieu le 17 août 1943. À l'aube, les bombardiers lourds lancèrent des bombes à fragmentation en grappes, des bombes classiques et aussi des bombes incendiaires. Ils furent suivis par des Mitchell et des Lightning qui se précipitèrent sur les aérodromes en lançant des bombes à parachute et en mitraillant tout ce qui était à leur portée. La même tactique fut utilisée le lendemain, toute la journée, les bombardiers bimoteurs remplaçant les bombardiers lourds et ainsi de suite. Puis vint un jour de repos pour les Japs, suivi de deux autres jours du même schéma d'attaque. Le résultat fut la destruction totale de 228 avions ennemis au sol et 81 abattus en vol contre la perte de 10 de nos avions seulement. Après cette attaque sur quelques jours, Wewak n'était plus qu’un gigantesque champ de ruines, qui ne jouerait plus aucun rôle dans la suite des événements.


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Des bimoteurs B-25 Mitchell bombardent Wewak à très basse altitude.


Quelques jours plus tard, un débarquement fut effectué à l'est de Lae, suivi par la première utilisation intensive de parachutistes sur le théâtre du Pacifique. Afin de positionner une force importante derrière les lignes japonaises à Lae, il fut décidé de capturer le site de Nadzab dans la vallée de Markham, là où se trouvait l’aérodrome de Lae. Après une préparation minutieuse, l’opération aéroportée fut un modèle de réussite. ce temps-là, les jaunes retranchés à Lae subissaient les attaques des Mitchell qui les mitraillaient et leurs balançaient des bombes à fragmentation sans arrêt, alors que les avions transportant les parachutistes pour Nadzab se promenaient tranquillement au-dessus d’eux. Un groupe de Douglas A-20 Havoc largua d’abord au-dessus de Nadzab un vaste écran de fumée qui recouvrit les lieux. Derrière cet écran, 96 C-47 Skytrains arrivaient avec 1 700 parachutistes américains à leur bord. En un rien de temps, Nadzab était à nous et une semaine et demi plus tard, Lae capitula le 16 septembre 1943. Les fantassins qui occupèrent les aérodromes de Lae y trouvèrent un vrai dépotoir d'avions détruits, le souvenir de la visite de la 5ème Air Force.


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Tout petit devant les nuages de fumée produits pour les dissimuler, des C-47 des forces aériennes de l'armée américaine larguent un bataillon du 503ème régiment de parachutistes à Nadzab, en Nouvelle-Guinée, le 5 septembre 1943, lors de la première opération aéroportée du Pacifique. Un bataillon largué quelques minutes plus tôt atterrit au premier plan.


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Épaves d’avions japonais détruits à Lae.


Toute la zone du golfe de Huon fut reconquise quelques jours plus tard avec la capture de la ville de Finschafen sur la péninsule de Huon au nord de Lae en octobre 1943. Le passage de cette zone de la Papouasie sous notre contrôle total eut comme conséquence de réduire l'importance de Rabaul et de protéger notre flanc lors des futurs sauts que nous mènerions vers l'ouest le long de la côte nord de la Nouvelle-Guinée.

À la fin de l'automne 1943, voici quelle était notre situation dans le Pacifique : au nord, les Japs avaient été chassés des Aléoutiennes et renvoyés aux Kouriles ; sur le théâtre du Pacifique central, les îles tenues par les Japs subissaient des attaques fréquentes ; sur le théâtre du Sud-Ouest du Pacifique, la base-clé de Rabaul, qui menaçait à la fois de couper la route de ravitaillement vers l'Australie et de l'envahir, était directement menacée d'isolement.

Les Japs à Rabaul possédaient toujours une formidable force aérienne, mais elle était maintenue à un coût terrible car nos avions l’attaquaient à un rythme croissant. Même le port commença à perdre de son importance lorsque les îles sous contrôle japonais que Rabaul renforçait constamment en hommes et en ravitaillement commencèrent à tomber les unes après les autres aux mains des Alliés.

Tarawa et Makin, dans l’archipel des Gilbert, furent envahis le 20 novembre 1943. Les Marines débarquèrent après sept jours d'une offensive aérienne intensive. Les forces japonaises présentes sur les îles Marshall, au nord de Tarawa, furent immobilisées par des attaques aériennes simultanées. La conquête de Tarawa marqua de fait la fin de l’envoi de renforts pour Rabaul et, donc, pour toutes les autres îles qui dépendaient des renforts de Rabaul. Mais, plus que cela, elle établit la première pile de ce qui allait être notre pont vers Tokyo dans le Pacifique central.

Notre stratégie de l'avancée dans le Pacifique consistait à prendre d’assaut les bases dont nous avions besoin et à contourner les autres. Mais celles qui ont été contournées n'ont pas été oubliées. Ces positions contournées furent frappées encore et encore et encore. Et après avoir perdu toute possibilité d'utilité pour l'ennemi, sans que nous ayons besoin de les conquérir, ces quelques îles contournées où subsistaient des forces japonaises délaissées et totalement encerclées, devinrent des cibles d'entraînement pour nos nouveaux équipages ; des cibles qui pouvaient encore mettre un peu de feu anti-aérien pour épicer la formation de nos jeunes équipages avec un minimum de risques. Jusqu'à la fin de la guerre, Rabaul a ainsi subi un martèlement quotidien de nos bombardiers, bien que cette grande base japonaise ait alors complètement perdu son rôle d'entrave à notre poussée vers Tokyo après que le débarquement de Tarawa ait condamné ses renforts et que nos débarquements ultérieurs à Arawa et au cap Gloucester aient fini de l’encercler cette fois-ci par l'ouest.

L’archipel micronésien des Truk devint alors la base importante de l’ennemi, et l’archipel des Palaos émergea aussi comme une base importante désormais dans le nouveau schéma japonais de renforcement des zones avancées. Palaos n’était qu’à 1000 km à l’ouest des Philippines. Truk était à 1000 km au sud de Guam. Ces zones avancées japonaises allaient bientôt être perdues. Les forces opérationnelles américaines se déployèrent à nouveau en arrivant par l’est et en frappant simultanément Mili, Jaluit, Kwajalein, Wotge et Nauru, dans l’archipel des Marshalls, transformant les pistes de leurs bases aériennes en un champ de ruine et de corail en morceaux et laissant leur installations en flamme. Ces mêmes îles et d'autres situées à proximité furent la cible de bombardements quotidiens par nos Liberators. À la mi-décembre, des chasseurs et des bombardiers décollaient de l'île de Makin, nouvellement conquise, pour frapper les Marshall. Kwajalein fut conquise en quelques jours début février 1944 à la suite d’une brillante manœuvre qui prit les Japs totalement par surprise. Puis, nous sommes passés par la partie nord des Marshalls, en contournant  les îles tenues par les Japs qui étaient des points d'invasion évidents. Pendant tout le mois de février 1944, les aérodromes japonais des Marshall furent bombardés jusqu'à devenir inutiles et nos avions ont alors pu se diriger vers l'ouest pour immobiliser les grandes zones jap de rassemblement plus lointaines : Truk et Palaos. Quarante-deux Liberator ont bombardé Ponape dans les Carolines le 14 février, et deux jours plus tard, une force opérationnelle navale a sérieusement secoué le grand centre naval et aérien ennemi de Truk, abattant en une seule journée 127 avions et en en détruisant 74 au sol tout en ne perdant que 17 appareils. C'était une action programmée pour empêcher les Japs de Truk d’intervenir pendant l'invasion d'Eniwetok, où nos troupes débarquèrent le 17 février.

Tous les atolls des Marshall et des Gilbert ont été constamment attaqués par nos chasseurs et nos bombardiers à partir de ce moment-là. À mesure que nous avancions et capturions des îles clés, la pression aérienne de l'ennemi était partout maintenue à un faible niveau par la destruction incessante de leurs avions et de leurs aérodromes dans toutes les îles des alentours et aussi dans les Carolines, plus à l'ouest. Quatre grandes îles tenues par les Japs furent laissées de côté avec pour seule protection contre le soleil du Pacifique la fumée qui y était soulevée presque quotidiennement par nos attaques aériennes. Mili, Jaluit, Maloelap et Wotje restèrent jusqu'à la fin de la guerre aux mains des Japonais parce que nous le voulions ainsi. Elles furent aussi utilisées comme cibles d'entraînement pour nos nouveaux équipages, devenant ainsi une sorte de symbole du sort réservé aux contournés.


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Traduction de la légende. Kwajalein, dans le nord des îles Marshall, fut envahie à la suite d’une brillante manœuvre qui prit les Japs totalement par surprise car ils nous attendaient dans le sud. Cette photographie a été prise deux mois après l’invasion et elle montre la masse de nos avions prêts à s’élancer pour le prochain objectif du théâtre du Pacifique Central, les Mariannes.


Alors que les archipels des Gilbert et des Marshall étaient pris en main par la marine, les forces terrestres et la 7ème Air Force, la 13ème Air Force fit un saut aux îles de l'Amirauté au nord de nos positions du golfe de Huon en Nouvelle-Guinée. Cette Air Force devint un partenaire d’action de la 7ème Air Force aux Carolines, avec une attention particulière pour Truk.

Ces coups le long de la route du Pacifique central vers le Japon étaient portés alors que, plus au sud, les forces du général MacArthur se déplaçaient le long de la côte nord de la Nouvelle-Guinée vers l’ouest. Les fantassins se frayaient un chemin à travers les vallées intérieures parallèles à la côte et, alors qu'ils repoussaient les Japs petit à petit, les opérations amphibies mettaient d'autres troupes derrière les positions Japs pour les prendre en tenaille. La 5ème Air Force poursuivait sa destruction systématique de l'armée de l'air japonaise tout en faisant sauter les magasins, les installations défensives et les places fortes japonaises en Nouvelle-Guinée. Au cours de la dernière semaine de février 1944, pas moins de 900 sorties furent effectuées par la 5ème Air Force et 1 000 tonnes de bombes larguées sur les régions de Wewak, Madang, Alexishafen et Hansa Bay. Cette opération aérienne s’acheva par le débarquement du 5 mars 1944 à l'ouest de Saïdor, derrière les lignes japonaises. Hollandia, sur la côte de la Nouvelle-Guinée néerlandaise, était la principale base ennemie après la destruction de Wewak, avec les îles Schouten et les Halmaheras comme bases arrière. Mais Hollandia allait bientôt partager le triste sort de toutes les bases avancées japonaises en cette année 1944. Le 30 mars, des B-24 Liberator, escortés de P-38 Lightning et de P-47 Thunderbolt attaquèrent Hollandia. Le lendemain, d’autres B-24 escortés de P-38 lui donnèrent le coup de grâce. Le score final était : Japon, 219 avions détruits ou endommagés ; Etats-Unis, un seul P-38 perdu. Trois jours plus tard, une force de 300 B-24 Liberators,  B-25 Mitchell, A-20 Havoc escortés par des P-38 pulvérisa toute la zone. Lors des combats aériens entre l’escorte et les Japs, 26 avions ennemis furent abattus contre aucun pour nous.


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Carte de l’opération conjointe Aitape-Hollandia.


Hollandia en tant que un bastion ennemi avait été totalement rasé et n’existait plus et, le 22 avril 1944, nos troupes firent le grand saut depuis Lae pour s’y installer. Le même jour, grâce à un débarquement réussi de nos troupes à Aitape, une ville entre Hollandia et Wewak, un pare-feu préventif fut établi entre notre nouvelle place forte de Hollandia et les positions jap contournées. Puis, les unes après les autres, nos troupes capturèrent le 17 mai l'île de Wakde à 200 km à l’ouest d’Hollandia, l'île de Biak à 600 km à l’ouest d’Hollandia le 27 mai, Numfor le 2 juillet et le cap Sansapor, à l’extrémité occidentale de la Nouvelle Guinée, le 30 juillet. La Nouvelle-Guinée néerlandaise, était de nouveau entièrement sous le contrôle des Alliés. Le grand chemin jusqu'aux Philippines passait  désormais à travers les Moluques.


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Parachutage du 3 juillet 1944 sur Kamiri airfield sur l’île de Numfor. Traduction de la légende. Vue rapprochée d’une invasion aérienne. Nos bombardiers lourds ont d’abord pulvérisé cet aérodrome, Kamiri, avec 230 tonnes de bombes larguées. Puis, dans la foulée et avant que l’ennemi sonnés par ce bombardement ne puisse se ressaisir et organiser sa défense, nos troupes aéroportées sont larguées en masse aussitôt après le bombardement. Cette tactique fut constamment améliorée avec le temps.

5. LA POUSSEE VERS LES MARIANNES

Alors que MacArthur se trouvait à l'extrémité ouest de la Nouvelle-Guinée à la fin du mois de juillet 1944, les forces du Pacifique central, sous le commandement de l'amiral Nimitz, avaient pénétré dans les îles Mariannes d’où elles étaient prêtes à se déplacer soit vers le nord soit vers l'ouest. Elles atteignirent les îles Mariannes en une seule et même poussée, depuis les Marshalls, en passant au nord des Carolines, jusqu'à Saipan, à l’extrémité nord des Mariannes, le 15 juin. Cette opération s'était déroulée selon le schéma tactique habituel avec la neutralisation préalable de toutes les places fortes Jap environnantes. Des frappes quotidiennes furent effectuées simultanément sur les bases aériennes japonaises de Truk, Ponape, Woleai et Yap dans les Carolines. L'aérodrome de Peleliu, dans l’archipel des Palaos, fut la cible de cinq attaques en trois jours. Pendant que les 7ème et 13ème Air Forces  neutralisaient les bases aériennes des Carolines et des Palaos, des avions embarqués attaquaient Saipan, Tinian, Rota et Guam dans la zone d'invasion. La flotte commença à bombarder Saipan et Tinian deux jours avant le débarquement. Le jour J, les appareils des porte-avions menèrent des attaques soutenues sur les bases ennemies des îles Iwo Jima, Haha Jima et Chichi Jima, qui se trouvent à mi-chemin entre les îles Mariannes et le Japon. Ces attaques sur des bases à partir desquelles l'invasion aurait pu être entravée étaient accompagnées d'une diversion dans le théâtre nord Pacifique. La Marine bombarda l'île de Matsuwa, tandis que la 11ème Air Force bombardait Paramushiru et Shimushu dans les Kouriles du nord. Alors que la bataille pour Saipan progressait, les avions de l’aéronavale continuaient à mitrailler Guam, Rota, Pagan et Iwo Jima, tandis que les avions de l'armée de l'air se concentraient sur Truk, Woleai, Yap et Ponape. Les bases contournées de Rabaul et des Marshalls furent également attaquées quotidiennement.

La menace que faisait peser la poussée américaine sur les Mariannes était évidente et la flotte japonaise sortit alors de sa cachette. Le 19 juin 1944, la flotte ennemie fut repérée à l'ouest de Guam, aussitôt les avions embarqués attaquèrent cette grande flotte qui comprenait 9 porte-avions, 5 cuirassés, 13 croiseurs, 31 destroyers et 24 sous-marins. La bataille de la mer des Philippines qui s'ensuivit, et qui dura deux jours, s'inscrivit dans la série des engagements navals où tous les contacts entre les deux protagonistes ne se faisaient que par voie aérienne et où la flotte japonaise fut défaite à chaque fois. Durant ces deux jours, l'ennemi perdit 428 avions, y compris ceux qui furent détruits au sol sur les terrains d’aviation des îles Mariannes lors d’actions secondaires. Les pertes des japonais ont été de 17 navires coulés ou endommagés, dont 3 porte-avions coulés, et environ 3 000 hommes tués. Durant ces deux jours, la flotte américaine ne perdit que 122 avions et 72 hommes. Pendant presque toute l'action, les avions des porte-avions américains frappaient à peu près à la limite de leur rayon d'action et la plupart des pertes ont été dues à des amerrissages forcés lorsque l'avion était à court de carburant. La réaction aérienne de l'ennemi au débarquement de Saipan a été forte, mais notre supériorité aérienne n'a jamais été sérieusement mise en péril. Depuis les premières attaques aériennes du 11 juin, jusqu'à une situation relativement stabilisée le 28 juin, les Japs avaient perdu un total de 750 avions, contre seulement 128 pour nous. Le temps où les Zéros faisaient la loi au-dessus du Pacifique était bien révolu.

Cinq jours après le débarquement sur Saipan, un bataillon du génie de l’USAF commença à décharger son matériel sur le grand aérodrome japonais de l’île, qui venait d’être capturé, et le lendemain, soit le jour J plus 6, ces soldats du génie commençaient à réparer la piste de l'aérodrome qui fut aussitôt rebaptisé Isely Field. Au Jour J + 7, des P-47 Thunderbolt, transporté d'Hawaï par un porte-avion d’escorte, atterrirent à Isely Field et partirent aussitôt pour des missions d’attaque et de harcèlement des forces terrestres ennemies. Pendant ce temps, le génie élargissait et allongeait la piste existante, construite par les Japs. Ceci fait, le génie se tourna vers la construction d'une nouvelle piste pour accueillir les bombardiers lourds. Dans la nuit du jour J + 12, ils durent interrompre leur travail dans l’urgence, prendre leurs fusils et anéantir les 300 Japs qui avaient percé et arrivaient sur l’aérodrome dans une charge Banzai. Ce ne fut qu'une halte temporaire. L'opération Saipan est typique de la rapidité avec laquelle les ingénieurs de l'aviation peuvent préparer de nouveaux terrains d'aviation. Isely Field fut inauguré le 21 juin, il était opérationnel pour les chasseurs le 22 juin, pour les B-24 Liberator le 9 août, pour les B-29 Superforteresse le 15 octobre. Le génie déplaça 4 500 000 mètres cubes de corail et de terre, produisit 127 322 tonnes de ciment asphaltier, recouvrit près d’un km2 d’asphalte pour les pistes, les aires de roulage et les aires de parking d’Isely Field. Tout cela en travaillant 24 heures sur 24.

Après Saipan, se fut le tour de Guam le 21 juillet 1944, suivi de Tinian le 23 juillet. Ces deux invasions furent à nouveau précédées de bombardements aériens et navals intenses, en partie provenant des avions basés à terre sur Saipan. Ces îles étaient relativement bien sécurisées à la mi-août, bien que des japs isolés aient été faits prisonniers des mois plus tard.

Les avions du Air Transport Command, pour le transport des hommes, suivaient presque à la trace les avions de combat lorsque de nouvelles bases étaient prises. Les opérations de transport du personnel sur la longue route entre les théâtres d’opération du Pacifique et les Etats-Unis augmentèrent régulièrement en 1944 et en 1945. Pendant les neuf mois de guerre de 1945, les avions de l’ATC transportèrent 80 847 hommes entre les bases avancées du Pacifique et la côte ouest des Etats-Unis ou Hawaii, contre 75 560 en tout en 1944. De même, en 1945, jusqu'en septembre, le tonnage transporté par les avions de l’ATC a été de 39 518 tonnes de fret, contre 28 861 en 1944. L'évacuation des blessés vers les États-Unis, un facteur clé pour la réduction du taux de mortalité suite aux blessures, fur de 36 000 hommes en 1945 contre 10 498 en 1944.

Pendant ce temps, les préparatifs du retour tant attendu aux Philippines se poursuivaient. Le 15 septembre, les îles Palaos étaient à nous. Là, les Marines se sont heurtés à une forte opposition sur Peleliu, mais l’infanterie eut un peu plus de chance sur Angaur. Ces conquêtes plaçaient les Philippines à portée de nos bombardiers lourds. MacArthur installa son QG sur l’île de Morotai, au nord de Halmahera, et tout était alors prêt pour que les différentes forces se réunissent dans un effort combiné.

À suivre ...


ouaf ouaf ! bon toutou !!

Hors ligne

 

#4 [↑][↓]  16-09-2021 09:41:19

philouplaine
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Re: [Réel] 1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

QUATRIEME PARTIE



6. LE RETOUR AUX PHILIPPINES

Jamais auparavant la phase préparatoire d'une opération dans le Pacifique n'avait couvert une zone aussi vaste et n'avait comporté autant d'éléments d’attaque différents. Le rôle principal de soutien aux débarquements a été joué par notre Troisième Flotte, qui a frappé le long d'un vaste arc au nord des Philippines allant de l’atoll Marcus (NdT – connu aujourd’hui sous le  nom de Minamitori-shima), à l’extrémité orientale de cet arc d’attaque, à Formose, à l’extrémité occidentale de l’arc d’attaque, en passant par les îles de l’archipel japonais des Ryūkyū, dont l’île principale est Okinawa. Le tout sur une distance totale de près de 3 500 km.


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Conférence d’Hawaii de juillet 1944 pour la préparation de l’attaque des Philippines avec, de gauche à droite : le général MacArthur, le président Roosevelt, l’amiral Leahy, le chef de l’état-major des armées, et, faisant la présentation, l’amiral Nimitz.


Fin septembre 1944,  la région de Manille a été soumise à des bombardements intenses qui détruisirent 357 avions, et le lendemain, Leyte, Panay et Cebu, au centre des Philippines, étaient pilonnés. Puis, au début du mois d'octobre, les bombardements reprirent, plus formidables que jamais en intensité, portant une série de coups terribles à l’atoll Marcus le 9, aux Ryūkyū, le 10, à Formose les 12 et 13, à Manille à nouveau les 15 et 17. Sur ces différentes cibles, on dénombrait 915 avions ennemis détruits, 128 navires coulés et 184 endommagés. Nous n’avions perdu aucun de nos navires et seulement 94 avions. Dans la majorité des cas, le pilote avait été récupéré en mer. Cette puissante et vaste opération visait essentiellement à isoler le futur champ de bataille, les Philippines, du Japon afin de rendre très difficile pour l'ennemi l’envoi de renforts aux Philippines. Dans ce même schéma tactique, des bombardiers lourds B-29 Superforteresses Volantes, basés en Chine, attaquèrent trois fois de suite Formose. De même, tout le sud des Philippines et les bases japonaises en Indonésie étaient constamment sous le feu des 5ème et 13ème Air Forces afin de protéger le flanc sud du futur champ de bataille. La 7ème Air Force bombardait les îles Bonin, un archipel japonais à mi-chemin entre l’île Marcus et les Ryūkyū pour protéger le flanc nord du futur champ de bataille. Et la 14ème Air Force bombardait les ports de la côte chinoise pour protéger le flanc ouest du futur champ de bataille. Tous les flancs étant protégés, et nos troupes débarquaient à Leyte le 20 octobre 1944, sur la plage de Palao.


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Le 20 octobre 1944, plus de 700 navires américains entraient dans le Golfe de Leyte, l’opposition japonaise fut initialement faible. À la fin du jour suivant, 103 000 soldats avaient été débarqués à Leyte. Les pertes furent légères, et seuls trois navires de guerre américains avaient été endommagés.


Leyte a été un raté dès le début. C'était surtout un vaste tas de boue ; des pluies torrentielles nous ont embourbés partout. Pour la première fois depuis que nos hommes du génie avaient travaillé à établir très rapidement Henderson Field à Guadalcanal, la construction d’un aérodrome s’avérait terriblement lente à Leyte. Si lente, qu’il devenait évident que nos bombardiers ne pourraient pas s’y baser avant longtemps. La piste d'atterrissage du minuscule terrain d’aviation de Tacloban fut la seule qui s'avéra d'une réelle valeur. Les avions de chasse de la 5ème Air Force s’y posèrent et ces avions, qui y étaient parqués à se toucher les ailes,  effectuèrent pendant des semaines non seulement leurs missions de chasse mais aussi les nombreuses tâches qui auraient normalement été confiées aux bombardiers. Ces derniers, volant depuis Morotai aux Molluques, Palaos aux Carolines, et les bases du nord-ouest de la Nouvelle-Guinée, étaient contraints par la distance de transporter des charges plus légères. Il avait été prévu que peu de temps après l’invasion de Leyte, les bombardiers lourds opèreraient en force contre le nord de Luçon. Ce ne fut pas possible immédiatement.

Leyte fut très proche d’être pour nous une terrible défaite. Alors que notre infanterie et notre artillerie au sud de Leyte élargissaient très lentement le périmètre de la tête de pont et que leur seule protection était assurée par les avions de nos porte-avions d’escorte ancrés dans le Golfe de Leyte, la marine japonaise apparut soudainement en force. Elle arrivait de trois directions distinctes. Cependant, les navires ennemis venant du nord ne participèrent à aucun moment à la bataille navale. Ils avaient été très vite mis en déroute par les avions embarqués de notre 3ème Flotte qui était alors localisée au nord de Luçon. Les deux autres forces arrivèrent de l'ouest, se faufilant à travers les îles en direction du golfe de Leyte, où les porte-avions légers et d'escorte de la 7ème flotte protégeaient l'invasion. Bien que repérés à leur arrivée et attaqués par nos sous-marins, nos bateaux-torpilleurs et par presque tous nos avions disponible, la flotte japonaise, qui était importante, réussit à atteindre le golfe de Leyte et, le matin du 25 octobre, nos porte-avions étaient à portée de ses canons.

Malgré la puissance que les Japs avaient mise en action par le détroit de San Bernardino, la bataille bascula en notre faveur et l'ennemi se retira après avoir subi de graves pertes. Dans cette action, les Japs ont perdu une occasion en or, qui était vraiment à leur portée, celle de détruire la totalité de notre flotte de porte-avions et de transport qui se trouvait piégée dans le golfe de Leyte. Nos destroyers se sont couverts de gloire contre toute attente. Pendant ce temps, plus au sud, les vieux cuirassés de la 7ème Flotte, bien que manquant de munitions, ainsi qu'une flotte de vedettes-torpilleurs, de destroyers et de croiseurs, combattirent de manière décisive la force ennemie qui tentait de rejoindre la bataille principale par le détroit de Surigao. La tentative des Japonais pour stopper l'invasion de Leyte avait échoué et la flotte impériale avait été réduite à la taille d’une force opérationnelle. Nos pertes furent le porte-avions Princeton, deux porte-avions d'escorte, trois destroyers et un sous-marin. Nous avons perdu environ 1 500 hommes au cours de cette bataille navale. Les Japs avaient perdu quatre porte-avions, trois cuirassés, dix croiseurs lourds, onze destroyers, cinq sous-marins et 12 500 hommes.

Pendant toutes les opérations de septembre et octobre, ce sont les forces de la 3ème Flotte qui ont dominé l'action aérienne et mérité le plus grand crédit. À la veille de la bataille du golfe de Leyte, la vaste force opérationnelle aéronavale  n°38 de la marine disposait d'un effectif de 1 082 avions, et sa force opérationnelle n°77, avec des porte-avions plus petits, pouvait faire voler quelque 600 avions de plus. Les forces aériennes de l'Extrême-Orient (5ème et 13ème) disposaient de 1 457 avions affectés à des unités tactiques et 524 en réserve. La 7ème Air Force, dans les archipels des Marianne, de Palaos et Marshall, en avait 526 de plus. Au total, 4 189 avions américains étaient donc disponibles pour le combat sur le théâtre des Philippines. Bien qu'il y ait eu davantage d'avions basés à terre, la mobilité des porte-avions permettait de porter une grande force de frappe aérienne à n'importe quel point nécessaire. En réalité, au cours de ces deux mois, les forces aéronavales se sont révélés indispensables dans une guerre plus largement faite sur mer que sur terre.

La fin de Leyte arriva quand les Japs comprirent qu'il était tout aussi difficile qu'en Nouvelle-Guinée de renforcer la garnison assiégée d’une base avancée. Le 10 novembre 1944, un convoi japonais à destination de la Baie d’Ormoc, sur la côte ouest de Leyte, fut touché par des B-25 Mitchell lors d'une attaque en rase-motte qui coula trois transports et six destroyers d’escorte. Le jour suivant, les avions de l’aéronavale attaquèrent un autre convoi en direction d'Ormoc. Le 7 décembre, trois ans après Pearl Harbor, des avions de la 5ème Air Force coulèrent tous les navires d'un convoi de 13 navires, et quatre jours plus tard, ils détruisirent la quasi-totalité d’un autre convoi, tous deux près d'Ormoc.


7. DEBACLE AERIENNE DES JAPS A LUÇON


Tout au long de la campagne de Leyte, les Japs utilisèrent leur force aérienne dans de fréquentes et petites attaques. Ils ont raté leur chance dès le début, quand une pression aérienne forte et soutenue sur la tête de pont aurait pu renverser le cours des événements. Lorsque nous avons effectué un débarquement amphibie dans la Baie d’Ormoc, suivi le 15 décembre par un débarquement sur l’île de Mindoro dans l’ouest des Philippines, les Japs ont, pour la première fois aux Philippines, frappé vraiment fort. Mais c’était trop tard. Une fois sur le sol ferme de Mindoro, la 5ème Air Force a pu placer ses bombardiers sur place aux Philippines, et reprendre la partie là où l’aéronavale l’avait laissée. En trois semaines, la force aérienne japonaise aux Philippines a été totalement éradiquée. Le 8 janvier 1945, lorsque MacArthur envahit le golfe de Lingayen, au nord-ouest de l’île de Luçon, seuls deux avions japonais apparurent au-dessus de la plage. Jamais, dans la guerre européenne ou précédemment dans la guerre du Pacifique, une défaite aérienne aussi écrasante n'avait été infligée à l’ennemi. Pendant toute la campagne des Philippines, la 5ème Air Force a détruit plus de 2 000 avions ennemis.

Pourtant, les Japs en avaient bien plus. La production d'avions japonais atteignit son plus haut niveau à cette même époque. Le haut commandement japonais renonça finalement à envoyer plus d'avions aux Philippines parce que toute l'organisation au sol là-bas avait été anéantie. La 5ème Air Force avait non seulement rendu inutilisables tous les terrains d'aviation ennemis, mais elle avait également détruit tous les ateliers de réparation et tous les dépôts de stockage. Tout le système de maintenance au sol des Japs s’était effondré complètement. Plus rien ne fonctionnait chez eux dans les Philippines. Lorsque nos forces eurent repris Clark Field, l’aéroport de Manille, elles trouvèrent un chasseur Kawanishi N1K "George" flambant neuf qui n'avait besoin que d'un carburateur pour revoler. Des dizaines de carburateurs, ainsi que des moteurs, des roues et des centaines d'autres pièces ont été retrouvés dispersés dans la ville voisine de Mabacalat dans des cabanes, sous des bâtiments détruits, et même enterrés dans les champs. Beaucoup d'autres avions intacts ont été retrouvés à Clark Field en conditions de vol presque parfaites. Mais les Japs ne les utilisaient plus.


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Un chasseur Kawabishi N1K Shiden Kai (Eclair violet) capturé. Ce chasseur, introduit en 1943 par l’aéronavale japonaise, possédait un armement lourd ainsi qu'une maniabilité étonnamment bonne. Contrairement au Zéro, le Shiden Kai pouvait rivaliser avec les meilleurs chasseurs alliés de la fin de la guerre.


De cette défaite écrasante, le haut commandement japonais, à contrecœur, ne put tirer qu'une seule conclusion : il serait insensé, à l'avenir, de continuer à utiliser la force aérienne de manière conventionnelle. Il n’y avait plus qu'une seule voie à suivre, celle du Bushido : les missions suicide des Kamikaze.

Pendant le reste de la campagne des Philippines, les avions de la 5ème Air Force se virenrt de plus en plus souvent libres de parcourir les routes maritimes de la mer de Chine méridionale et de Formose pour y détruire tous les bateaux ennemis qu’ils pouvaient repérer. Pendant que ces avions s’occupaient du flanc gauche notre avancée s’opéra vers deux nouveaux objectifs majeurs : Iwojima et Okinawa.

Les attaques diurnes sur Formose commencèrent en janvier 1945 et bientôt les B-24 Liberator, les B-25 Mitchell, les P-38 Lightning et les P-51 Mustang effectuaient des frappes régulières en préparation de la campagne d'Okinawa. Les B-24 survolaient quasiment en permanence la Mer de Chine pour perturber les communications japonaises avec l’Indochine. Les B-25 étaient une force de frappe puissante contre la navigation avec leurs attaques précises à faible altitude. Aux Philippines, la 5ème Air Force organisa un bombardement éclair et le transport de troupes sur Corregidor sans aucune opposition aérienne. Partout où ils tentaient de résister à l’armée de MacArthur dans les Philippines, les Japs furent balayés. Les missions d'aide à la guérilla philippine et les bombardements au napalm incessants sur des Japs terrés dans des grottes de montagne firent des merveilles.


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La forteresse de Corregidor, le site du triomphe japonais et de la défaite des Etats-Unis en mai 1942, est ici bombardée. La forteresse de Corregidor fut reprise en février 1945 après des bombardements quotidiens de nos bombardiers lourds pendant 25 jours.


Pendant ce temps-là, la 13ème Air Force, quant à elle, protégeait le flanc arrière gauche alors que l’armée de MacArthur se tournait au nord de la Nouvelle-Guinée. La 13ème surveillait les Indes orientales néerlandaises et le sud-ouest des Philippines, détruisant des installations portuaires, des aérodromes, des installations pétrolières et des navires. Bornéo, Java, Célèbes, Ambon, Ceram et d'autres îles moins importantes subirent les attaques régulières des avions de la 13ème Air Force. Des "fureteurs" (NdT - des B-24 volant seul au-dessus du théâtre d’opération à la recherche de proies à attaquer) attaquaient les navires dans le détroit de Macassar, entre Bornéo et les Célèbes. Le centre pétrolier de Balikpapan à l’est de Bornéo a été mis hors d'état de nuire en quatre frappes successives auxquelles se sont joints les bombardiers lourds de la 5ème Air Force. Les Indes orientales néerlandaises ont ainsi été éliminées comme zone d'étape pour les renforts des japs aux Philippines ce qui a grandement contribué à faciliter l’invasion.

Pendant ce temps, les forces du Pacifique central préparaient la dernière arche du pont qu’elles avaient jeté au-dessus du Pacifique vers Tokio, un assaut nécessaire pour pouvoir envoyer des chasseurs au-dessus du Japon. Pour les B-29 Superforteresses qui bombardaient le Japon depuis les Mariannes, notamment depuis Guam, les chasseurs japonais basés à Iwojima étaient devenus de plus en plus ennuyeux. Pour transformer cette station d'alerte et ce point d'interception ennemis en un refuge pour les Superforteresses en détresse et en une base avancée pour envoyer nos chasseurs au-dessus du Japon protéger nos bombardiers lourds, Iwojima fut envahi le 19 février 1945. La lutte sanglante pour Iwojima était à peine terminée qu'Okinawa était attaquée. L'invasion d'Okinawa, qui a eu lieu si peu de temps après celle d’Iwojima, aux portes mêmes des Îles Nationales japonaises, a été une démonstration de force qui a fait prendre conscience au public américain que la guerre contre le Japon approchait enfin de sa phase finale.


8. LES ASSAUTS DES KAMIKAZES


Cette fois-ci, la préparation de l’invasion d’Okinawa comprenait des frappes soutenues contre le Japon lui-même. Les bombardements de février 1945 dans la région de Tokyo-Yokohama avant le débarquement d'Iwojima furent dépassés par la violence de ceux qui ont précédé l'invasion d'Okinawa. Les 18 et 19 mars 1945, les navires de la 5ème Flotte se débarrassèrent de la plus grande partie de ce qui restait de la flotte japonaise et de ses avions embarqués en détruisant 475 avions ennemis d’un coup par une attaque surprise des aérodromes du sud de Honshu et de Kyūshū, deux des îles-mères du Japon. Du 23 au 29 mars, des attaques quotidiennes ont été menées sur Okinawa et sur le sud de Kyūshū pour perturber les renforts et l'approvisionnement. La 5ème Air Force a aussi intensifié ses attaques sur Formose en lien avec des avions de l’aéronavale britannique. Le 14 mars 1945, tous les aérodromes japonais de la côte chinoise avaient été totalement neutralisés. Des centaines d’avions ennemis avaient été détruits au sol.

L’invasion d’Okinawa débuta le 1er avril 1945 et, après quelques jours de progression facile, nos forces terrestres se heurtèrent à une farouche résistance japonaise, fanatique jusqu'au bout. L’armée de l'air japonaise fit son grand retour, sous de nouveaux atours, et notre marine connut soudain l'enfer.

À Leyte, où les Japs avaient  tenté quelques attaques suicide à une échelle réduite, les Kamikaze constituaient alors une menace réelle mais pas critique. À Okinawa, en revanche, les Japs mirent en place une force aérienne essentiellement Kamikaze et la menace devint alors extrêmement grave. Les navires américains au large d'Okinawa étaient une cible idéale pour des attaques kamikaze. À Okinawa, les Japs n'ont pas répété l'erreur commise à Leyte, celle des attaques kamikaze au petit bonheur.

Le 6 avril 1945, date de la première attaque d’importance des Kamikazes, la marine a subi leurs attaques sans un instant de répit, de l'aube au crépuscule. Des attaques majeures furent menées les unes après les autres cinq jours au cours du mois d'avril, et, les autres jours, des attaques quotidiennes avaient lieu à des intervalles fréquents. Les chasseurs notre aéronavale faisaient écran en permanence en interceptant et abattant la plupart des kamikazes, mais un grand nombre d'entre eux inévitablement passaient et atteignaient la défense navale extérieure des destroyers. Ce sont eux qui subirent le choc des Kamikazes. Quelques-uns réussissaient à percer cette défense et pouvaient alors aller attaquer  les unités principales de notre flotte. L’utilisation d’obus anti-aériens à détecteurs de proximité nouvellement inventés, ce genre d’obus explose à proximité de l’avion ennemi en le détectant mais sans que l’obus n’entre en contact avec l’avion, augmenta considérablement le nombre de Kamikazes abattus avant d’atteindre leur cible. Malgré tout, jour après jour, le nombre de navires endommagés augmentait continuellement. Pendant les 81 jours de la bataille d'Okinawa, 32 de nos navires ont été coulés et 216 ont été endommagés par des avions kamikazes. Les destroyers, les dragueurs de mines et les petits bateaux ont été les grands perdants. Dix de nos destroyers ont été coulés, et beaucoup d’autres ont été sévèrement endommagés. Un jour, deux navires de munitions furent totalement détruits en une seule attaque. Aucune des principales unités de la flotte ne fut coulée, mais beaucoup furent gravement endommagées et perdues pour le reste de la guerre, tellement elles étaient endommagées.


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Le porte-avion CV-17 USS Bunker Hill en feu juste après avoir été frappé par deux kamikazes, coup sur coup, le 11 mai 1945 durant la bataille d’Okinawa.


Les Kamikaze utilisaient des avions de tout type, des très récents et des obsolètes. C’est à Okinawa qu’ils inaugurèrent le Baka, une bombe planeur avec des petites ailes, un moteur-fusée et un pilote, transportée sur place par un bombardier puis relâchée pour un unique vol plané de courte durée.

Alors que la flotte restait au large d'Okinawa, bombardant les positions ennemies et aidant les troupes avec les avions de ses porte-avions, la menace des attaques suicide s'accentua. Pour réduire ce risque, les terrains d'aviation d'où les Kamikaze partaient furent alors soumis à des attaques régulières. Les archipels Amami et Sakishima, respectivement au nord et au sud d'Okinawa, étaient attaqués quotidiennement par des avions embarqués américains et britanniques. Les avions de la Task Force 58, dont l’objectif était Okinawa, exécutèrent le 7 avril une mission annexe, celle de couler le grand cuirassé Yamato et cinq autres navires de guerre qui, apparemment, se déplaçaient vers Okinawa. Le Yamato fut coulé. Puis, le 15 avril 1945, les avions embarqués mitraillèrent et bombardèrent tous les aérodromes à Kyūshū. Le lendemain, des avions de l’aéronavale, des bombardiers moyens de l'US Marine Corps et des chasseurs de l'USAAF venant d'Iwojima attaquèrent en force la même zone. Puis, le 17 avril, les Superforteresses entrèrent en scène. Cinq fois en six jours, les B-29 larguèrent leurs lourdes charges sur les aérodromes de Kyūshū, puis, après une période de trois jours, ils terminèrent le mois avec cinq jours d'attaque consécutifs. Au début du mois de mai 1945, alors que la guerre se terminait sur le front européen, les B-29 reprirent leurs missions de bombardement, frappant sept fois au cours des onze premiers jours de mai. L’aéronavale continua le travail là où les bombardiers lourds l’avaient laissé. Fin mai, des chasseurs lourds P-47 Thunderbolt se joignirent aux attaques, à partir de notre base sur la petite île de Ie-jima au nord d'Okinawa. Ces opérations, combinées au succès croissant de nos troupes terrestres sur Okinawa, ont petit à petit réduit l'ampleur des attaques Kamikaze. Dans les 30 premiers jours de l'invasion d'Okinawa, 1 700 avions japonais ont été impliqués dans des missions Kamikaze ; en mai, le nombre total d'avions japonais sur Okinawa est tombé à 700 et en juin à moins de 300. Le succès de l’invasion d’Okinawa a été un facteur important dans cette réduction des attaques aériennes, plus que la mise hors service des aérodromes de Kyūshū, car, l'île nous revenant définitivement, les Japs ont décidé de rapatrier la plupart de leurs avions pour la défense de leurs Îles Nationales.

Bien avant qu'Okinawa ne soit entièrement conquise, nous avons commencé à construire des bases aériennes pour accueillir le gros des avions qui seraient utilisés pour l’invasion de Kyūshū. Alors que les Japs étaient comprimés dans la partie sud de l'île, nos nouveaux terrains d’aviation ont commencé à fleurir abondamment dans la partie centrale d'Okinawa. Au fur et à mesure que les bases prenaient forme, elles se sont remplies d'avions.  Des frappes quotidiennes ont alors pu être menées sur Kyūshū très régulièrement, paralysant les transports, les aérodromes et les villes. Le dernier réglage en vue de l'invasion prévue pour novembre 1945 se mettait en place. Tout au long du mois de juillet, le rythme s'accéléra et début août, malgré une météo peu favorable, entre 350 et 450 sorties étaient effectuées quotidiennement depuis Okinawa. Ce n'était cependant qu’un petit échantillon de ce qui attendait les Japs, car la 8ème Air Force se redéploya depuis l’Europe à Okinawa sur le théâtre du Pacifique, ses B-17 avaient tous été remplacés par des B-29. Fin août 1945, alors même que la guerre était terminée, on dénombrait sur les 23 aérodromes des deux îles d’Ie-jima et d’Okinawa : 625 avions de l’aéronavale, 32 B-29, et 1 317 avions de la 5ème Air Force.

Ce fut un revirement ironique du destin pour le général Kenney, qui avait tant fait avec si peu, surtout au début de la guerre, d'obtenir finalement une force aérienne de très grande taille au moment même où elle n'était plus nécessaire. Car le long voyage commencé à Guadalcanal trois ans plus tôt s’achevait sans qu’un débarquement sur Kyushu ne soit nécessaire. La dernière travée de notre "pont au-dessus du Pacifique" était mise en place par l’emploi de la bombe atomique.


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Vue aérienne du terrain d’aviation de Bolo sur l’île d’Okinawa. Cet aérodrome, construit par les japonais, fut fortement modifié par les hommes du génie pour accueillir les B-29 de la 8ème Air Force rapatriée d’Europe.


9. LA GUERRE AERIENNE EN BIRMANIE ET EN CHINE

L'effort aérien de l'Amérique en Asie a été long et sous-alimenté ; comme un enfant, il a été forcé par les circonstances de se débrouiller seul, d'improviser et, au début, de s'accrocher à un fil de vie bien mince par tous les moyens possibles. Puis, il s'est développé, est devenu une force aérienne vigoureuse bien qu’assez peu orthodoxe. Ses principales réalisations en Birmanie ont été de permettre aux troupes alliées de survivre dans la jungle en les approvisionnant, en évacuant les blessés et en transportant les renforts à une échelle sans précédent et de rendre la position japonaise intenable en les affamant, en détruisant leurs moyens de ravitaillement dans un fatras de ponts écroulés, de bateaux fluviaux coulés, de voies ferrées réduites à un amas de ferraille et de jonctions ferroviaires constamment bombardées. En Chine, cette force aérienne américaine d’Asie a réussi à prendre le contrôle du ciel au-dessus des troupes chinoises et à casser les voies de ravitaillement ennemies sur terre et sur mer. Entre l'Inde et la Chine, cette force aérienne a créé le "Hump", le plus grand pont aérien de toute la guerre. Et il a fait tout cela dans des conditions météorologiques qui, pendant plus de la moitié de l'année, étaient si mauvaises qu'un pilote a remarqué, tout ému : "C'est l'enfer dans les airs! C'est plus une opération amphibie qu’un vol, on devrait équiper nos avions de branchies plutôt que d'ailes".


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Traduction des légendes. Burma, Birmanie ; India, Inde ; Indo China, Indochine ; Thailand, Thaïlande. Les longues voies de ravitaillement en Birmanie sont toutes vulnérables. Mais comme notre aviation dominait le ciel, ce sont les voies de ravitaillement japonaises qui ont été coupées.


La petite force aérienne américaine en Asie est née le 12 février 1942 par la création de la 10ème Air Force. Avant cette date, la puissance aérienne américaine en Asie était exclusivement composée du groupe des volontaires américains, les "Flying Tiger". Claire Lee Chennault, maître tacticien de l'armée de l'air chinoise, avait obtenu 100 chasseurs P-40 Warhawk obsolètes, et 100 pilotes américains pour les équiper, plus 200 personnels au sol pour les maintenir en l'air. Lorsque les Flying Tigers ont rencontré leur premier Jap au-dessus de Rangoon, le 20 décembre 1941, ils étaient une lumière bien brillante dans un ciel très sombre. En effet, la Chine était isolée, à l'exception de la route de Birmanie et de Hong-Kong qui, par ailleurs était sur le point de tomber. Les forces japonaises étaient déjà fermement retranchées en Indochine française, elles avaient traversé la Thaïlande, déjà lancé une pointe dans la Péninsule Malaise vers Singapour et une autre en Birmanie du Sud. Singapour tomba le 15 février 1942, Rangoon le 10 mars. Puis vint l’échappée d'un ensemble hétéroclite de troupes britanniques, indiennes et chinoises vers les Indes, dirigées par le général britannique Sir Harold Alexander et le général américain Joseph W. Stilwell. En mai, la plus grande partie de la Birmanie avait disparu sous l’oppression jap, la route de Birmanie était coupée et la Chine isolée. Le prestige de l'Occident en Orient était bigrement entamé. 

À suivre ...

Dernière modification par philouplaine (16-09-2021 10:17:16)


ouaf ouaf ! bon toutou !!

Hors ligne

 

#5 [↑][↓]  16-09-2021 09:48:01

philouplaine
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Re: [Réel] 1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

CINQUIEME PARTIE




9. LA GUERRE AERIENNE EN BIRMANIE ET EN CHINE (suite)


Pendant cette période de désastres militaires alliés en cascade, les Flying Tigers et une poignée d'avions de la RAF se comportèrent vaillamment face aux forces aériennes ennemies, mais ils ne purent qu'entraver l'avance de l'ennemi. Nos terrains d’aviation ont été bombardées par les Japs et les Flying Tigers ont été repoussés en Chine. Toujours plus nombreux et pilotant des avions relativement lents, les Flying Tigers ont néanmoins battu un record phénoménal au cours des sept mois de leur exceptionnelle et courte existence: 298 avions ennemis abattus au combat pour une perte de 12 de nos avions seulement. Cela prouvait la justesse des préceptes de Chennault, à savoir : voler par deux, faire une seule passe d’attaque, et s'en aller aussitôt sans se retourner. Les exploits des Flying Tiger ont aussi percé la baudruche des Zéros invincibles. Le Zéro était bien un chasseur rapide et très maniable. Les résultats obtenus par les Flying Tigers ont prouvé que la robustesse d’un avion, sa finesse en piqué et sa puissance de feu pouvaient venir à bout d’un avion pas aussi robuste une fois aux mains d’un bon pilote.

La toute nouvelle 10ème Air Force ne disposait que d’une poignée d'avions en mars 1942. Quelques B-17 et quelques exemplaires de la première version du B-24. Ces avions du Général Lewis H. Brereton avaient rejoint l’Inde depuis les Indes Orientales Néerlandaises. On leur ajouta assez vite six autres B-17 et dix P-40, qui avaient été prévus pour Java mais qui furent détournés du fait que Java était tombée aux mains des Japonais le 12 mars. Avec cette force minuscule, Brereton allait devoir repousser l’invasion des Indes. Mais en mai 1942, cette invasion japonaise ne semblait plus aussi imminente, la mission principale de la 10ème Air Force passa alors de la défense de l'Inde à l'assistance à la Chine. Cela signifiait des opérations de convoyage au-dessus des montagnes de l'Himalaya, la célèbre "Hump Route". Quelques avions de la China National Airways et quelques DC-3 provenant d'Afrique et toujours pilotés par leur pilotes de ligne débutèrent en avril 1942 le pont aérien de la Hump Route. La première mission de transport fut la livraison de 115 000 litres d'essence et de 2000 litre d’huile à moteur, destinés au raid de Doolittle sur Tokyo le 18 avril. En août 1942, cette force de transport fut officiellement baptisée : India-China Ferry Command, puis elle fut intégrée à l’Air Transport Command le 1er décembre 1942.

Au premier anniversaire de la guerre, le commandement du transport aérien en Inde ne disposait que de 29 avions de transport pour alimenter et approvisionner la guerre en Chine. Dans toute l'Inde, la 10ème Air Force n'avait que 16 bombardiers lourds, 15 bombardiers moyens et 50 chasseurs opérationnels. Les avions américains en Chine, ce même jour, totalisaient 19 bombardiers moyens et 50 chasseurs, tous obsolètes. Ces chiffres pathétiques étaient dus en partie à un détournement des renforts vers les théâtres du Pacifique, en partie à un retrait des avions britanniques vers le Moyen-Orient dans le but de repousser l’avance de Rommel sur l'Égypte. À un moment, la 10ème Air Force perdit ainsi tous ses bombardiers lourds, redéployés en Égypte, et n'en eut plus du tout un seul pendant quelque temps. En fait, c’est le transport aérien qui se développa le plus rapidement. Au début, il transportait de l'essence, de l’huile et des pièces de rechange pour les avions basés en Chine. Progressivement, il commença à transporter du matériel lourd à destination des troupes au sol. En octobre 1943, le commandement du transport aérien ajouta un programme de vols de nuit au-dessus des pics de l'Himalaya. Vers la fin de la guerre, le 1er août 1945, l'ATC livrait 71 000 tonnes par mois, soit quatre fois plus que la capacité de l'ancienne route de Birmanie, et il avait augmenté cette capacité à plus de 85 000 tonnes par mois dans les tous derniers jours de la guerre. Mais avant de pouvoir commencer à s'étendre, cette force de transport devait disposer de bases aériennes. Elle devait s'approvisionner elle-même en plus de ce qu'elle devait transporter vers la Chine, depuis les ports jusqu'au point de départ du Hump, soit par voie aérienne ou soit par des moyens de transport ferroviaires, routiers et fluviaux, tous inadéquats. Sur la route du Hump, l’avion devait voler par temps de mousson, sous la pluie, la grêle, le vent et les turbulences. En hiver, il devait voler à travers des nuages chargés de glace qui s’empilaient au-dessus des sommets de l'Himalaya, culminant à 18 000 pieds. Malgré ces difficultés, il y avait de plus en plus d’avions affectés au Hump.

Le groupe de volontaires américains de Chennault fut absorbé dans la 10ème Force aérienne nouvellement formée le 4 juillet 1942, jour de l'Indépendance. Il fut alors rebaptisé China Air Task Force. Chennault, rappelé en service actif en tant que général de brigade, fut nommé à sa tête. En mars 1943, la China Air Task Force devint la 14ème Air Force.

Entre-temps, deux campagnes terrestres britanniques avaient été lancées en Birmanie pour combattre les forces japonaises qui menaçaient de franchir la frontière indienne et de capturer les bases aériennes en cours de construction dans le nord-est de l'Inde. Ces deux opérations terrestres étaient d'une ampleur limitée. Sur le front central, le général britannique Orde Charles Wingate avait infiltré une brigade de troupes de la jungle, des Chindits, à travers les lignes japonaises. Pendant trois mois, cette brigade harcela l’arrière des Japs en Birmanie par des opérations de guérilla tout en dépendant entièrement de l’appui aérien pour ses approvisionnements. Plus au sud, dans les montagnes de l’Arakan, les Britanniques s'engagèrent dans une campagne orthodoxe mais infructueuse.

En se basant sur l'expérience de ces deux opérations, la conférence de Québec d'août 1943 approuva les plans d'une nouvelle campagne pour l'année suivante ; une campagne qui devait donc utiliser les leçons des campagnes de Birmanie de 1943 et bénéficier d'un commandement unifié, coordonnant les efforts de la 10ème Air Force et du Bengal Air Command de la RAF. Le commandement unifié fut assuré par le nouveau Eastern Air Command, dirigé par le lieutenant général George Edward Stratemeyer de l'USAAF. En 1942, les forces aériennes des Indes avaient été réduites pour fournir des avions aux offensives au Moyen-Orient. Mais, une fois la campagne africaine remportée, les avions furent renvoyés aux Indes. Le 7ème groupe de bombardement (H), qui était fortement dispersé entre la Chineen et le Moyen-Orient, fut regroupé aux Indes et équipés de bombardiers lourds B-24. Le 12ème  groupe de bombardement (M), dont les Mitchell avaient combattu à travers toute l'Afrique du Nord, revint aussi aux Indes. Ces deux groupes de l’USAAF furent rattachés à la 10ème Air Force et affectés aux missions en Birmanie.

La poussée débuta fin 1943, avec une offensive limitée des Britanniques et des Indiens dans l'Arakan. Lors de l’avancée britannique, des unités d'infiltration japonaises frappèrent tout à coup les lignes arrière et coupèrent toutes les communications. Mais contrairement à l'année précédente, les troupes alliées étaient désormais approvisionnées par des largages aériens à partir des avions du Troop Carrier Command du général de brigade William D. Old. Ces troupes ont ainsi tenu, se sont renforcées et sont sorties quasiment intactes du piège japonais.

Plus loin dans le nord, sur le front central, une situation similaire s’était développée. Deux colonnes anglo-indiennes, qui étaient parties de la ville indienne d’Imphal et qui avançaient vers Mandalay en Birmanie furent attaquées sur leurs flancs nord et sud par une contre-offensive japonaise de grande envergure. L'ennemi poursuivit fortement sa route, repoussa les Britanniques et, le 8 mars 1944, les piégea dans la plaine d'Imphal. Etant ainsi entrés en Inde, les japonais menaçaient la voie ferrée Assam-Bengale par laquelle les approvisionnements étaient acheminés depuis Calcutta aux forces sino-américaines qui construisaient alors la Route "Ledo" qui, depuis la ville indienne de Ledo en Assam, terminus de la voie ferrée Assam-Bengale, rejoignait Kunming en Chine en passant par le nord de la Birmanie.

Pour la deuxième fois, le Troop Carrier Command vint à la rescousse des combattants au sol. La 5ème division indienne, avec toutes ses batteries de montagne et ses mules, fut transportée par les airs dans la région d'Imphal en seulement 60 heures. Deux groupes de brigades furent transportés par avion à Kohima, où une autre colonne japonaise menaçait d’entrer en Inde. Des milliers de blessés des deux hôpitaux d’Imphal, et le personnel non essentiel furent évacués par avion. Et, plus important encore, de la nourriture et des munitions furent acheminées par avion. Le résultat était inévitable. Les troupes britanniques disposaient d'une route de ravitaillement aérienne sûre tandis que les Japonais disposaient d'une route de ravitaillement terrestre qui était constamment harcelée par nos avions de combat. Après quelques mois d’âpres combats, la menace japonaise qui pesait sur l'Inde prit fin. Ces opérations combinées terre-air devinrent le modèle de la campagne qui suivit en Birmanie.

Les forces japonaises en Birmanie étaient approvisionnées par un long et mince réseau ferroviaire, routier et fluvial, avec seulement quelques lignes allant vers nord ou vers le sud. Notre campagne d'interdiction en Birmanie était basée sur le fait que, Rangoon et d'autres ports du sud de la Birmanie étant soumis à une attaque aérienne soutenue, l'ennemi était obligé d'utiliser Bangkok comme son port principal. Cela signifiait qu'il fallait transporter les approvisionnements sur les tronçons supplémentaires d’un vieux chemin de fer branlant traversant des kilomètres de pays côtiers avant de pouvoir les acheminer vers le nord de la Birmanie. Il y avait des centaines de ponts sur cette ligne. La solution, donc, pour interdire le passage au ravitaillement ennemi fut rapide à trouver, détruire les ponts et la voie ferrée. Cela fut entrepris et mené avec une grande régularité car nous avions la supériorité aérienne. Les Japs étaient habiles à réparer, mais nos avions étaient encore plus rapides ; à peine réparé, tout était à nouveau détruit. Les nouvelles bombes radioguidées furent utilisées avec d'excellents résultats, et les B-24 utilisèrent même une nouvelle technique de bombardement, avec une précision croissante, qui consistait à ce que les quadrimoteurs piquent vers la cible avec un angle de plongée de 25°. Le problème d'approvisionnement des Japonais devint alors rapidement critique et les Japs à l'extrémité nord de la ligne, là où les combats avaient lieu, finirent par mourir de faim et de maladie. Il s'agissait des troupes qui faisaient face aux forces sino-américaines du général Stilwell dont la mission était de dégager le terrain pour que le génie construise la Route Ledo.

L'approvisionnement par les airs était vital pour l'offensive de Stilwell. Une troupe d’élite de 3 000 volontaires américains fut formée sous le commandement du général Frank Merrill, c’étaient les "Maraudeurs". S’inspirant de la technique développée par les Chindits du général Winagre, les Maraudeurs américains lancèrent dans la jungle une poussée rapide vers Myitkyina, ville stratégique du nord-est de la Birmanie. Du 23 février au 17 mai, date de la prise de l'aérodrome de Myitkyina, les Maraudeurs furent entièrement ravitaillés par voie aérienne. Près de 8000 soldats chinois furent transférés de leur base chinoise de Yunnanyi par le Hump en une seule opération aéroportée et vinrent renforcer la première ligne de l’armée du général Stilwell dans son offensive sur Myitkyina. De début mai à fin octobre 1944, 75 527 hommes avaient été transportés par les avions de l’USAAF en Birmanie du Nord et 28 381 blessés avaient été évacués par avion vers les hôpitaux en Inde.

Lors d'une autre opération en 1944, une armée a choisi délibérément de se faire piéger pour s'appuyer sur l'aviation. Le 1er Air Commando Group, l’unité des opérations spéciales de l’USAAF, commandé par le colonel Philip G. Cochran fut choisi pour aider les troupes du général Wingate à aller se placer entre Myitkyina et Katha à l'intérieur de la Birmanie, pour les approvisionner, pour évacuer les blessés et pour nettoyer le terrain devant les colonnes en mouvement avec ses bombardiers et ses chasseurs. L'objectif des hommes de Wingate était de couper les lignes de ravitaillement à l'arrière des troupes japonaises opposées aux troupes de Stilwell et de Merrill dans la région de Myitkyina.


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Deux P-47 Thunderbolt du 1er Air Commando Group de la 10ème Air Force décollent d’un terrain d’aviation avancé en Birmanie. Les deux chasseurs présentent sur leur fuselage les quintuples bandes diagonales d'identification qui caractérisaient les avions du 1er ACG.


Le 1er Air Commando Group  comprenait une panoplie hétéroclite d’avions de combat : 30 P-51 Mustang, 12 bombardiers B-25H Mitchell, 26 C-47 Skytrain, 225 planeurs militaires CG-4A Waco, 100 avions de liaison L-1 et L-5 Sentinel, et 6 hélicoptères Sikorsky R-4. À partir de septembre 1944, les chasseurs P-51 furent progressivement remplacés par des P-47 Thunderbolt.

Le Jour-J prévu était le 5 mars 1944. Les planeurs du 1er Air Commando Group emportaient leur cargaison de troupes et leurs équipements, des soldats du génie aéroporté, des bulldozers et des mules. Leurs objectifs, vers Katha, étaient deux assez grandes clairières naturelles dans la jungle, clairières qui reçurent pour cette opération  des noms de code, l’une Broadway et la seconde Piccadilly. Les planeurs devaient se poser dans ces deux clairières, et l’attaque des Japs devait suivre dans la foulée. L’heure de départ des planeurs était callée pour que les planeurs arrivent au-dessus de leurs objectifs juste après le crépuscule. Cette opération était si secrète qu’aucune reconnaissance des deux clairières n'avait été faite de peur de mettre la puce à l’oreille aux Japs. Mais, sur un pressentiment, le colonel Cochran envoya quand même un avion de reconnaissance dans l'après-midi du jour J prendre des photos de deux clairières. Les tirages étaient à peine secs qu’ils lui étaient remis, juste 15 minutes avant l’heure-H du départ. Bien lui en a pris car les photos de Piccadilly montraient que c’était un piège mortel, les Japs avaient placés des gros rondins de bois sur toute sa surface. Les planeurs se seraient brisés en s’y posant.

Les plans furent rapidement modifiés à la dernière minute pour mettre le paquet sur Broadway seulement et, avec un retard de seulement 30 minutes sur l’horaire initial, la première vague de 26 C-47, chacun remorquant deux planeurs, s'envola et se dirigea le sud. Une deuxième vague fut envoyée, mais tous les avions, sauf un, furent rappelés parce que le terrain d'atterrissage de Broadway était jonché des débris des planeurs qui s'étaient écrasés à l'atterrissage en raison d'une surcharge. En outre, sur les 52 planeurs de cette première vague, 17 n'atteignirent pas Broadway parce que leur câble de traction avait cassé en vol. Malgré les pertes, la casse à l’atterrissage et la confusion, 539 hommes, trois mules et près de 14  tonnes de munitions et d'équipement atterrirent sains et saufs cette première nuit-là. Les quelques soldats du génie aéroporté qui avaient survécu se mirent au travail et l'après-midi du jour suivant la clairière Broadway était devenue un terrain d’aviation où les C-47 pouvaient se poser.

La surprise fut totale pour les Japs. Une deuxième clairière fut mise en place le lendemain de l’arrivée de la première et unique vague d’assaut. Après quoi, sur ces deux terrains, les hommes et le matériel affluèrent. Cinq jours après le Jour J, avaient été livrés à Broadway I et Broadway II un total de 9052 hommes, 1185 mules et 231 tonnes de provisions. 375 avions y stationnaient. Pendant toute l'opération, nos bombardiers et chasseurs étaient les maîtres de l'air au-dessus des troupes de Wingate. Davantage de troupes et de ravitaillement furent acheminés dans la zone de combat les semaines suivantes. Des avions légers partaient des terrains de Broadway et allaient atterrir juste à côté des colonnes qui avançaient, dans des clairières hâtivement rasées dans la jungle, pour ramasser les blessés. Les statistiques exactes sur les sorties des monomoteurs Stinson Sentinel ne seront jamais disponibles car les gars du 1er Air Commando Group prirent au pied de la lettre l'injonction du général Arnold : "Au diable la paperasserie ; sortez et battez-vous !" On peut raisonnablement supposer qu'ils ont effectué pas loin de 8 000 sorties.

Lorsque les B-29 du 20ème Bomber Command de la 20ème Air Force terminèrent leurs opérations en Chine à la fin de 1944, ils furent utilisés dans la campagne de Birmanie en attendant leur relocalisation aux îles Marianne. Singapour et Palembang furent bombardées, mais les coups les plus durs furent portés contre Rangoon et Bangkok en utilisant la technique de l’attaque à charge maximale. Lors de leur première attaque à charge maximale, chaque B-29 largua 18 tonnes de bombes. La gare de triage de Rangoon, qui était l’objectif, fut entièrement rasée.

Alors que les forces de Birmanie du Nord avançaient, les troupes anglo-indiennes qui avaient repoussé l'attaque japonaise à Imphal prirent à leur tour l'offensive. Leur avance fut accélérée grâce au soutien aérien et à des terrains d’aviation tête de pont. C’étaient soit des aérodromes capturés soit des pistes construites dans la jungle tout près de la ligne de front afin de maintenir des bases de ravitaillement le plus près possible du front qui avançait. Lorsque le 8 mars 1945, Mandalay et Lashio tombèrent, la route vers la Chine, la Ledo Road, était désormais dégagée.

Rangoon restait aux mains des Japs. En 1945, la possession de Rangoon était pratiquement sans intérêt pour le Japon, mais ce n'est que lorsque Rangoon serait aux mains des Alliés que la campagne de Birmanie prendrait fin. Les Britanniques, grâce à l’appui aérien, continuèrent vers le sud. En mars 1945, les troupes qui reprenaient le sud de la Birmanie et qui dépendaient entièrement de l'approvisionnement aérien s'élevaient à 356 000 hommes. La saison de la mousson étant proche, il fut décidé de reprendre au plus vite Rangoon par une invasion maritime et aéroportée soutenue par tout le poids de l’aviation alliée sur place. Le 1er mai 1945, les parachutistes Gurkha sautèrent des C-47, ils balayèrent une maigre résistance, et le lendemain, les troupes maritimes débarquèrent puis entrèrent dans Rangoon sans rencontrer aucune résistance, la ville était abandonnée. La campagne de Birmanie était terminée.


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L'USAAF a joué un rôle prépondérant dans les opérations de harcèlement sur le théâtre Chine-Birmanie. Ici, un Lockheed P-38 Lightning de la 14ème Air Force largue une bombe incendiaire (visible en dessous de la queue) contre le pont en bois de 340 mètres de long à Wan Lai-Kam, situé à 200 km au sud de Lashio, sur l’une des principales voies d'évacuation des Japonais de Birmanie. Notez la pagode typiquement birmane, en haut au centre (NdT – L’image est belle, mais c’est de la jolie propagande. Car cette attaque de 8 P-38, le 20 novembre 1944, larguant des bombes au napalm sur un pont en bois n’a pas abouti, car la très forte humidité de la jungle avait saturée le bois du pont en eau. Le napalm a brulé 8 longues minutes, mais le pont était toujours intact après !)


Pendant tout ce temps et après avoir inclus le Chinese-American Composite Wing, une unité composée d'aviateurs chinois formés aux États-Unis et de pilotes américains, la 14ème Air Force attaquait des objectifs dans toute la Chine occupée, assistée par un réseau de milliers d’informateurs Chinois. Au départ, elle opérait à partir de bases préparées ou prévues avant l'entrée en guerre des États-Unis. Puis,  progressivement, de nouveaux terrains d’aviation furent construits jusqu'à ce qu'il y ait finalement 63 bases aériennes que les coolies avaient laborieusement façonnées. Grâce à elles, le général Chennault pouvait déplacer ses forces facilement d’une base à une autre  lorsque l'opposition aérienne ou terrestre de l'ennemi devenait trop menaçante, comme c'était souvent le cas, et les employer sans délai contre de nouvelles cibles.

La plus grande des bases aériennes chinoises était celle de Chengdu. Ses neuf terrains d’aviation  avaient été construits en 1944 en neuf mois seulement par pas 365 000 ouvriers qui déplacèrent 2 millions de mètres cubes de terre et posèrent 200 000 m3 pavage pour un coût total de neuf cent millions de dollars. Chengdu fut la base utilisée par les B-29 lors de leurs premières attaques contre le Japon. Elle a également servi de tremplin pour les attaques contre la Chine du Nord, la Mandchourie et Formose.

Les missions effectuées par  les unités de Chennault étaient les suivantes : protection du Hump, coopération étroite avec les armées chinoises et attaques contre les navires, les chemins de fer et les gares de triage. La 14ème Air Force compensa toujours sa petite taille par la ruse, dont Chennault était devenu un maître. Il connaissait les capacités, le nombre et la vitesse de l'ennemi et, par l'emploi judicieux de feintes et de bluffs, il utilisait ses connaissances pour s'assurer de rencontrer l'ennemi uniquement où et quand il le voulait. Ainsi, même dans les premiers temps de la guerre, où il était largement dépassé en nombre par l’armée de l’air japonaise, il réussissait souvent à avoir une supériorité aérienne localement et réussissait presque toujours à arriver au-dessus des avions ennemis pour que la vitesse de plongée élevée de ses Curtiss P-40 Warhawk l’empoorte.

Une fois, à la fin de 1942, Chennault fit en sorte que des agents japonais aient vent qu’il allait mener une attaque imminente contre Hong Kong. Trompant son monde, Chennault fit débuter cette mission à l’heure prévue. Les Japs se mirent en route pour défendre Hong Kong, y concentrant la plus grande partie de leurs avions de toute la région. À la dernière minute, la force d’attaque américaine, composée de 8 bombardiers et de 22 chasseurs, survola Canton puis s’engagea au-dessus du Shiziyang pour se rendre à Hong Kong. Tout à coup, elle fit brutalement demi-tour et se dirigea vers Canton pour y prendre les quelques avions japonais restés en défense par surprise. Résultat de cette attaque surprise: 22 avions jaunes détruits dans les airs et plus encore au sol ; aucun avion américain de perdu.

Les bombardiers lourds du général Chennault, décollant de bases dans l’est de la Chine, survolaient en permanence les côtes chinoises bordant les mers méridionales et orientales à la recherche de navires japonais. Ces bombardiers utilisaient au maximum les bombardements radar à basse altitude pour les attaques de nuit et de faible visibilité. Ils devinrent le fléau des navires qui suivaient la côte, les forçant progressivement à s'éloigner en mer où ils devenaient alors la proie des sous-marins américains.


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Traduction de la légende. Le trio mortel qui a détruit la marine marchande japonaise était composé de sous-marins, de bombes et de mines. Ici, un B-29 pose des mines magnétiques par radar.


L'une des tâches les plus difficiles dévolue à la 14ème Air Force était l'aide aux armées chinoises. Les Japonais ont toujours eu assez, plus qu'assez en fait, de puissance terrestre pour aller où ils voulaient contre les Chinois, qui résistaient obstinément mais étaient systématiquement sous équipés. La 14ème fit ce qu’elle put pour entraver les avancées des Japonais et les rendre coûteuses. Il ne pouvait guère faire plus, mais en fin de compte, cela a suffi. Le fait que le Japon a continué d’attaquer malgré les pertes a sauvé la Chine.

La première aide aérienne directe aux troupes chinoises a eu lieu à la fin du printemps 1943, lorsque l'ennemi avait lancé une offensive limitée au sud et au sud-ouest du Yangzi dans la région du lac Dongting dans le Hunan. Seuls quelques avions étaient disponibles. Tout ce que l'on pouvait mettre à l'actif de cette action aérienne très limitée fut l'expérience acquise par les pilotes et le soutien du moral des Chinois vaincus. Plus tard, en 1943, sept divisions japonaises attaquèrent Changde, à l’est du lac Dongting. Cette fois-ci, elles rencontrèrent une résistance au sol bien plus forte, et des attaques aériennes nettement plus intenses de la part d'une 14ème Air Force devenue plus puissante entre temps. Les Japonais avaient cependant suffisamment de puissance encore pour avancer malgré tout, mais ils cherchaient une victoire à bon marché et ce n'était pas l'endroit. Finalement, après quelques jours d’attaques, ils firent retraite.

La limite extrême de l'avance japonaise en Chine eut lieu en 1944. Entre mai et la fin de l'année, les envahisseurs, se déplaçant vers l'ouest à partir de Canton et vers le sud-ouest en direction de l'Indochine, séparèrent la Chine orientale de la Chine occidentale, isolant ainsi nos bases aériennes de Chine orientale. Les Japs capturèrent nos bases aériennes de Hengyang, Lingling, Kweilin, Liuzhou et Nanning, et établirent  une ligne de communication continue de l'Indochine française jusqu’à la Chine du Nord.

Au début de 1945, les Japonais s’emparèrent de toute la ligne ferroviaire nord-sud de Hankou, dans le Hubei, à Canton. Puis ils orientèrent leur puissante offensive vers l'est et capturèrent les grands aérodromes de la 14ème Air Force dans le Suichuan et à Ganzhou. La perte de territoire n'était pas nouvelle pour les Chinois ; ils cédaient du terrain depuis 1937. Mais l'évacuation et la démolition d'aérodromes laborieusement construits et la destruction nécessaire de précieuses fournitures furent un coup dur pour la 14ème Air Force.

Bien que les hommes de Chennault allaient d'une base à l'autre, au gré des offensives japs, les opérations contre les voies ferrées et les gares de marchandises, les dépôts de ravitaillement, les troupes en mouvement et le transport fluvial se poursuivaient sans relâche. Tout au long de cette période, comme au début de la guerre, le réseau d'information chinois, incroyablement vaste, nous a été d'une valeur inestimable. La navigation fluviale était au cœur du système de transport de toute la Chine. Lorsque des bateaux fluviaux japs s’assemblaient quelque part, le système des informateurs avertissaient aussitôt la 14ème Air Force. Le résultat fut que, pendant toute la guerre, la 14ème Air Force a détruit ou endommagé un total de 24 299 bateaux fluviaux de tout gabarit. Les attaques ferroviaires de la 14ème Air Force ont été si efficaces que le Japon n'a pu ni utiliser pleinement les lignes ferroviaires dont il disposait, ni prolonger les ligne qui devaient relier l'Indochine. Depuis l'époque du "American Volunteer Group" et ses vieux P-40, la supériorité qualitative dans les airs a toujours été du côté de la Chine.  Les 2353 avions japonais abattus ou détruits au sol et les 790 probablement abattus au-dessus de la Chine n'ont jamais été remplacés en nombre suffisant pour venir à bout des pilotes de chasse, des équipages de bombardiers, des tactiques et des avions toujours plus efficaces, fournis par les États-Unis.


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Des P-51 Mustang de la 14ème Air Force dans le Suichuan fin 1944.


La maîtrise aérienne américaine était si complète que le Japon n'osa plus lancer des attaques aériennes de jour, les bombardements étaient devenus uniquement nocturnes. Les derniers bombardements que le Japon lança en Chine étaient dirigés contre Kunming en décembre 1944. En avril 1945, toutes les attaques aériennes en Chine avaient cessé totalement, l'armée de l'air japonaise en Chine avait totalement disparu.

Lorsque les revirements du Japon dans le sud-ouest de la Chine et dans le nord de la Birmanie permirent finalement de rouvrir la route terrestre Inde-Chine au début du printemps 1945, l'une des tâches qui avaient été fixées à notre puissance aérienne en Asie en 1942 avait été accomplie. Mais le tableau général n'était plus du tout le même. Les avions de l’Air Transport Command transportaient par le Hump un tonnage bien supérieur à ce que la route ne pourrait jamais transporter. Les forces triomphantes des États-Unis dans le Pacifique pilonnaient le Japon depuis des porte-avions et depuis des bases insulaires. Le Japon, maintenant, commençait à retirer ses forces de leurs points de pénétration avancée. En se retirant, ils étaient chassés de près par des troupes chinoises au moral au beau fixe. Les japs en retraite étaient aussi continuellement frappés par tout ce qui pouvait leur être lancé depuis les airs. Cependant, il s'agissait d'un retrait planifié et bien ordonné, ce n’était pas une débandade. Le Japon était fini en tant qu'occupant de la Chine. Sa position dans la guerre s’était détériorée à un point tel que l'occupation d’un pays et le pillage de son économie ne lui apportait plus rien.

Les fiers plans des seigneurs de guerre japonais pour l'Asie disparurent en fumée quand notre puissance terrestre et notre puissance aérienne firent faire demi-tour aux armées japonaises depuis la frontière avec l’Inde et à travers toute la Birmanie. Leur espoir de substituer une route terrestre à la route maritime rendue impossible pour accéder aux richesses du sud s'évanouit lorsque les avions de la 14ème  réduisirent à néant leurs autoroutes, leurs chemins de fer et leurs bateaux fluviaux. La valeur de la Chine en tant que grenier à blé pour eux diminuait jour après jour au fur et à mesure que leur cargos allaient de plus en plus nombreux par le fond sous nos bombes et nos passes de mitraillage. Leur ennemi anglo-américain se renforçait jour après jour. Finalement, ayant perdu les airs, leurs armées connurent alors le sort le plus redouté de toute armée terrestre, être soumis aux coups incessant d’un ennemi toujours plus fort sans pouvoir y répondre comme on le voudrait. Les Japonais se retirèrent donc, certains se déplaçant vers le nord de la Chine. La 14ème Air Force, dans les derniers jours de la guerre, déplaça ses attaques vers les cibles loin au nord de la Chine, qui se trouvaient devant les armées soviétiques, des cibles moins importantes qu’auparavant.


ouaf ouaf ! bon toutou !!

Hors ligne

 

#6 [↑][↓]  16-09-2021 09:55:27

philouplaine
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Re: [Réel] 1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

SIXIEME PARTIE




10. LE BLOCUS AERIEN DU JAPON


Dès le début de la guerre, le blocus du Japon a été l'un des principaux objectifs des forces aériennes et maritimes américaines. L’intérêt de ce blocus découlait d’un ensemble de conditions dont on pensait qu'elles affaibliraient le Japon au moins autant que toute grande puissance de l'histoire moderne ayant été soumise à un blocus. Tout d'abord, le Japon est entouré d'eau, c’est un archipel. Deuxièmement, sa population est considérable et au moins 20 % de sa nourriture devait être importé. Ses normes nutritionnelles étaient déjà si faibles que nous nous attendions à ce que le blocage de ces 20 % entraîne des privations insoutenables pour une grande partie de la population. Troisièmement, une grande partie de son potentiel industriel se trouvait dans les quatre Îles Nationales, Kyushu au sud, Shikoku, Honshu, l’île principale, et Hokkaido au nord, alors que la plupart des matières premières nécessaires à ces industries ne s'y trouvaient pas. Par exemple, 90 % de tout le pétrole provenait de l'étranger, 88 % de tout le fer et 24 % de tout le charbon aussi. Quatrièmement, si la majeure partie des mines de charbon se trouvait à Kyushu et à Hokkaido, les industries l’utilisant se trouvaient sur Honshu, de sorte que près des 2/3 du charbon était transporté par voie d'eau à un moment donné entre la mine et l'usine. Cinquièmement, le terrain et le développement relativement faible du système ferroviaire japonais rendaient le Japon très dépendant, même pour le transport domestique, du cabotage.

En bref, le Japon devait disposer d'une flotte marchande importante et active s'il voulait être un combattant efficace. Cette flotte atteignit sa taille maximale en 1942. Elle se composait alors de près de 5000 navires de plus de 100 tonnes chacun, et d'un poids brut total de 7,5 millions de tonnes. Les petits navires côtiers, les bateaux fluviaux et les sampans de moins de 100 tonnes n’ont pas été pris en compte dans ce calcul. En raison de l'expansion rapide de l'activité militaire japonaise dans les premiers jours de la guerre, cette flotte de transport, utilisée pour transporter les troupes et les équipements ainsi que la nourriture, a tout de suite été mise à rude épreuve par les attaques des sous-marins et des avions américains. La 5ème Air Force ravageait les voies de navigation entre les Îles Nationales et le Pacifique Sud avec ses B-25 Mitchell, introduisant lors de la très importante bataille de la mer de Bismarck, le bombardement à basse altitude. Ce fut un fléau croissant pour les japs jusqu'à la fin de la guerre. Dans le Pacifique Sud, la 13ème Air Force mit au point une technique d'espionnage à longue portée très efficace pour certains de ses  B-24 Liberator.

La 14ème Air Force s'est, elle, concentrée sur la navigation fluviale en Chine et les navires qui longeaient la côte chinoise, obtenant un succès notable avec une méthode permettant de réaliser des attaques nocturnes à basse altitude par radar. Les avions de l’aéronavale basés sur des porte-avions ont coulé des cargos ennemis partout. Mais le véritable vampire qui a sucé la veine jugulaire du Japon s'est avéré être le sous-marin. Jour après jour, nos sous-marins coulaient navire sur navire pour atteindre plus de 100 000 tonnes par mois avec une régularité implacable. Les effets de ces attaques étaient multiples. Elles ont d’abord conduit à un affaiblissement général de l'effort militaire japonais sur les différents fronts du Pacifique Sud, ce qui a conduit du même coup les armées japs avancées à une politique défensive plutôt qu'une politique agressive d’attaques. En outre, nos attaques ont tellement limité la livraison de matières premières au Japon qu'un nombre croissant d'usines s’arrêtaient définitivement de fonctionner, et, ce de plus en plus jusqu’à la fin de la guerre. Enfin, les déprédations des sous-marins américains ont provoqué l'abandon par les cargos des grands ports japonais de la côte est, à savoir Tokyo, Yokohama et Nagoya. C'était plus important qu'il n'y paraît. Cela signifiait qu'une grande partie du trafic maritime devait désormais être canalisé vers quelques endroits bien précis et, notamment, le détroit de Shimonoseki, d'où il pouvait passer par la mer intérieure du Japon à une poignée de ports plus petits sur la côte ouest du Japon. De ces ports, les précieuses cargaisons de ces caboteurs étaient transportées par rail vers les usines. La première moitié du travail, celle des sous-marins, fonctionnait parfaitement. La moitié aérienne restait à faire. Si nous pouvions encombrer le détroit de Shimonoseki et ces ports de la côte ouest avec des champs de mines, le Japon s'effondrerait rapidement en tant que société industrielle organisée.

Ce n'est pas avant le printemps 1945 que le développement de bases aériennes à portée du Japon a progressé au point de permettre une campagne de largage de mines à l'échelle que l'on croyait nécessaire pour réussir. À cette époque, la marine marchande japonaise ne pesait plus qu'environ 2 500 000 tonnes contre environ 11 200 000 tonnes au début de la guerre. Elle avait été totalement incapable de remplacer les pertes, et comme l'espace dans lequel ses navires restants pouvaient opérer devenait de plus en plus restreint, l'avion devenait une menace de plus en plus terrible. En janvier 1945, les avions avaient coulé plus du double du tonnage coulé par les sous-marins.

La première mission de largage de mines eut lieu le 27 mars 1945, des B-29 Superforteresse larguèrent 900 mines aux abords du détroit de Shimonoseki, le plus grand goulet d'étranglement du Japon qui, à cette époque, assuraient 40 % de tout le trafic maritime. Au cours des quatre mois suivants, plus de 11 000 mines furent larguées autour de tous les principaux ports japonais, formant ainsi le plus grand blocus de l'histoire formé de champs de mines. C’est ce blocus qui a littéralement étranglé le Japon.


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Traduction de la légende. Le blocus du Japon a commencé lorsque les sous-marins et les mines ont coupé les routes directes des navires vers les ports de la côte Est du Japon en provenance de la Chine et des Indes néerlandaises (flèches noires). Puis les mines, déposées par avions, ont bouché le détroit de Shimonoseki (flèches blanches et grises), la Mer Intérieure entre Honshu et Shikoku, et les ports vitaux de la côte Ouest.  Les champs de mine largués par les américains sont colorés en rouge brique. Les flèches noires représentent les routes maritimes avant la campagne des attaques de sous-marins américains sur les côtes du Japon. Les flèches blanches représentent les routes maritimes qui existaient avant et après la campagne d’attaque des sous-marins américains. Les flèches grises représentent les routes maritimes établies après l’intensification des attaques de sous-marins américains. Légende des flèches. Flèche blanche, routes maritimes depuis la Corée et la Mandchourie vers les centres industriels de la côte Est via le détroit de Shimonoseki. Flèche grise du haut, routes maritimes vers les petits ports de la côte Ouest du Japon et desserte des centres industriels localisés sur la côte Est par chemin de fer. Flèche grise du bas à gauche, routes maritimes depuis la Chine et les Indes néerlandaises via le détroit de Shimonoseki vers les ports de la Mer Intérieure. Flèche noire partant du Japon, route maritime pour les renforts de troupes et d’équipement vers les positions avancées japonaises du Pacifique. Flèche noire arrivant au Japon, routes maritimes d’approvisionnement des centres industriels japonais vers les grands ports de la côte Est avant la campagne d’attaque des sous-marins et de largage des mines.


Pour compléter le blocus du Japon commencé par les sous-marins, l'opération "Starvation" (NdT – Opération Famine ... tout est dit !), c’est-à-dire l’installation de champs de mines stratégique dans les eaux japonaises par les B-29, fut lancée le 27 mars 1945. Les mines utilisées étaient de deux tailles : 450 kg d’explosif pour les eaux profondes jusqu'à 15 brasses (soient 27 mètres), et 900 kg pour les eaux jusqu'à 25 brasses (soient 46 mètres). Elles reposaient toutes sur le fond marin et pouvaient fonctionner correctement sous 3 mètres de boue.

Ces mines étaient des merveilles d'ingéniosité. Selon les propres mots d’un pilote de B-29 : "Ces maudites choses peuvent tout faire, sauf les œufs sur le plat". Elles étaient équipées d'un dispositif de comptage des navires qui permettait à un nombre déterminé de navires de passer dans leur champ de détection sans provoquer de détonation. Ce dispositif permettait de déjouer efficacement les dragueurs de mines japonais, mais n'était utilisé qu'occasionnellement car il permettait souvent de laisser passer un précieux tonnage et de ne détoner que pour un navire moins intéressant. Elles disposaient aussi d’un dispositif d'armement retardé qui permettait à la mine d’être détonante seulement après un certain temps. Chaque mine était équipée d'un mécanisme dit de "stérilisation" qui la désarmait automatiquement après un temps prédéterminé.

La campagne aérienne de largage de mines a compris cinq étapes opérationnelles, décrites dans les paragraphes suivants.

Première phase, du 27 mars au 2 mai 1945. Cette phase était prévue pour soutenir l'invasion d'Okinawa. En minant les grands ports de Kure, Hiroshima, Tokayama (un point de ravitaillement naval), et la grande base navale de Sasebo, les unités navales qui autrement se seraient précipitées à la défense d'Okinawa furent bloquées. Tout aussi importante fut la mise en place du champ de mines dans le détroit de Shimonoseki, qui empêcha la flotte ennemie d'atteindre rapidement Okinawa par ce détroit puis de naviguer le long de la côte Ouest de Kyushu, qui était alors relativement sûre pour les Japonais.

Deuxième phase, du 3 mai au 12 mai. Appelée "le Blocus des Centres Industriels", cette phase a coupé toutes les principales voies de navigation entre les grandes villes industrielles qui dépendaient du transport par eau pour 75 % de leurs marchandises. L'opération s'est étendue du détroit de Shimonoseki à la baie de Tokyo, en mettant particulièrement l'accent sur le système portuaire vital de Kobe-Osaka. Les passages de navires dans le détroit de Shimonoseki furent alors réduits à seulement deux ou quatre navires par jour à la fin mai, contre 40 à 50 par jour en mars 1945.

Troisième phase, du 13 mai au 6 juin. Les B-29 se sont ensuite attaqués aux ports du nord-ouest de Honshu, allant même jusqu'à Niigata, que les Japs pensaient "trop au nord" pour être atteint par les B-29. En conséquence, les routes maritimes directes vers le continent asiatique se sont réduites à presque rien. En même temps, les B-29 continuaient à larguer des mines dans le détroit de Shimonoseki. En fait, près de la moitié de toutes les mines larguées pendant l’Opération Starvation le furent dans ce goulot d'étranglement entre la Mer du Japon et l’Océan Pacifique.

Quatrième phase, du 7 juin au 8 juillet. L'intensification des largages de mines dans les ports du nord-ouest de Honshu et des ports de Kyushu permit de maintenir le blocus serré. Le grand système portuaire de Kobe-Osaka fut également miné à plusieurs reprises, car ces ports offraient des installations de réparation aux navires japonais endommagés qui tentaient constamment de se faufiler par la Mer Intérieure.

Phase 5, du 9 juillet à la fin de la guerre, le 15 août. Pour compléter le blocus, des mines furent à nouveau larguées sur les principaux ports du nord-ouest de Honshu et sur Kyushu, et comme une touche finale les B-29 larguèrent des mines sur le port de Fusan, à la pointe sud de la Corée, et sur d'autres ports coréens. Le 6 août 1945, le port de Fusan n’hébergeait plus que l’équivalent de 15 000 tonnes de navires de commerce contre plus de 100 000 tonnes quelques mois auparavant. Durant cette seule cinquième phase, on estime que la marine de commerce japonaise a perdu plus de 300 000 tonnes. Rappelons qu’au plus fort de la Guerre de l’Atlantique, les U-boat allemands ont coulé 729 160 tonnes en novembre 1942. À la fin de la guerre, seule une petite fraction du trafic maritime japonais continuait de passer du continent au Japon. Toutes les expéditions de matières premières avaient cessé et les expéditions de nourriture ne représentaient qu'une fraction de ce qui était nécessaire.

Quant aux chiffres de cette campagne de blocus aérien, un total de 1 528 B-29 Superforteresses ont été envoyés pour poser 12 053 mines sur leurs cibles, avec la perte de 15 avions seulement. Au cours d'une opération exceptionnelle, exigeant la plus grande précision et la plus grande habileté de navigation, ce sont les avions de la 313ème escadrille de bombardement du 21ème Commandement, et en particulier son 505ème groupe, qui réussirent le premier largage aérien de mines de l'histoire militaire.


11. DE PLUS EN PLUS DOULOUREUX POUR LES JAPS


Derrière chaque mission de combat menée par un B-29 se cache une quantité incroyable d'entraînements, de planifications, de sueur, de sacrifices et de courage. Ce rapport, assez informel, ne touche que quelques détails de l'histoire, tirés au hasard ici et là parmi beaucoup d’autres. Si ces historiettes que nous vous livrons se bousculent de façon incongrue, un peu comme le dollar d'argent d'un sergent (NdT – Il est de tradition dans l’armée américaine que tout nouvel officier affecté à une unité soit informé par un sergent de cette unité de l’histoire et des traditions de cette unité, dans les plus petits détails et sans ordre chronologique, et qu’en échange de cette information le sergent reçoive un dollar d’argent de cet officier), on ne peut que souligner que la vie elle-même est incongrue et que le résultat final d’une série d’actions est rarement connu à l’avance.


L'histoire des opérations des "Superfort" dans le Pacifique a débuté avec la livraison du premier bombardier Boeing B-29, un événement qu'un caporal a célébré par une longue ballade : "Le premier B-29". Le 13 octobre 1944, les habitants de Saipan, dans l’archipel des Marianne, ont entendu le grand ronronnement d’un quadrimoteur gigantesque en approche de la piste de l’aéroport d’Isely Field, alors encore en construction. Eux et les soldats s'arrêtèrent pour regarder et acclamer "Joltin Josie", le pionnier des bombardiers B-29 du Pacifique. Deux mois plus tôt, le 1er Groupe de Service Aérien s'était installé à Saipan, avait pris en main le petit aérodrome bâti là par les Japs, l’avait considérablement agrandi,  construit des pistes et des routes en écrasant le corail de l’île, transporté des équipements, installé des hangars de maintenance pour être prêt à recevoir le premier d’une longue série de B-29, pour former le 21ème Groupe de Bombardement sous le commandement du général Haywood Hansell. Les équipages des B-29 s’étaient formés longtemps avant cette date aux vols et aux bombardements à haute altitude au-dessus des vastes plaines du Kansas. La première attaque sur Tokyo eut lieu le 24 novembre 1944, lorsque 111 B-29 décollèrent de Isely Field à Saipan, pour suivre la voie aérienne de 2 400 km de long, que tous les équipages allaient rapidement baptiser la "Hirohito Highway", pour aller bombarder la grande usine de moteurs d'avion de Nakajima à Musashino dans la banlieue de Tokyo lors de l’opération "San Antonio One". Seuls 2 des 111 B-29 furent perdus et l’équipage de l’un des avions perdus fut récupéré en mer. 25 chasseurs ennemis furent abattus par les mitrailleuses des "Superfort" ; la défense anti-aérienne fut intense mais peu efficace. La météo était mauvaise sur la cible avec une couverture de 9/10. Seuls 24 B-29 larguèrent leurs bombes sur la cible primaire d’une altitude de 32 000 pieds, et seulement 16 de ces 24 B-29 touchèrent les installations des usines Nakajima. Les autres B-29 allèrent bombarder la cible secondaire : la ville et le port de Tokyo avec plus de succès. Le temps passé par les B-29 au-dessus de la cible primaire fut d’un peu plus de deux minutes (24 :13 :12 à 24 :15 :32 local).

Le problème numéro un était la météo. La météo japonaise s’était invitée dès la première mission au-dessus du Japon. Lors de la première mission à Tokyo, seulement sept pour cent des bombes larguées l’avaient été sur la cible, en raison de la forte couverture nuageuse, et seulement 16 des 111 B-29 avaient atteint la cible primaire. Le radar était une aide précieuse à la navigation, mais il ne pouvait pas à l'époque assurer la précision d’un bombardement à haute altitude. Pendant les deux premiers mois où le 73ème  groupe de bombardement, commandé par le général O'Donnell, poursuivit seul les missions demandées, les résultats de ses bombardements furent bien loin d'être décisifs. Mais ce fut une période de persévérance intrépide, où les problèmes qui se posaient, étaient diagnostiqués puis résolus les uns après les autres.

Le fait qu'en dix jours, lors des premières missions au-dessus de Tokyo fin novembre 1944, la capitale japonaise ait été attaqué à quatre reprises, et ce malgré les risques liés à la mise en place d'une nouvelle route aérienne et au pilotage d'un nouveau type d'avion pas encore totalement perfectionné, le B-29, témoigne de l'esprit combatif des équipages du 73ème Groupe. Une fois lancés, ils continuèrent à frapper à la limite de leur force jusqu’à la fin de la guerre.

Les Japs ont riposté. Peu après minuit le 27 novembre, 1944, lorsque les B-29 étaient alignés sur la piste de Saipan pour lancer à l'aube leur deuxième attaque sur Tokyo, des avions japonais se sont faufilés pour bombarder et mitrailler la base. Un des B-29 a reçu un coup direct et il a explosé. Des B-29 qui étaient sur des aires de stationnement adjacentes furent endommagés. Mais la mission du lendemain s'est quand même déroulée comme prévu.


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Vue partielle de l’aéroport militaire Isely Field à Saipan dans les îles Marianne à la fin de la guerre. On voit des B-29 alignés qui sont prêts pour une mission. En haut on voit la piste nord. En bas au centre, on voit les installations de maintenance et d’habitation du personnel du 21ème Bomber Command de la 20ème Air Force. En bas à droite, on voit des B-29 isolés parqués sur des aires de stationnement individuel dispersées.


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Vue partielle de l’aéroport militaire North Field à Guam. Traduction de la légende. Pendant que nous étranglions le ravitaillement japonais, nos gros bombardiers se sont massés dans les îles Mariannes pour effectuer des bombardements directs sur le Japon. Tranquillement installées dans leur zone de dispersion à North Field, Guam, voici les Superforteresses de la 314ème escadrille du 29ème Groupe de Bombardement. En arrière-plan, ce sont les B-29 du 19ème Groupe de Bombardement.


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Plan de l’aérodrome nord (North Field) de nos installations à Guam partagées par le 29ème et le 39ème Bombing Groups. Lors du départ d’une mission de bombardement sur le Japon, les B-29 quittent un par un leur aire de stationnement individuel et se dirigent les uns derrière les autres en file vers le holding point de l’une des deux pistes (suivre les flèches rouges). La piste nord (North Runway) pour les avions du 39ème BG et la piste sud pour les avions du 29ème BG. A chaque fois, l’organisation des décollages est la suivante. Le premier B-29 s’élance de la piste nord à Zéro heure plus 1 minute, c’est celui du leader du 39ème BG. Puis, trente secondes après, le B-29 du leader du 29ème BG décolle de la piste sud. Puis chaque B-29 décolle les uns derrière les autres des deux pistes, à 30 secondes d’intervalle.


Radio Tokyo diffusait constamment des menaces d'attaques Kamikaze. Celles-ci se sont rarement concrétisées mais elles étaient une source d'inquiétude constante pour nos équipes. Les chasseurs japonais furent dupés par la vitesse élevée et l'armement lourd de nos B-29. Leur seule manière de tenter de toucher un B-29 était l’attaque frontale. Aux  hautes altitudes où évoluaient les B-29 (entre 27 000 et 32 000 pieds), leur avantage de vitesse disparaissait quasiment et ils ne pouvaient plus attaquer nos bombardiers sous d’autres angles sans devenir des cibles faciles à atteindre pour nos mitrailleurs. C’est ainsi que lors de la première mission sur Tokyo, en novembre 1944, sur 111 B-29, seuls deux furent détruits, mais 25 chasseurs jap allèrent au tapis. Et même dans les attaques frontales, avec une vitesse de rapprochement des deux avions de l’ordre de 800 km/h, le pilote du B-29 pouvait généralement esquiver ses attaquants par un rapide basculement des ailes. À titre d’indication, lors du bombardement des usines à Musashino, la vitesse-sol des B-29 au-dessus des usines Nakajima était de 712 km/h.

Les chasseurs japonais ont découvert qu'ils pouvaient faire mieux en attendant qu'un B-29, endommagé par la DCA, traîne derrière sa formation, puis, comme des vautours, ils le poursuivaient et l’attaquaient jusqu’à 50 ou 100 miles en mer. Dans la plupart des cas, cependant, l'avion réussissait à s’échapper. Cette politique d'attaque des traînards se poursuivit tout au long de la guerre. Elle fut contrecarrée par notre "Buddy System" dans lequel un B-29 intact se détachait de la formation pour défendre l'avion endommagé et, dans le cas où celui-ci devait amerrir, décrivait alors des cercles au-dessus des survivants, larguant ses radeaux de secours et dirigeant les unités de sauvetage air-mer sur les lieux. Parfois, une formation entière ralentissait pour qu'un B-29 traînard puisse suivre le rythme.

Les attaques des chasseurs, cependant, devinrent de plus en plus féroces avec le temps et ont causé la majeure partie de nos pertes. À très haute altitude, la DCA était généralement trop imprécise pour être efficace. Au cours des cinq premières frappes à haute altitude (de 28 000 à 33 000 pieds) sur l’usine d'aviation Mitsubishi au nord de Nagoya, les B-29 ont subi un total de 1 731 attaques de chasseurs. Nos artilleurs ont abattu 48 avions et en ont probablement détruit 50 autres. Nos pertes ont été de 7 B-29, cinq abattus au-dessus de la cible et deux qui se sont abîmés en mer au retour. 33 autres des B-29 sont revenus à la base avec des dégâts considérables. Et lors de la 14ème mission de l'escadrille contre le Japon, le 27 janvier 1945, nos bombardiers ont rencontré une opposition des chasseurs japonais d'une intensité jamais vue. Les rapports de combat de nos équipages ont souligné comment, lors de cette mission, des pilotes japs fanatiques poussaient leurs avions au cœur même des formations de bombardiers soit pour tenter d’entrer en collision avec un B-29 , soit en tirant au hasard et en permanence tout le long de leur plongée en zig-zag dans la formation. Ils étaient alors des cibles relativement faciles pour nos mitrailleurs. Lors de cette mission, les B-29 ont abattu 60 chasseurs japonais.

"Fuji 1944" était le nom de code que s’était donné un groupe de nos aviateurs, triés sur le volet, qui utilisaient régulièrement la très célèbre montagne japonaise, le Fuji-Yama, comme un point de repère dans leurs missions sur Tokyo. Les photos de formations de Superforteresses avec le Fuji enneigé en arrière-plan étaient aussi courantes dans les baraquements des îles Marianne que les photos des chutes du Niagara dans les salons de nos parents.


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Des bombardiers Boeing B-29 de la 874ème Escadrille (Grand-T) du 498ème Groupe de Bombardement, basé à Saipan, en vol près du Mont Fuji le 13 avril 1945. La photographie a été prise du B-29 n°4. © Time Magazine © Boeing


Le plus grand obstacle à la précision des bombardements était la vitesse des vents à haute altitude au-dessus de la cible. À 30 000 pieds, les vents soufflaient à une vitesse pouvant dépasser quelque fois les 350 km/h, et quand les B-29 bombardaient par vent arrière, comme c’était souvent le cas, leur vitesse-sol pouvait atteindre alors les 900 km/h. Ces vitesses étaient bien supérieures au maxima prévus dans les tables de bombardement de l'armée de l'air. De plus, les équipages étaient souvent soumis à un froid extrême lorsque le système pressurisé de leur avion était endommagé par le feu ennemi. Cela a donné lieu à une sinistre boutade ayant trait au froid intense au-dessus de 30 000 pieds comme un remède contre les puces, qui ne résistaient pas au froid de ces altitudes.

Mais un fait était désormais clair. Après son baptême du feu, résistant très bien à la furie des assauts des japs et aux caprices de la météo au-dessus du japon, le B-29 avait fait ses preuves. Ce quadrimoteur était une superbe arme de combat.


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Lors d'une attaque frontale au-dessus de Tokyo, un chasseur bimoteur japonais Kawasaki Ki-45 Nick se précipite à toute vitesse à travers une formation de B-29. En général, ces passes d’attaque des chasseurs Jap étaient inefficaces. On distingue bien les traces de fumées laissées par le tir des mitrailleuses à bord des B-29 en position de tir.


Il était désormais clair, pour tout observateur, que la stratégie de bombardement du Japon suivrait à peu près le même schéma que celui utilisé en Allemagne. Il s'agissait donc de bombarder d'abord les usines de production d'avions. Comme l'indique le Manuel du Champ de Bataille FM 100-20 du département de la Guerre du 21 juillet 1943 sur Le Commandement et l’emploi de la force aérienne des États-Unis : "L'acquisition de la supériorité aérienne est la première condition de la réussite de toute opération terrestre majeure".

Mais avant de choisir quelles cibles seraient prioritaires, les renseignements militaires sont allés puisés dans toutes les sources possibles et imaginables. Contrairement au théâtre européen, où les spécialistes américains du planning des bombardements pouvaient bénéficier des renseignements britanniques et où les Allemands eux-mêmes, avec leur réel sens de la documentation poussé à l’extrême, avaient publié des volumes de faits et de chiffres sur leurs ressources, mois après mois, volumes que nous utilisions, le Japon du temps de guerre était pratiquement une "terra incognita".

Pendant de nombreuses années, les Japonais, naturellement discrets, avaient pris soin de ne pas faire connaître leurs plans. Dans l'une des plus grandes chasses aux faits de l'histoire, il a fallu, pour mieux connaître les installations de notre adversaire, rassembler des informations à partir de rapports rédigés par des missionnaires, des voyageurs de commerce, d'anciens résidents du Japon, des ingénieurs américains qui avaient été engagés pour construire des usines japonaises, et même à partir de clichés pris par des touristes américains pendant leurs vacances d’été au Japon. À cela s'ajoutent les premières photos de reconnaissance prises au printemps 1944 par les pilotes de la 20ème Air Force dont les audacieuses missions photographiques effectuées par un seul B-29 en plein territoire ennemi à partir de bases en Chine, comptent parmi les actes les plus héroïques de la guerre.

À partir de ce remarquable recueil d’information, dont une grande partie est encore valable, deux comités se réunirent à Washington au Pentagone : le Comité des Analystes Opérationnels et le Comité Mixte des Cibles. Ils ont établi une liste d'environ 1 000 objectifs. Les chefs d'état-major interarmées ont choisi comme cibles principales la production aéronautique japonaise, les industries du charbon, de l'acier et du pétrole, le transport maritime et les zones industrielles urbanisées japonaises. La liste finale des priorités a été établie par le Comité des Analystes Opérationnels dans cet ordre : 1) l'industrie aéronautique, 2) les zones industrielles urbanisées, et 3) le transport maritime. Une large directive a été donnée au 21ème  Commandement des Bombardiers, elle disait : "Voici les différents types de cibles. Maintenant, c'est à vous de jouer".

À suivre ...


ouaf ouaf ! bon toutou !!

Hors ligne

 

#7 [↑][↓]  16-09-2021 10:03:43

philouplaine
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Re: [Réel] 1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

SEPTIEME PARTIE



11. DE PLUS EN PLUS DOULOUREUX POUR LES JAPS (suite)


Transformer une directive générale de Washington en ordres spécifiques pour les différents équipages de bombardiers dans les îles Mariannes a encore nécessité une grande quantité de travail. Voici, en gros, ce qui s'est passé.

Le travail fut confié à des spécialistes de l’identification des cibles, le service A-2 (le Renseignement) du Bomber Command, coopérant étroitement avec le service A-3 (les Opérations). Leur besoin le plus important était de disposer de données détaillées et actualisées sur des cibles spécifiques et sur les itinéraires à emprunter pour éviter la flak et les chasseurs ennemis. Ces informations furent obtenues en grande partie à partir de photos aériennes. À partir de novembre 1944, la 3ème escadrille de reconnaissance et de photographie aérienne, basé aux îles Mariannes, effectua des missions presque quotidiennes au-dessus du Japon, à bord de B-29 modifiés pour la photographie de reconnaissance. Au 1er août 1944, l'escadrille avait accompli 433 missions de ce type et avait littéralement photographié chaque kilomètre carré du Japon. Ces B-29 étaient nos yeux.

Une fois le film photographique développé, les officiers Interprètes Photographiques se mettaient au travail. Ils examinaient chaque tirage à la loupe, notant les défenses ennemies, les points de repère, analysant les cibles, et même estimant le type de matériaux de construction utilisés afin que les experts décident quel type de bombe charger à bord des B-29 pour infliger le plus de dégâts aux cibles.

Armés de toutes ces données, les hommes des services A-2 et A-3 du quartier général se réunissaient pour ensuite établir les différentes missions spécifiques. La technique de planification d'une mission de bombardement massif évolua avec la pratique pendant la guerre. Une réunion de planification était engagée, c’était une table ronde plutôt informelle réunissant des officiers opérationnels expérimentés, ainsi que des spécialistes des cibles, de la navigation, de la météo, des chasseurs ennemis et des défenses anti-aériennes, des radars, de la radio, de l'armement, des munitions et de la guerre chimique. La théorie pure n'y avait pas sa place. Cette réunion rassemblait des hommes qui, grâce à leur expérience directe du vol, "savaient de quoi il s'agissait".

Ensemble, ces deux services ont établi une sorte de schéma directeur de la mission pour chaque cible retenue. Ce dossier indiquait, pour chaque mission, le nombre de bombardiers requis, les chargements de bombes et le type de bombe à utiliser, les itinéraires et l'altitude des vols vers et depuis la cible, les points de contrôle de navigation, les points de visée, l'axe et l'altitude de l'attaque, la cible secondaire au cas où la cible primaire ne serait pas atteignables. Ces dossiers étaient ensuite soumis à l'approbation du général commandant, puis entreposées en vue d'une éventuelle utilisation future.

Mais dans l’immédiat, des plans complets étaient envoyés aux services A-2 des quartiers généraux des différentes escadrilles de bombardement. Appelé à ce stade "plan fragmentaire", il s'agissait d'un avertissement, d'une mise en garde à l’attention du commandement de l’escadrille sur les missions qui pourraient lui être demandées, à tout moment, sur les trois jours suivants, voire sur les trois semaines suivantes. Plusieurs plans de ce type pouvaient être soumis en même temps.

Grâce à cet avertissement préalable, les services A-2 des différentes escadrilles de bombardement pouvaient rassembler la plupart des données supplémentaires nécessaires à une mission : cartes, tableaux, etc. et les conserver dans leurs dossiers jusqu'à ce que des ordres plus précis soient donnés. Ce système permettait également aux escadrilles de recommander au Pentagone des études de cibles plus poussées voire modifiées, basées sur le plan fragmentaire, pour leurs propres groupes de bombardiers respectifs. En d'autres termes, ce processus permettait aux équipages de faire des recherches sur d'éventuelles cibles futures, au lieu de dépendre entièrement des briefings finaux.

Le quartier général a également bénéficié de ce système. Ils n'étaient pas engagés longtemps à l'avance pour bombarder une cible. Ils pouvaient couper dans ces dossiers presque comme bon leur semblait en fonction des besoins de dernière minute. Si, par exemple, l’escadrille se préparait à attaquer, mais que la météo montrait du mauvais temps au-dessus de la cible, alors les équipages ne restaient pas sans rien faire à attendre une amélioration, plus ou moins rapide, de la météo, les équipages changeaient de cible. Il y avait d'autres cibles à choisir, et toute l'armée de l'air était déjà prête à se lancer sur n'importe laquelle d'entre elles, grâce au processus des "plans fragmentaires".

Les ordres définitifs du Bomber Command étaient émis par le général commandant en deux temps :
Le premier temps : les intentions.
En règle générale ces ordres étaient envoyés deux jours avant la mission. Le général arbitrait le choix de la cible, autorisait les escadrilles à préparer leurs formations et tout le matériel nécessaire aux briefings et autorisait les bombardiers à recevoir leur charge de bombes.
Le second temps : la décision ferme.
12 à 24 heures avant la mission. L'ordre est donné aux escadrilles de mener un assaut, après avoir pris connaissance des dernières prévisions météorologiques. Cet ordre comprenait généralement la date et l'heure du décollage des formations de bombardiers des différentes escadrilles participant à l’attaque. Tout cela était transmis à tous les groupes des différentes escadrilles.

Chaque escadrille ensuite émettait ses propres ordres, qui comprenaient l'ordre de décollage pour chaque groupe et pour chaque avion, son heure de départ de son aire de stationnement et son heure de décollage. Le service A-3 de l’escadrille préparait ensuite un programme, appelé "flimsy", qui était remis à chaque commandant d'avion, indiquant l'heure exacte et l'ordre de décollage pour chaque avion du groupe. Ainsi, chaque pilote, avec son briefing et son étude de la cible en tête, et avec son dossier de la cible et son "flimsy" en main, était prêt à aller bombarder le Japon, soutenu par les connaissances et l'expérience de plusieurs centaines d'autres hommes. Au sens le plus profond du terme, les onze membres d'équipage d'un B-29 ne volaient jamais seuls.


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Traduction des légendes. À gauche, le voyage s’est terminé plus tôt que prévu pour cette Superforteresse qui s’est abimé près de la côte après des défaillances moteur au décollage à Guam. Depuis, son épave sert de plongeoir. À droite, les "chiens de berger" Mustang, escortent les Superforteresses lors de leurs attaques sur le Japon. Ici, un mitrailleur regarde un trio de P-51 tout proche en formation avec son avion.


12. DES VILLES-CHAMPIGNONS DANS LES MARIANNES


Pendant ce temps-là, un style de vie typiquement américain avait commencé à prendre forme et se répétait, avec des variations mineures, sur les trois îles : Saipan, Guam et Tinian. Les vestiges de l'occupation japonaise avaient été écartés. L'ère du bulldozer commençait. Les hommes du génie plantaient leur mini tente un matin près d'un bosquet, qui devenait leur point de repère, et à la tombée de la nuit, ils ne retrouvaient plus leur chemin. Les arbres du bosquet  avaient disparu ; les bulldozers étaient passés par là. Des hectares de jungle ont été déracinés en quelques heures, faisant place à de nouvelles pistes d'atterrissage et à des zones de bivouac. Ce qui ressemblait autrefois à un décor paradisiaque de carte postale ressemblait désormais à un paysage du temps des pionniers américains : des bidonvilles, des camps de bûcherons, et les fameuses villes de la ruée vers l'or.

Dès avril 1945, la toute nouvelle route n° 1 de Guam était devenue ce qui est pratiquement le symbole de l'Amérique : une large route macadamisée bien rectiligne, bordée de poteaux téléphoniques et encombrée de véhicules. On se disait qu'une telle route devait mener à une grande ville. Mais cette route avait un tout autre but. En roulant vers le nord sur la route 1 de Guam depuis le port, vous arriviez à une élévation, et soudain, depuis cette élévation, toute la base aérienne North Field s’étalait devant vous avec ses deux pistes de 2600 m, ses kilomètres de pistes de roulage et son fouillis d’aires de stationnement couvertes par une mer de Superforteresses, leurs rangées d'ailes brillant au soleil, leurs empennage se dressant comme des vagues. C'était une façon bien agréable pour une telle route militaire de se terminer - et pour une autre de commencer.

Un décollage général de North Field est prévu à 1900 (19 heures). Il s'agit d'un effort maximal, impliquant les quatre groupes d'une escadrille, soient près de 140 B-29. Tout le personnel au sol et les officiers non volants de l’escadrille, mais aussi tous les hommes de troupe s'alignent sur les monticules de corail le long des deux pistes. Deux par deux, les avions commencent à décoller, d'abord lentement, comme s'ils ne pourraient jamais soulever leur énorme masse. A chaque fois que toutes les roues d’une Superforteresse avaient enfin quitté le sol, chaque homme ressentait et, souvent, exprimait son soulagement. En moins d'une heure, le groupe entier avait décollé. Les feux arrière des avions s'estompaient dans les nuages et les derniers avions étaient vite hors de vue. Mais pas hors de l'esprit.

S’inquiéter au sol pour une mission est une habitude rituelle de l'armée de l'air. L’un le fera d’une façon, l’autre d’une autre façon. Certains vont passer le temps et oublier leur inquiétude en jouant au poker, d'autres en attendant chaque rapport radio, d'autres encore en essayant de d'oublier en tenant de dormir. Mais en fait personne n'oublie vraiment. Un mécanicien a été chargé de réviser un certain moteur N°3 pour qu’il soit en parfait état de marche. Il passe son inquiétude sur les 18 cylindres et donne le prénom de sa femme à ce fichu moteur. Un colonel qui a briefé les équipages sur les risques  d’attaques de chasseurs ennemis se demande si son briefing va sauver ou coûter des vies. L’inquiétude de l’attente ne se fait pas uniquement au sol. Les équipages en vol pensent à l'avance aux quelques petites minutes au-dessus de la cible. Une escadrille de bombardiers est pleine de penseurs inquiets.

Il était si rare que ces émotions intérieures produisent des effets extérieurs, que lorsqu’elles le faisaient, cela valait la peine d'être noté. Par exemple, il y avait une cible bien connue nommée "Old 357" ou encore  "la petite cible préférée du général O'Donnell" par les équipages. Il s'agissait de l'importante usine d'aviation Nakajima, près de Tokyo. La détruire devint la tâche spéciale de la 73ème escadrille qui était basée à Saipan. Cette cible était connue pour porter la poisse. Les B-29 de la 73ème escadrille l’avaient bombardée lors de 13 missions différentes, au prix de 58 avions abattus. Les nuits précédant les dernières missions sur Old 357, les bâtiments de la base de Saipan où dormaient les membres d'équipage étaient aussi calmes et sombres que d'habitude. Une seule chose révélait alors ce qui se passait dans la tête des équipages, pendant qu'ils répétaient encore et encore le passage de bombardement, les zones où les attendrait la chasse ennemie, alors qu'ils évaluaient leurs chances de vivre ou de mourir. C'était une longue rangée de points rougeâtres, des cigarettes qui brillaient dans l'obscurité.


13. IWO JIMA, LE PARADIS DES B-29


Pour chaque équipage de B-29  qui allait sur  le Japon après mars 1945, le fait qu'Iwo Jima soit devenue une base américaine était un constant motif de gratitude. Iwo ne fait que 13 km de long, c'est une toute petite île. Mais jamais si peu n'a eu autant d'importance pour autant de personnes (NdT – La phrase du rapport ici : Never did so little mean as much to so many,  reprend la fameuse phrase de Winston Churchill en 1940 à propos de la gratitude de la nation britannique pour les pilotes de la RAF, victorieux dans la Bataille d’Angleterre : Never in the field of human conflict was so much owed by so many to so few - Jamais, dans le domaine des conflits humains, tant de gens n'ont dû autant à si peu. )

Située à peu près à mi-chemin entre Guam et le Japon, Iwo rompt la longue distance des vols entre Guam et les ciels japonaise, à l’aller comme au retour. Si vous aviez des problèmes de moteur, vous teniez bon pour vous poser à  Iwo. Si votre B-29 était criblé de balles et d’éclats au-dessus du Japon et que vous aviez des blessés à bord, vous teniez bon pour vous poser à Iwo. Si la météo devenait trop  rude, vous teniez bon pour vous poser à  Iwo. Les formations se rassemblaient au-dessus d'Iwo et même certaines faisaient le plein à Iwo pour les missions plus longues. Si vous aviez besoin d'une escorte de chasseurs, elle venait généralement d'Iwo. Si vous deviez amerrir ou abandonner votre avion trop désemparé, vous saviez que les unités de sauvetage air-mer qui vous seraient envoyées viendraient d'Iwo. Même si vous n'aviez jamais utilisé Iwo comme base de secours, c'était toujours un avantage et un soulagement psychologique de savoir qu’Iwo Jima était là, dans nos mains. C'était un point de repli.

Du 4 mars 1945, date à laquelle le premier B-29 endommagé y a atterri, un appareil de la 20ème Air Force baptisé Dinah Might (NdT – Jeu de mot entre Dynamite – la dynamite – et Dinah Might – la Puissancede Dinah, une des filels de Jacob). Alors que, sur une île Iwo Jima pas encore entièrement conquise,  les Américains qui se trouvaient dans les environs retenaient leur souffle, le gros bombardier est arrivé du sud, puis a fait un atterrissage violent sur la piste temporaire en gravier, a touché un poteau téléphonique avec une aile et s'est à moins de 15 mètres de l'extrémité de la piste. Le lieutenant F. Malo et son équipage de 10 hommes étaient extrêmement heureux d'être en vie, mais ils ne s’attardèrent pas. En effet, tous les artilleurs japonais à portée de tir se mirent à prendre pour cible le B-29 immobilisé. Les mécaniciens effectuèrent les réparations sur le lieu même, sou el feu ennemi, en une demi-heure. Puis la Superforteresse de 65 tonnes s’envola sous une grêle de tirs ennemis et retourna à sa base sur l'île de Tinian.

À la fin de la guerre, un total de 2251 B-29 avait atterri à Iwo. Un grand nombre d'entre eux auraient été perdus si Iwo n'avait pas été disponible. Chacun d'entre eux transportait 11 membres d'équipage, soit un total de 24761 aviateurs. La conquête de l'île a coûté 4800 morts, 15300 blessés et 400 disparus, un prix terrible qu’ont payé les Marines et l’US Navy, mais un prix pour lequel chaque homme de la 20ème Air Force et du 7ème Commandement de  Chasse sont éternellement reconnaissants.


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Un B-29 survolant le Mont Suribachi à Iwo Jima.


La base aérienne d’Iwo a commencé avec une piste en gravier très rudimentaire. Le premier B-29 qui s’y posa, le Dinah Might, fit le plein de carburant avec de l'essence que chaque US Marine présent transportait dans son propre casque. À la fin de la guerre, Iwo disposait d'un système élaboré de pistes macadamisées, de pompes à essence et de nombreuses machines pouvant accueillir et avitailler des dizaines de Superforteresses à la fois.

C'est là que le major Charles A. "Rocky" Stone fit son entrée. On l'appelait le chef de la maintenance des B-29 sur Iwo, mais tout le monde l’appelait le gars de la "station-service" "Chez Rocky", la plus importante station de dépannage du monde. Rocky était un ex-navigateur qui avait décroché son poste à Iwo en disant à un colonel aux Etats-Unis : "Monsieur, je pense que votre maintenance pue". Camionneur de fruits et légumes en Californie, Rocky, avec son visage carré et barbu sous sa  casquette, un morceau de tabac toujours dans la mâchoire, avait plutôt l'air d'un chef d'atelier à la petite semaine que l’air d’un Major de l’USAAF. Mais il connaissait parfaitement son métier.

Dans la pensée stratégique américaine de la guerre du Pacifique, Iwo Jima devait servir principalement de base pour les chasseurs escortant les B-29. Comme indiqué plus haut, l’île a servi directement aux Superforteresses. Mais elle est quand même devenue la base du 7ème Commandement de Chasse, qui a marqué l'histoire de la guerre à part entière.

Les pilotes du 7ème FC (NdT - FC pour Fighter Command) ont effectué certaines des missions les plus longues et les plus difficiles jamais entreprises par un groupe de chasseurs. Ils ont dû voler dans des conditions météorologiques qui attiraient toutes les pires insultes du lexique de l'armée. Installés dans les cockpits exigus de leurs Mustangs, ils volaient pendant huit ou neuf heures d’affilé sur 2500 km au-dessus de la mer, pour seulement quelques minutes de mitraillage d’aérodromes et autres cibles ennemis. "Ce n'était pas si mal après la première heure parce que vos jambes s'engourdissaient", a déclaré un pilote. "Mais quand vous étiez  de retour chez vous, vous n'aviez plus vraiment envie de vous asseoir. Vous étiez à vif".

Des P-51 Mustangs commencèrent à arriver sur Iwo au début du mois de mars. Leurs premières tâches consistaient à aider les Marines encore en difficulté sur Iwo même, et à neutraliser les raids contre les positions japonaises dans les îles proches (archipel des Bonins). Partis en chasse, les pilotes des Mustangs constataient souvent que les ennuis s'étaient évaporés avant qu'ils n'aient eu l'occasion de leur tirer dessus. Sur Iwo, les contre-attaques japonaises que notre Haut Commandement attendait se sont rarement matérialisées. En partie parce que la présence de nos chasseurs sur place  les effrayait et en partie parce que, avec la perte d'Iwo et la menace que nous faisions peser sur Okinawa, les Japs avaient décidé de jouer la prudence avec leur aviation et de se concentrer sur les attaques kamikazes.

C’est le 7 avril 1945 que le 7ème FC commença ce qui devait vraisemblablement être sa mission numéro un. Cent huit Mustangs décollèrent d’Iwo pour escorter des B-29 en mission de jour sur Tokyo. Ces Mustangs ont immédiatement prouvé leur utilité en abattant 21 chasseurs japonais avec la perte de seulement deux P-51. Entre cette date et la capitulation des Japonais, dix missions d'escorte seulement furent effectuées. Ce nombre relativement faible a été dû à l'augmentation soudaine des bombardements incendiaires de nuit pour lesquelles aucune escorte n'était nécessaire aux B-29 tant la chasse de nuit Jap était inexistante.

Le véritable ennemi du chasseur, comme toujours, était la météo. Le 1er juin, alors qu'ils revenaient d'escorter des Superforteresses lors d'une attaque incendiaire de jour sur Osaka, 24 Mustang furent perdus d’un coup dans un gigantesque front météo qui s’étendait de la surface de la mer jusqu’à 23 000 pieds, avec une visibilité nulle, de fortes pluies, de la neige et du givre. Personne ne saura jamais ce qu'ont enduré ces avions, malmenés et ballottés dans ce chaudron de mauvais temps. Le même jour, deux autres P-51 sont entrés en collision et se sont écrasés. Un pilote de la 44ème escadrille de chasse a passé six jours dans son petit radeau monoplace de sauvetage, il en a été éjecté cinq fois par d'énormes vagues. Il a finalement été récupéré par un sous-marin qui, par pure chance, faisait surface. Le cinquième jour, il a survécu au typhon qui a arraché la proue du croiseur Pittsburgh. Son seul commentaire sur cette épreuve fut : "Je suis resté assis là".

Le 16 avril, le 7ème FC commença sa série d’attaque de mitraillage des installations terrestres japonaises sur les Îles Nationales et, pour la première fois, assurait ses propres missions. Au total, un total de 33 frappes furent lancées jusqu’à la reddition du japon. Des frappes au sol par des attaques en rase-mottes. Les P-51 d’Iwo étaient à la fin de la guerre des partenaires très bien considérés des forces aéronavales, bien plus grandes et puissantes,  qui attaquaient le Japon depuis les porte-avions de la marine.

Il ne fait aucun doute que ces attaques ont contribué à priver les Japs de l'utilisation des aérodromes de la région de Tokyo-Nagoya-Osaka, tandis que nos chasseurs basés à Okinawa ont fait de même pour la région de Kyushu-Shikoku. Les Japs ont été contraints de camoufler leurs avions sous des arbres, sous des ponts ou dans des tunnels, voire même dans des cimetières. Les avions étaient stationnés jusqu'à huit kilomètres de leur aérodrome où se trouvaient les pistes, ce qui signifiait qu'au moment où un avion Jap avait rejoint son terrain, en roulant sur une route avec son propre moteur, le moteur avait tellement surchauffé qu'il ne pouvait plus voler pendant un certain temps. Cette dispersion forcée décuplait les problèmes de maintenance des Japonais, qui déjà n'étaient pas très doués pour la maintenance. Du point de vue du pilote de chasse américain, il était parfois décourageant d'aller jusqu'au Japon et, une fois sur place, de ne même pas être trouver une bonne cible à mitrailler. Du coup, une fois les aérodromes Japs laissés à l’état de ruines fumantes, nos chasseurs attaquèrent d’autres cibles : les trains, les gares, les centrales énergétiques, les usines et surtout tous les bateaux, sans distinction, qui cabotaient le long des côtes du Japon.

En passant, il est intéressant de noter que les Japs ne semblaient pas disposer de moyens d'alerte adéquats, du moins contre les petits avions comme des chasseurs. Lors des attaques, nos pilotes de chasse surprenaient continuellement les Japs en train de courir pour se mettre à l'abri, de sauter précipitamment de leur bicyclette, de sauter en pagaille hors des trains et des cars, et même s'enfuir de courts de tennis. À cette époque, le fait de mitrailler des civils et des cibles non militaires, comme des maisons isolées, des silos, des hôpitaux et des écoles, est devenu un délit passible de la cour martiale.

L'unité tactique des Mustangs était l’escadron, qui se composait de trois escadrilles de 16 avions chacun, plus deux de rechange par escadrille. En vol, le groupe alignait donc près de 50 P-51. Les chasseurs décollaient avec un intervalle de 15 secondes entre chaque paire de Mustang, et se regroupaient en formation à environ 10 km au large, puis se dirigeaient vers le point de rendez-vous au-dessus de Kitaiwo Jima, connu sous le nom de Kita par les pilotes, un piton volcanique inhabité très reconnaissable en forme de pointe à environ 80 km au nord d'Iwo Jima. Là, le groupe de chasseurs rejoignait trois B-29 utilisés comme navigateurs qui avaient décollé d'Iwo Jima environ une demi-heure plus tôt et qui tournaient au-dessus de Kitaiwo Jima jusqu'à ce que les chasseurs arrivent. Le succès des frappes des chasseurs au-dessus du Japon dépendait en grande partie de la résolution du problème de la navigation la plus précise possible. Cela fut rendu fait en inversant la procédure standard d'escorte des B-29 par les chasseurs, désormais ces trois B-29 escortaient les chasseurs d'attaque.

C'était la tâche des trois gros avions de guider les petits sur les 1000 km de la Mer du Japon à traverser pour atteindre les Îles Nationales japonaises, en leur faisant profiter des instruments de navigation bien supérieurs à bord des B-29 et en se tenant prêts à larguer du matériel de sauvetage au cas où un chasseur serait forcé d’amerrir. L'escadrille de tête des Mustangs volait à environ 500 mètres derrière les Superforteresses, et les deux autres formations de Mustangs suivaient de près, toujours à portée de vue.

Ainsi chaperonnés, les chasseurs entreprenaient el long vol vers leur objectif et se rendaient d’abord au Point de Départ (NdT – Departure Point), généralement à 40 ou 60 km des côtes japonaises, puis de là partaient seuls à l'assaut de leur cible. Pendant ce temps, les B-29 d'escorte se rendaient à 150 km du Point de Départ  au Point de Ralliement (NdT – Rally Poin), où les chasseurs devaient revenir après l'attaque. Pour les Superforteresses, il s'agissait simplement de tourner autour du point de ralliement pendant une demi-heure ou plus, en attendant que les Mustangs, le menu fretin, reviennent, s'ils le faisaient.

La procédure d’usage était que chaque groupe se concentre sur une seule cible à la fois, afin d'assurer une protection mutuelle contre les attaques aériennes et les tirs au sol de l'ennemi. Habituellement, deux des trois escadrilles attaquaient la cible, tandis que la troisième assurait la couverture. Ensuite, l'escadrille de couverture descendait et attaquait la cible à son tour, tandis qu'une des deux autres escadrilles montait protéger le groupe. Mais l’escadrin en tant qu'unité restait toujours soudé. Après la frappe, les Mustangs rejoignaient le point de rassemblement où les B-29 attendaient, en volant au minium par deux, jamais seuls.

Le regroupement des chasseurs était accéléré par un système de communication radiotéléphonique entre avions, qui permettait aux chasseurs d'être en contact permanent avec leurs guides de navigation, ce fameux trio de B-29. Ce même système reliait les chasseurs aux unités de sauvetage air-mer, il a permis de sauver la vie à de nombreux pilotes perdus par mauvais temps ou contraints de se poser en mer. Les pilotes de chasse sur Mustang et leurs guides à bord des B-29 sont un peu comme les personnages d'un vaste drame, faisant leurs entrées puis leurs sorties en traversant les nuages à la vitesse de l'éclair et récitant leur textes brièvement, souvent une question de vie ou de mort.

Ce qui suit est un extrait du dialogue réel entendu lorsque les chasseurs approchaient du Point de Ralliement après une attaque sur l'aérodrome d’Hijemi à Nagoya. Les noms de code ont été modifiés, mais suivent de près les noms réels. Les personnages de la pièce : 48 chasseurs P-51 appelés Menu Fretin (NdT-  Small Fry), répartis en trois escadrons appelés respectivement Doctors, Lawyers, and Merchants (NdT – Les Docteurs, les Avocats et les Marchands); trois Superforteresses B-29 de navigation appelés Uncle Adam, (pour A), Uncle Bill (pour B) et Uncle Charles (pour C) et un B-29 Super Dumbo (un B-29 modifié pour le sauvetage en mer) appelé Cartwheel 42 (NdT - Roue de Brouette 42 - Dumbo était le nom de code utilisé par la marine américaine durant la seconde guerre mondiale pour désigner les missions de recherche et de sauvetage, menées conjointement avec des opérations militaires, par des avions à long rayon d'action volant au-dessus de l'océan. Le nom "Dumbo" provient de l'éléphant volant de Walt Disney).

Lorsque notre action commence ce jour-là, les chasseurs reviennent tout juste au point de ralliement situé à une trentaine de kilomètres de la côte japonaise, où les trois B-29 sont en train de tourner en rond, attendant de les ramener chez eux.
- Uncle Adam (le B-29 de tête) : D'autres Docteurs approchent du point de ralliement ? Appelez Uncle Adam.
- Uncle Charles : Uncle Adam, c'est Uncle Charles. J'ai sept Docteurs avec moi, et 10 Avocats. Je suis en train de suivre le cap 185.
- Uncle Adam : À tous les Menus Fretins qui arrivent au point de ralliement : Uncle Charles vient de mettre le cap au 185. Suivez-le. (Cinq autres P-51 de Menu Fretin rejoignent Uncle Charles. Quelques minutes plus tard, Uncle Bill rassemble 13 Menus Fretins et rentre également à la base avec eux. Uncle Adam attend trois traînards).
- Doctor Red One (un avion de chasse) : Ici Doctor Red  One qui appelle Cartwheel 42 (Cartwheel est un B-29 de sauvetage qui tourne autour d'un sous-marin posté à l'une des stations Air-Sea-Rescue sur le chemin du retour. En raison de communications défectueuses, Cartwheel n'a pas entendu le message du chasseur).
- Uncle Adam : Doctor Red One, ici Uncle Adam. Je vais relayer votre message à Cartwheel 42.
- Doctor Red One : Mon moteur fume à cause d’un tir de DCA. Je suis à Silver Moon, sept zéro (le code pour sa position). Je vais faire un plouf.
- Uncle Adam : Roger. Je me dirige vers la scène de votre amerrissage.
- Doctor Red Two (l’ailier du chasseur en difficulté) : J'appelle Cartwheel 42. Un homme en Goodyear ! Je répète : un homme en Goodyear (la compagnie Goodyear qui avait fabriqué le radeau de sauvetage en caoutchouc pour les pilotes), même position. Je tourne autour de la scène avec Rooster qui montre Mayday. (Cette dernière remarque fait référence à son système IFF qui aidera à guider Cartwheel 42 vers la scène. De nouveau, Uncle Adam transmet ce message à Cartwheel 42. En dix minutes seulement, Cartwheel 42 arrive au-dessus du pilote dans le radeau puis appelle un sous-marin sur les lieux. Et Uncle Adam poursuit son activité).
- Oncle Adam (rejoint par les deux derniers Menus Fretins) : C'est Uncle Adam qui appelle tous les Menus Fretins. Je rentre à la maison sur le cap 360. Suivez-moi tous.

Pour les pilotes de B-29, ce travail d'escorte était une mission relativement facile. Ils n'avaient pas à y affronter beaucoup de combats. Mais la plupart d'entre eux auraient préféré affronter le combat et ne pas avoir à s'inquiéter et à s'occuper d'un groupe de pilotes de chasse qui étaient devenus des amis proches. En rentrant à Iwo après que deux chasseurs aient été abattus au-dessus du Japon, un pilote de B-29 nous a dit : "Bon sang, vous vivez et mangez avec ces garçons, vous prenez leur argent au poker. Tu sais tout d'eux. C'est pour ça !"

Les chasseurs étaient également aidés par des Northrop P-61 Black Widow équipés de radars qui, en plus de leurs tâches de patrouille et de combat, guidaient souvent les Mustangs jusqu’aux seuls des pistes d'Iwo lorsqu'elles étaient surchargées. Au retour d'une mission, les pilotes se retiraient généralement dans un établissement de bains construit spécialement pour eux. On y trouvait des tables de massage et une rangée de baignoires profondes en tôle.  Les baignoires étaient alimentées par une eau chaude et sulfureuse qui jaillissait des profondeurs volcaniques d'Iwo Jima. L'eau chaude était un luxe presque inouï dans le Pacifique. Après avoir trempé leurs muscles dans ces bains curatifs, les aviateurs américains avaient encore une raison de plus de remercier Dieu et les Marines pour l'une des îles les plus laides, mais les plus utiles au monde.


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Scènes typiques à bord d’un B-29 lors des missions de 14 heures entre Guam et le Japon sur près de 5500 km aller-retour. En haut à gauche, la nourriture comprend des légumes, des sandwiches et du jus de fruits en conserve. En haut à droite, au début de la passe de bombardement, le pilote se met en pilote automatique pendant que le bombardier ajuste son viseur. En bas, le bombardier se détend pendant le voyage de retour.


14. LE TOURNANT DECISIF : LA DECISION DU GENERAL LEMAY


Le 20 janvier 1945, le général Curtis LeMay prit la tête du 21ème Bomber Command, dont le quartier général se trouvait à Guam. Il avait quitté l'Europe en 1944 pour prendre le commandement des opérations des B-29 en Inde. Il avait quitté l'Inde pour prendre le commandement des opérations de B-29 aux Mariannes, deux mois seulement après la première mission au-dessus de Tokyo.

En Chine, les principaux problèmes des missions de B-29 étaient la distance, l'approvisionnement et, dans une bien moindre mesure, la météo. Aux Mariannes, c'était surtout la météo. En raison d'un temps traître et imprévisible, aucune des 11 cibles prioritaires au Japon n'a été détruite au cours des 2000 premières sorties ! Un tiers de l'effort total avait été dépensé sur l’usine aéronautique Nakajima à Musashino, la cible N°357, et elle n'était détruite qu'à 4%. Il n'y eut en tout et pour tout qu'une seule occasion de bombardement à vue pendant les six premières semaines du Général Lemay à Guam.

Même lorsque le beau temps prévalait sur la cible, les Superforteresses devaient souvent se frayer un chemin à travers de violents fronts météo pendant le long vol au-dessus de la mer. Les formations étaient dispersées et de nombreux équipages ont raté de très loin le site retenu pour le bombardement. Avec une petite réserve de carburant lors des missions à haute altitude, les erreurs de navigation étaient parfois impossibles à corriger et les avions étaient contraints de rentrer prématurément ou de bombarder une cible d'opportunité. Un obstacle supplémentaire à la navigation était le fait que les îles tenues par les Japonais en cours de route ne pouvaient pas être utilisées comme points de contrôle de peur d'alerter le système radar ennemi. Mais le problème le plus difficile, comme nous l'avons déjà mentionné, était la vitesse effarante du vent à haute altitude au-dessus du Japon. Il est vrai que certains équipages ont réussi à atteindre la cible de façon constante. Mais ils étaient une exception, ce qui prouvait qu'une formation supérieure à la moyenne et des aptitudes inhabituelles étaient nécessaires pour faire ce travail. Une école d'équipage leader a été créée dans le but de découvrir et de former de tels équipages. Une autre conséquence des attaques à haute altitude est la pression cumulée sur les hommes et le matériel. Les longs vols en formation réduisaient la durée de vie des moteurs et contribuaient grandement à la fatigue des équipages.

Dans ce contexte de mauvaises conditions et de mauvais résultats, il fut décidé de s'écarter radicalement de la doctrine traditionnelle des bombardements stratégiques. La plupart des pilotes ne savaient pas à quel point la doctrine traditionnelle allait être chamboulée lorsque le matin mémorable du 9 mars 1945, dans toutes les salles de briefing des Mariannes, une annonce en cinq points fut faite. Elle fut suivie du silence soudain et interloqué des équipages qui commençaient tout juste à réaliser ce qu'ils venaient d'entendre :

Point 1. Une série d'attaques incendiaires nocturnes avec un effort maximal doit être menée sur les principales villes industrielles japonaises.
Point 2. L'altitude de bombardement sera réduite à 5000-8000 pieds.
Point 3. Aucun armement ou munition ne sera transporté et la taille de l'équipage du B-29 sera réduite.
Point 4. Les avions attaqueront individuellement.
Point 5. Tokyo, bien qu’hérissée de défenses, sera la première cible.

En prenant cette décision audacieuse, le Général LeMay n'était pas simplement motivé par le désir d'obtenir de meilleures performances de ses équipages et de ses avions. Ces opérations n'étaient pas non plus conçues comme des raids de terreur contre la population civile du Japon. L'économie japonaise dépendait fortement des industries domestiques implantées dans les villes proches des grandes zones industrielles. En détruisant ces industries d'appoint, le flux de pièces vitales pouvait être réduit et la production désorganisée. Un incendie général dans une ville comme Tokyo ou Nagoya pourrait avoir l'avantage supplémentaire de s’étendre à certaines des cibles prioritaires situées dans la grande banlieue de ces villes, rendant inutile de les détruire par d’autres missions.

Les opérations de bombardement avec des bombes incendiaires n'étaient pas une nouveauté. Plusieurs essais avaient déjà été effectués auparavant. Lors de certaines attaques, un chargement mixte de bombes à explosif et de bombes incendiaires avait été utilisé avec des résultats neutres. Avant le 9 mars 1945, seules trois missions avaient été menées avec un chargement de bombes incendiaires uniquement. Avec à nouveau des résultats peu probants selon les rapports d'analyse de ces. Cela s'expliquait en partie par le fait que les caractéristiques balistiques des grappes incendiaires les rendaient très imprécises lorsqu'elles étaient larguées depuis de hautes altitudes par vent fort (comme c’était le cas), et en partie par le fait qu'il n'y avait pas assez de B-29 disponibles pour mener une frappe majeure contre une grande zone urbaine, et donc ces trois missions avaient été conduites par des petites formations. Mais au début du mois de mars 1945, la 313ème escadrille de bombardement avait rejoint la 13ème escadrille en tant qu'unité de combat pleinement opérationnelle, et deux groupes de la 314ème  récemment arrivés sur Guam, étaient prêts aussi à entrer en action. La force combinée disponible s'élevait alors à plus de 300 B-29, ce qui était suffisant pour provoquer une étincelle, géante cette fois.

À suivre ...


ouaf ouaf ! bon toutou !!

Hors ligne

 

#8 [↑][↓]  16-09-2021 10:13:44

philouplaine
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Re: [Réel] 1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

HUITIEME PARTIE




14. LE TOURNANT DECISIF : LA DECISION DU GENERAL LEMAY (suite)


L'un des principaux avantages de diminuer l'altitude de bombardement entre 5000 et 10000 pieds était l'augmentation de la charge de bombes ainsi rendue possible. Une seule Superforteresse volant en formation à haute altitude, généralement entre 30000 et 35000 pieds, ne pouvait transporter que 35 pour cent de la charge de bombes du même avion attaquant à plus basse altitude. Cela était possible, bien sûr, parce que les attaques en petite formation ne nécessitent pas de large rassemblement au-dessus de la base au début de la mission ou de ralliements en route vers la cible. Les avions allaient directement de la base à leur cible et revenaient individuellement, ce qui permettait d'économiser du carburant et d'augmenter la charge de bombes. De plus, les conditions météorologiques sont meilleures au-dessus de la cible à basse altitude, et les vents violents et dévoreurs de carburant des hautes altitudes sont ainsi évités. Le poids gagné en diminuant la taille des équipages, en enlevant l'armement défensif et ses munitions serait ainsi transformé en poids de bombes. Avec la plus grande charge de bombes transportée à ce jour au Japon, chaque B-29 porterait désormais six à huit tonnes de bombes, principalement la nouvelle bombe incendiaire M-69, composée d'une grappe incendiaire contenant un composé d'essence gélifiée appelée napalm. On estimait que la quasi-absence d’une chasse de nuit japonaise justifiait l'élimination de l'armement défensif à bord des B-29 (NdT – À propos de la bombe M-69, qui fut la première bombe incendiaire au napalm : Une bombe à ailette de type E-46 contenait 38 bombes incendiaires au napalm M-69. Un B-29 transportait 40 bombes E-46, soit un total de 1520 bombes incendiaires M-69. Une fois larguée, la bombe E-46 chutait selon la trajectoire calculée par le bombardier et, à 2000 pieds, elle s’ouvrait et larguait sa grappe de 38 bombes incendiaires M-69. Chaque bombe incendiaire M-69 était en fait un simple tube de section hexagonale de 8 cm sur 50 cm de long pour un poids d’environ 3 kg contenant le détonateur (conventionnel à poudre) dans une fusée de synchronisation qui brûlait entre 3 et 5 secondes après touché le sol avant d’enflammer et de propulser la charge incendiaire à environ 30 m de hauteur. La bombe M-69 une fois larguée déployait une bande de coton d’environ 1 m de long à une de ses extrémités pour que sa chute soit bien verticale).

Le temps était un élément crucial de ce nouveau plan. On savait que la chasse de nuit jap était faible, mais on s'attendait à ce que les pertes à cause de la DCA soient importantes. En effectuant une attaque de nuit, on espérait ainsi minimiser ces pertes, car on pensait que les dispositifs de visée par radar des canons de DCA de l'ennemi étaient relativement inefficaces et que les canons antiaériens lourds devraient donc dépendre de la recherche par projecteurs pour un contrôle de tir efficace. Il s'est donc avéré que le meilleur moment pour le décollage était vers le crépuscule, afin que les avions puissent bénéficier d'au moins un peu de lumière du jour pour leur début de mission. Cela leur permettait d'atteindre la cible juste avant l'aube, et donc de nuit, et, surtout, d'effectuer le vol de retour de jour, évitant ainsi tout amerrissage de nuit pour les avions endommagés par la bataille.

Enfin, ces missions de bombardements incendiaires à grande échelle devaient être achevées à temps pour que les B-29 puissent coordonner leurs efforts avec l'attaque navale sur Okinawa. Comme la première attaque d’invasion d’Okinawa était prévue pour le 23 mars, il ne restait qu'un peu plus de deux semaines pour frapper les quatre grandes cibles : Tokyo, Nagoya, Osaka et Kobe.

Rétrospectivement, tout semblait parfaitement jouer en faveur des raids aériens nocturnes à basse altitude. Néanmoins, il a fallu un courage extraordinaire pour risquer 300 gros avions sans aucun armement défensif dans un nouveau type d'attaque directement opposé à la doctrine traditionnelle de bombardement de précision à haute altitude pour laquelle les Superforteresses avaient été expressément conçues.

Il est probable qu'aucune mission, à l'exception des premières missions historiques sur Yawata et Tokyo, n'a été attendue avec plus d'anxiété que l'attaque du 9 mars sur Tokyo. Cette fois-ci, en cas d'échec, personne ne pourrait prétendre que nous débutions contre un ennemi inconnu. Cette fois, le risque en hommes et en matériel était beaucoup plus grand. Cette fois, le jeu était plus avancé et la nécessité d'une action aérienne décisive était plus aiguë que lors des frappes précédentes sur le Japon.

L'après-midi du 10 mars, lorsque les B-29 rentrèrent un par un à leur base des Mariannes, le verdict devint très clair. Les pilotes racontèrent que Tokyo "avait pris feu comme une forêt de pins par un été chaud". Quelques heures plus tard, les preuves photographiques furent là. Plus de 40 km2 carrés de Tokyo étaient partis en fumée. Quatre-vingt-cinq pour cent de la zone ciblée avait été détruite par le feu. Et cela incluait aussi 16 cibles secondaires. Sur les 302 B-29 qui avaient participé à l’attaque, 14 avaient été perdus. Ce fut la plus grande perte subie en incluant les quatre missions suivantes.

Moins de 36 heures plus tard, les mêmes Superforteresses étaient de retour, sur Nagoya cette fois. De leurs avions, les équipages pouvaient voir la ville qui "ressemblait à un gigantesque tapis noir balafrée de langues de feu, chaque avion ayant laissé derrière lui une allée de flammes". Mais, contrairement à Tokyo,  les feux épars ne se sont jamais rejoints pour créer un super-incendie et les résultats finaux de cette mission n'ont pas été aussi bons qu’attendu. Au total, ce jour-là, seuls 4 km2 de Nagoya avait été détruit. Il faudra retourner sur Nagoya.

Les villes d'Osaka et de Kobe étaient les suivantes sur la liste. Le 13 mars, plus de 300 B-29 détruisirent 21 km2 d'Osaka, et le 17 mars, 6 km2 de Kobe, dont 1 km2 de dock, furent réduits en cendres. La cinquième et dernière attaque de la série fut le retour sur Nagoya, lorsque plus de 300 Superforteresses ont à nouveau largué quelque 2000 tonnes de bombes sur la ville. Pour compenser en quelque sorte le premier raid, qui fut trop dispersé, les bombes furent cette fois volontairement  larguées sur une petite zone, et seulement 1,5 km2 de la ville furent détruits. Mais personne ne doute, surtout pas les Japonais, que ce blitz est en fait un holocauste. En cinq missions seulement, près de 80 km2 des principales villes industrielles du Japon ont été brûlés sous une pluie de bombes totalisant 10100 tonnes. En comparaison, lors du plus grand raid incendiaire de la Luftwaffe sur Londres, seules 200 tonnes de bombes ont été larguées. Et lors de l'attaque record de la 8ème Air Force sur Berlin le 3 février 1945, plus de 1000 bombardiers lourds ont parcouru 1600 km aller-retour pour larguer 2250 tonnes de bombes. Pendant le blitz de 10 jours sur le Japon, presque le même tonnage a été transporté à chaque mission par seulement 300 B-29. Le voyage aller-retour dépassait les 5000 km.

Nos pertes dues à la DCA et aux chasseurs de nuit étaient inférieures à 1,3 % des avions au-dessus de la cible, et elles allaient bientôt chuter encore plus bas. La plus grande source d'inquiétude pour nos pilotes était les terribles courants thermiques, ou courants d'air chaud, qui s'élevaient des cibles en feu et envoyaient nos avions dans un enfer noir (bien qu'aucune perte n'ait été attribuée directement aux courants thermiques). Le commandant d’un de nos équipages a écrit dans son rapport de retour de mission ce qui s'était passé au-dessus d'Osaka en flammes : "Nous nous sommes dirigés vers un grand champignon de fumée bouillante et huileuse et, en quelques secondes, nous avons été projetés à 5000 pieds dans les airs. C'était un mouvement ascensionnel saccadé et très rapide. Je me suis dit : ‘Cette fois, ça y est, on ne va pas m'en sortir’. La fumée se déversait dans la cabine et toutes les lumières à bord étaient obscurcies. Ça sentait à la fois les cheveux brûlés et une décharge en feu. Tout le monde toussait. On a été ballottés pendant 8 à 10 secondes. Les mouvements étaient si violents que les casques ont été arrachés de nos têtes. Le vaisseau était rempli de bouteilles d'oxygène volantes, de thermos, d'écouteurs, de bidons de latrines, de briquets, de canettes de jus de fruits qui volaient dans tous les sens. Puis nous sommes redescendus après une terrible secousse et, quelques secondes plus tard, nous nous sommes dégagés dans un ciel clair. L’avion avait tenu le coup. "

Evoquant le moral des équipages de B-29 après les 5 missions du blitz, un rapport indiquait que : "le succès phénoménal de nos nouvelles tactiques a renforcé considérablement le moral et l'esprit combattif de nos équipages en leur procurant un degré de succès au combat proportionnel à l'effort consenti (...) Étonnamment, le nombre de cas de troubles du personnel navigant dus au vol, qui augmentait régulièrement avant le 9 mars, a chuté brusquement après le 19 mars 1945". En effet, les cas de désordre psychologiques parmi nos équipages sont passés de 1 % du personnel navigant total avant le 9 mars à seulement 0,2 % après, soit une réduction de 80 %.

Si nos équipages ont été encouragés par les faibles pertes et les bons résultats de cette phase initiale, malgré le fait qu'ils volaient sur un avion sans défense, ils n'avaient pas encore tout vu. Semaine après semaine, de plus en plus de Superforteresses étaient mises à contribution. Une escorte de chasseurs était disponible, si nécessaire. En mai et juin 1945, des forces de 400 B-29, et même plus, plus les chasseurs d'escorte, étaient régulièrement lancées contre les grandes cibles du Japon. À partir du 15 juin, les cibles étaient si totalement détruites que les B-29 entamèrent une nouvelle campagne contre de petites villes industrielles japonaises. Nos pertes en avion continuèrent de plonger. En juin 1945, le taux de perte moyen des B-29 par mission était de 0,08 % (entre 1 et 2 avions pour 1000).En juillet 1945, il était de 0,03 %. En août, il n’était plus que moins de 0,02 % (environ un B-29 perdu toutes les 4 missions de 400 avions chacune). Aux Mariannes, un raid incendiaire à basse altitude sur le Japon était considéré comme le passe-temps le plus sûr pour un pilote.


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Traduction de la légende. Nos bombes incendiaires ont totalement détruit les zones de Tokyo indiquées en rouge. La ville a subi une perte totale de 146 km2, soit environ 40 % de sa superficie totale. Selon Radio Tokyo, on dénombrait au 23 août 1945 dans tout le Japon, 2 210 000 maisons détruites et brûlées au-delà de toute réparation, laissant 9 200 000 personnes sans abri, soit environ la moitié de la population de 1940 des 69 grandes villes que nous avions sélectionnées pour nos attaques aériennes.


https://nsm09.casimages.com/img/2021/09/14//Exk0Mb-Small-image-40.jpg
Traduction de la légende. À gauche. La deuxième plus grande ville du Japon, Osaka, a vu 35 % de sa superficie et 25 % de son industrie, dont 50 % de son industrie aéronautique, détruits par nos B-29. Les zones urbaines totalement détruites par nos bombes incendiaire sont indiquées en rouge. À droite. Toyama, autrefois un grand centre industriel pour l'aluminium, brûle dans la nuit du 1er août. 96 % de la ville a été détruite par les attaques des B-29, principalement des frappes nocturnes incendiaires à moyenne altitude.


15. RUINER L'ECONOMIE DU JAPON

La capacité du Japon à poursuivre la guerre s'est finalement effondrée au milieu des cendres de ses villes incendiées. Son industrie, soumise à un blocus et à des bombardements, n'était plus en mesure de soutenir une grande machine de guerre moderne. Cette situation a été provoquée par la Superforteresse qui, dans la phase finale de la guerre, a été le facteur décisif.

La phase finale fut rapide. L'annonce de la capitulation par le président Truman survint 157 jours seulement après que la 20ème Air Force ait déclenché les bombardements incendiaires. Au cours de ces 157 jours, c’est principalement l’arme aérienne stratégique qui a littéralement anéanti la nation ennemie.

Nos analystes du renseignement se frottaient les mains à l’avance lorsqu'ils examinèrent ce qu’on savait de l'industrie japonaise. Il n'y avait pas de système bien organisé d’usines dispersées comme dans l'Allemagne nazie. Nos analystes savaient que seules quelques zones cibles vulnérables devaient être détruites avant que le Japon ne soit envoyé dans les cordes. Une étude de ces villes a montré qu’elles étaient surtout composées de bâtiments en bois et en plâtre. Ce serait un piège terrible lors des bombardements incendiaires. Seuls 10 % des bâtiments étaient en pierre, en brique ou en béton armé. De nombreuses usines modernes étaient entourées par des rangées de petits ateliers fragiles, les maisons mêmes des ouvriers. Les incendies en temps de paix étaient fréquents au Japon, ce qui n'était pas le cas en Allemagne. Les réserves d'eau, jamais suffisantes, étaient dangereusement basses pour la lutte contre des incendies à grande échelle. En plus, nos analystes ont écarté l’idée selon laquelle le Japon pourrait survivre longtemps grâce à sa seule industrie mandchoue. Ils étaient convaincus qu'une fois le cœur de l'Empire balayé, il serait définitivement battu.

Sur la base de ces considérations stratégiques, les bombardiers de la 20ème Air Force se sont mis au travail. Leur succès est considérablement sous-estimé ici, car les informations sont encore incomplètes et classifiées dans de nombreux cas. Pour avoir une idée de ce qui est arrivé à l'industrie japonaise, voici quelques estimations de la superficie des usines totalement détruites par les bombardements dans certaines industries de guerre majeures, classées par ordre d'importance stratégique.


INDUSTRIE   
Surface totale des usines en état de marche  avant les bombardements (en m2)   
Surface totale totalement détruite à la fin des hostilités(en m2)

Aéronautique   
13 006 000   
4 810 000 (37%)

Munitions   
10 220 000   
1 530 000 (15%)

Chantiers Navals   
4 180 000    
630 000 (15%)

Raffinerie   
14 000 000   
700 000 (5%)

Centrales électriques   
3 700 000   
1 040 000 (28%)

Métallurgie   
14 000 000   
2 000 000 (14%)

Chimique   
12 100 000   
1 090 000 (9%)

Les dommages industriels ont atteint 27 millions de mètres carrés. Dans les 69 villes touchées, 27,4 % des industries ont été gravement endommagées. Mais ces chiffres ne reflètent pas toute l'histoire. De nombreuses usines non endommagées ont été arrêtées parce que le blocus et le bombardement des industries de soutien les ont privées des matériaux nécessaires à leur activité. De même, il est impossible de traduire les dommages physiques subis par une usine en pertes de production spécifique. Sur la base de ce que nous avons appris en Allemagne, où les bombardements incendiaires ont été beaucoup moins nombreux qu'au Japon, le pourcentage de perte de production pendant six semaines après une mission incendiaire était environ le double du pourcentage d'espace détruit. Les Japonais, contrairement aux nazis, n'ont pratiquement rien fait pour réparer les dégâts. Ils ont déblayé les décombres à l'intérieur des usines bombardées, puis les ont complètement abandonnées. Les autres facteurs contribuant à la perte de production furent : 1) les pénuries de matériaux, 2) l'interruption des transports, 3) la baisse du moral des travailleurs, 4) l'absentéisme et 5) la désorganisation administrative. Tous ces facteurs ont probablement contribué à un pourcentage réel de perte de production presque deux fois plus élevé que le pourcentage de dommages aux installations physiques. Ainsi la destruction de 37% des usines aéronautiques japonaise s’est traduit par une diminution de la production d’avions de près des 3/4.

Des résultats importants dans certains cas sont cachés dans le tableau ci-dessus. Il est indiqué que les raffineries n'ont été détruites qu'à cinq pour cent. Cependant, étant donné que la plupart de la production était surtout confinée dans un petit nombre d'installations, les plus modernes, la 315ème Escadrille, en se concentrant sur les onze raffineries les plus récentes du Japon, a pu réduire la production globale de pétrole au Japon de 30 pour cent en un peu plus d'un mois d'opérations. La production de pétrole synthétique a chuté encore plus fortement, de 44 %.

Comme pour l'Allemagne, le premier objectif d'importance fondamentale au Japon fut l'industrie aéronautique, qui fut traitée à la fois par des bombardements conventionnels à explosif et par des bombardements incendiaires. Contre ce type de cible, les bombardements incendiaires ont été encore plus efficaces que prévu. De nombreuses grandes structures ont été consumées par les flammes jusqu’au sol avec comme corolaire la destruction totale des machines qui s’y trouvaient, machines qui auraient pu être sauvées si elles avaient été soumises à un bombardement conventionnel uniquement. Malgré l'attention portée à cette industrie, le Japon disposait encore d'un grand nombre d'avions à la fin de la guerre, de sorte que l'on pourrait penser que l'effort des B-29 a été ici gaspillé. Ce ne fut pas le cas, et ce pour des raisons très simples.

Le 1er août 1945, la production mensuelle des Japonais était estimée à 1834 avions de combat. Ce chiffre représentait environ 75 pour cent de leur production de décembre 1944 (environ 7300 avions ce mois), avant que les dommages causés par les bombardements ne deviennent appréciables. Cela indique que grâce à une certaine dispersion des usines, à l'utilisation de la capacité excédentaire d’autres types d’usines et à la production dans des sites cachés, y compris un petit nombre d'installations souterraines, les Japonais, comme les Allemands, étaient encore capables de produire un nombre appréciable d'avions malgré nos attaques répétées. De plus, ils avaient prévu une augmentation considérable de leur production pour alimenter des attaques kamikazes à grande échelle.

45 % des 15 000 tonnes que les B-29 de la 20ème Air Force ont lâchées sur les usines aéronautiques visaient les usines de moteurs d'avion. Un autre 49,5 % a été dirigé sur les usines d'assemblage de cellules d'avion. Cela a probablement privé l'armée de l'air japonaise de 6400 à 7200 avions jusqu'en juillet 1945. Ces avions, s'il avait été possible de les utiliser comme kamikazes à Okinawa, auraient pu retarder l'issue de la guerre.

Curieusement, une partie des 5 % restants lâchés sur les industries aéronautiques par les B-29, ainsi que des attaques incendiaires extrêmement réussies contre Osaka et Shizuoka, ont fait le plus de mal aux Japonais pendant le reste de l'année 1945. Les usines d'hélices de Sumitomo à Amagasaki, Shizuoka et Osaka, qui fabriquaient deux tiers de toutes les hélices utilisées sur les avions de combat japonais de première ligne, furent détruites à 60,5 %, ce qui, avec les mêmes dommages subis par l'usine d'hélices de Japan Musical Instrument à Hammamatsu, a suffisamment réduit la production d'hélices pour entraîner une perte équivalente à cinq mois de production. On estime que les goulots d'étranglement qui en auraient résulté, si la guerre avait continué, auraient forcé la production d'avions en novembre 1945 à n’être que 41 pour cent celle de janvier 1945. Les effets cumulatifs auraient commencé à se faire sérieusement sentir juste au moment où notre invasion était prévue. C'est sans doute l'un des facteurs qui a convaincu les Japs que leur situation était désespérée.

Bien que l'industrie aéronautique japonaise ait continué à être la priorité numéro un, d'autres industries ont reçu une importante attention. La construction navale avait chuté de 60 % le jour de la capitulation, en partie à cause des bombardements de Kobe, Osaka et Yokohama, mais surtout à cause de la pénurie d'acier. L’industrie des munitions, particulièrement chère à la 20ème Air Force, était réduite de 40 % le jour de la capitulation. La production de fer, d'acier et de coke, les principales industries lourdes de la guerre, avait diminué de 58 %, principalement en raison du blocus, mais aussi en partie à cause des bombardements. La production d'aluminium avait chuté de 35 %. Les zones d'entreposage militaire et industriel avaient également beaucoup souffert des bombardements incessants.


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Traduction de la légende. L'usine de moteurs d'avions Mitsubishi à Nagoya produisait 40 % de tous les moteurs d'avions de combat japonais. Les B-29 l'ont frappée sept fois et seuls 6 pour cent des bâtiments étaient intacts à la fin de la guerre. Notre principal objectif de bombardement a toujours été l'industrie de guerre japonaise.


Contrairement au programme de nos bombardements en Allemagne, où les transports étaient prioritaires au même titre que les industries aéronautiques et les raffineries, nous n'avions pas encore atteint au Japon le stade où il était nécessaire de se concentrer sur les cibles ferroviaires. Le système ferroviaire japonais, comme son industrie, était d'ailleurs beaucoup plus vulnérable que celui de l'Allemagne. Ce n'est que le 14 août, lors de la dernière mission de bombardement de la guerre, que les Superforteresses ont attaqué une cible ferroviaire japonaise. Néanmoins, le blitz a eu un effet étonnamment puissant sur le transport terrestre. Avec la dépréciation d’un équipement ferroviaire déjà médiocre à la base, les bombardements incendiaires des grandes et moyennes villes ont réduit le trafic ferroviaire à moins de la moitié du volume de 1944. La navigation côtière étant également perturbée, les Japonais ont été confrontés à ce qui fut, il est vrai, leur pire goulot d'étranglement économique. C'est la conséquence la plus importante des attaques aériennes incendiaires.

De nombreuses industries de moindre importance contribuant à l'effort de guerre japonais ont également été lourdement touchées par les raids des Superforteresses. Par exemple, la production d'équipements électroniques, déjà insuffisante pour répondre à la demande, avait diminué de 35 %. Or, ces équipements étaient indispensables à la réparation des usines bombardées et des machines endommagées. Les petites usines de 30 ouvriers ou moins, où les Japonais produisaient des composants destinés à être livrés à des usines d'assemblage plus importantes, ont été durement frappées par les attaques aériennes. Comme l'avaient prévu nos experts, elles ont été éliminées par milliers dans toutes les grandes villes du Japon.

Les fameuses "Big Five" japonaises, Tokyo, Osaka, Nagoya, Yokohama et Kobe, ont reçu 44 % du tonnage total des bombes de la 20ème Air Force. Les dommages sérieux subis par les industries identifiées allaient de 25 pour cent à Osaka à 43 pour cent à Nagoya. L'industrie aéronautique de ces villes a subi 50 % de destruction. Les industries de l'armement et de la métallurgie ont été moins touchées, avec 21 % de destruction. La zone industrielle de Kobe a été anéantie à 41 %. La plupart des zones construites des Big Five, dont les superficies totalement détruites par le feu totalisent 270 km2, ont été si profondément détruites qu'elles n'étaient plus considérées comme des cibles essentielles, à l'exception pour des attaques ponctuelles visant telle ou telle structure encore épargnée.

Après s'être occupés des Big Five, les Superforteresss se sont attaquées sans relâche aux Toledo et Bridgeport du Japon (NdT – Toledo et Bridgeport sont des villes moyennes américaines typiques). Au total, 69 villes ont été ciblées y compris les Big Five. Sur la base des reconnaissances photographiques disponibles, près de 500 km2 de zone urbaine ont été détruits par le feu dans les 69 villes japonaises visées. Voici ce que la radio de Tokyo a annoncé le 23 août (une semaine après la capitulation officielle prononcée par l'Empereur) concernant les pertes dues aux attaques aériennes dans les quatre Îles Nationales du Japon : 260 000 tués, 412 000 blessés, 9 200 000 sans-abri, 2 210 000 maisons détruites et 900 000 partiellement détruites. Bien que ces chiffres ne soient peut-être pas tout à fait exacts, car ils ne tiennent pas compte des bombardements atomiques, ils se comparent favorablement aux estimations de nos analystes qui affirment que les logements de 10 550 000 personnes ont été détruits. Cela représente 50,3 % de la population de 1940 dans les 69 villes visées. Si l'on considère que la moitié de la population des centres industriels s’est retrouvée sans domicile, l'effet sur le moral des travailleurs et l'absentéisme a dû être énorme. Le chaos complet s'est reflété dans l'effondrement de tous les contrôles administratifs. Les travailleurs, ne recevant plus d'ordres de leurs supérieurs, se sont retrouvés paralysés et leur industrie avec eux.

De grandes variations ont été constatées dans les pourcentages de zones industrielles endommagées lors des attaques aériennes sur les 69 villes japonaises ciblées. Fukuoka, avec seulement 6 pour cent de destruction de ses industries, et Takamatsu avec 89 pour cent représentent deux extrêmes. Les dommages aux structures résidentielles vont de 9 % pour Nishinomiya à 98 % pour Toyama. Aussi impressionnants que soient ces chiffres, ils ne disent pas tout. Dans presque tous les cas, la zone cible prévue était beaucoup plus petite que la zone urbaine construite. Ainsi, après la dernière grande mission de tir sur Tokyo le 25 mai, environ 86 % de la zone cible prévue avait été détruite.


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Traduction des légendes. Une silhouette d’avion représente 500 missions de bombardement. Une silhouette de bombe représente 1 000 tonnes de bombes.
Panneau du haut : Ce qu’ils attendaient. En janvier 1944, alarmés par l'invasion de Tarawa, les officiers de renseignement japonais ont commencé à spéculer sur la probabilité de bombardements contre les Îles Nationales du Japon. Ce tableau a été préparé à partir des informations de base contenues dans leurs estimations de ce qui allait arriver. On constate que le renseignement japonais s’attendait à des raids aériens provenant surtout de Chine, de porte-avions puis, pour une part minime, de nos bases à Midway et aux Aléoutiennes. Le renseignement japonais s’attendait à ce que nos bombardiers délivrent environ 16 000 tonnes de bombes au total.
Panneau du bas : Ce qu’ils ont eu. Ce qui a eu lieu souligne l'incapacité totale des Japonais à prévoir l'ampleur et la direction de l'attaque aérienne lancée contre eux. Ils s'attendaient à ce que 75 % de l'effort de bombardement vienne de Chine, mais ils n'en ont obtenu que moins de 1 %. Ils s’attendaient à recevoir 16 000 tonnes de bombes, ils en ont reçu 168 500.


16. LA BOMBE ATOMIQUE


En deux coups de théâtre coup sur coup, Hiroshima et Nagasaki, la guerre s'est soudain arrêtée. Les soldats du monde entier, bouche bée, ont commencé à se demander comment ce changement soudain et fou des valeurs militaires allait affecter les modèles familiers de conflit. Certaines choses sont claires. La bombe atomique ne va pas, d'un seul coup, anéantir les marines ou les armées de terre, comme cela a déjà été largement proclamé ici ou là. Il ne fait aucun doute qu'elle les modifiera presque au point de les rendre méconnaissables. Mais elles subsisteront. La guerre existe sous de nombreuses formes depuis que les hommes se sont regroupés pour détruire d'autres hommes, mais elle s'est toujours déroulée dans tous les éléments sur lesquels l'homme avait un certain contrôle ou, plus exactement, dans lesquels il pouvait se déplacer librement. Pendant longtemps, toutes les batailles se sont déroulées sur terre. Plus tard, elles se sont déroulées sur terre et sur l'eau. Lorsque l'homme a commencé à exercer un contrôle sur l'air, la guerre s'est également déplacée dans les airs. Il ne reste plus que le "sous-sol". Il se peut que la puissance atomique oblige les futurs stratèges militaires à se battre dans cette dimension également. Mais ils ne se battront jamais dans cette seule dimension.

Étant donné que les explosifs atomiques ont été utilisés pour la première fois par les forces aériennes de l'armée (USAAF) et qu'ils l’ont été de manière conventionnelle (c'est-à-dire sous la forme d'une bombe larguée par des méthodes conventionnelles à partir d'un avion conventionnel), on pourrait penser que l'armée de l’air sera moins impactée par cette nouvelle forme de guerre que celles de terre et de mer. Ce n'est pas le cas. Le simple fait que les bombes atomiques soient au moins 2000 fois plus puissantes que les bombes ordinaires finira par rendre les forces aériennes actuelles obsolètes. Jusqu'à présent, leur capacité à écraser une ville ou un système industriel dépendait largement de leur taille. À l'avenir, une poignée d'avions pourra théoriquement faire le même travail, à condition qu'ils puissent atteindre la cible. L'amélioration inévitable des défenses antiaériennes obligera probablement les futurs bombardiers à voler à de grandes hauteurs et à de grandes vitesses. Les avions que nous connaissons ne peuvent pas voler aussi haut, même avec la charge réduite de l’explosif atomique, ou aussi vite que la théorie l'exige déjà. Si l'amélioration des défenses terrestres ou aériennes n'exige pas une augmentation de l'altitude et de la vitesse, l'efficacité des explosifs atomiques le fera probablement, afin de garantir qu'un bombardier ne soit pas pris dans l'explosion de sa propre bombe. Tout cela implique des changements fondamentaux dans la conception des avions. Il sera peut-être difficile de les concevoir, par exemple il est difficile actuellement de concevoir le moyen d’obtenir une portance adéquate dans des conditions supersoniques avec les profils d’aile actuels.

Considérez un instant l'organisation et l'effort militaires qui ont été nécessaires pour détruire deux grandes villes japonaises. Les deux bombes qui tombèrent sur Hiroshima et Nagasaki furent larguées par le 509ème Escadrille Composite dirigée par le lieutenant-colonel Paul W. Tibbets (NdT – Une escadrille composite était ainsi appelée dans l’USAAF parce qu’elle réunissait à la fois des avions de bombardement et des avions de transport C-47. La 509ème avait été créée spécialement en juillet 1944 pour lancer les futures bombes atomiques. À ce titre, ce fut la toute première unité de bombardement nucléaire). La 509ème faisait partie de la 313ème escadre de bombardement de la 20ème Air Force. La 509ème disposait de son propre groupe de transport de troupes, de son propre détachement de munitions et de son propre service technique dans lequel, fait propre à cette unité, on trouvait une douzaine de scientifiques arrivés à Tinian le 4 juillet 1945. La mission d'Hiroshima fut effectuée le 5 août au soir. Deux B-29 y participèrent, l'un pour transporter la bombe atomique de 4,4 tonnes, l'autre pour servir d'escorte. Elle s'est déroulée sans accroc. Le bombardement fut visuel par un ciel clair. Lors de la deuxième mission, qui visait Kokura ce sont les deux mêmes B-29 qui participèrent mais leurs rôles étaient inversés.  Cette fois, la météo a causé beaucoup de problèmes. Selon le Major Charles W Sweeney, pilote de l'avion transportant la bombe atomique : "Le navigateur a fait une arrivée parfaite sur la cible. Nous sommes passés au-dessus de la cible principale, mais elle était totalement obscurcie par la fumée. Il n'y avait pas du tout de DCA. Nous avons fait un autre passage. Encore une fois, la fumée cachait la cible. J'ai dit au bombardier : "Regarde mieux", mais ça n’a servi à rien. J'ai alors demandé au commandant de marine Frederick Ashworth (le conseiller naval du projet qui était à bord) de monter pour une petite conférence au cockpit. Nous avons décidé de tenter un troisième essai, mais toujours sans succès. J'ai eu une autre conférence avec le commandant Ashworth. Nous étions depuis 50 minutes au-dessus de la cible et nous aurions peut-être à larguer notre bombe dans l'océan. L’essence commençait à manquer. Nous avons décidé de nous diriger vers Nagasaki, la deuxième cible prévue. Là, nous avons effectué 90 % de notre parcours au radar. Ce n'est que pendant les dernières secondes que la météo sur cible fut claire."


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Traduction de la légende. Notre bombe a détruit le centre d'Hiroshima et n'a laissé que quelques structures décharnées au milieu d’un terrain vague qui fut auparavant une ville.


17. LE JAPON ETAIT FINI DE TOUTE FAÇON


Bien que certains Japonais aient essayé de vendre au monde l'idée que ce sont les bombes atomiques des 6 et 9 août et la déclaration de guerre soviétique du 8 août qui ont forcé le pays à se rendre, il existe aujourd'hui de nombreuses preuves du contraire, dont la plupart proviennent de la bouche même de Japonais de haut rang et bien informés. Les témoignages suivants montrent avec une insistance stupéfiante que le Japon était totalement fini en tant que nation capable de mener une guerre avant même le largage de la première bombe atomique. 

La déclaration la plus intéressante et la plus complète provient du prince Naruhiko Higashi-Kuni, s'exprimant devant la diète japonaise le 5 septembre 1945 : "Après le retrait de Guadalcanal, la situation de guerre a commencé à évoluer pas toujours en notre faveur. En particulier après la perte des îles Mariannes, l'avance des forces alliées devint de plus en plus rapide tandis que les raids aériens de l'ennemi sur le Japon proprement dit s'intensifiaient, causant des dommages désastreux qui s'accumulaient jour après jour. La production de fournitures militaires, qui avait été gravement affectée par la réduction de nos moyens de transport maritime, a reçu un coup sévère par cette évolution de la situation de guerre, et des difficultés presque insurmontables ont commencé à se multiplier, à partir du printemps de cette année (...) Avec la perte d'Okinawa et l'augmentation conséquente de la puissance des frappes aériennes de l'ennemi, même les communications avec le continent chinois ont été rendues extrêmement dangereuses (...). En ce qui concerne le transport ferroviaire, les fréquents raids aériens, ainsi que la dépréciation du matériel roulant et de l'équipement, ont entraîné une diminution constante de sa capacité et une tendance à en perdre le contrôle (...) En outre, diverses industries ont souffert directement des raids aériens qui ont causé d'énormes dommages aux usines et diminué l'efficacité des ouvriers. Enfin, la production du pays a diminué à un point tel que toute restauration rapide de celle-ci a été alors considérée comme hors d'atteinte." Le 14 septembre, le prince Higashi-Kuni a encore déclaré : "Le peuple japonais est maintenant complètement épuisé". Il estimait à 15 millions le nombre de chômeurs dans les Îles Nationales et qualifiait l'attaque des Superforteresses de "véritable tournant de la guerre".

Le contre-amiral Toshitane Takata, ancien chef d'état-major adjoint de la flotte combinée japonaise, a également salué les B-29 : "Les Superforteresses ont été le facteur le plus important pour forcer le Japon à capituler. Ces avions ont réduites en cendres les principales villes du Japon, réduisant la production militaire de 50 % et d’autant les moyens de subsistance du peuple japonais."

À propos de l'arrêt soudain de l'activité aérienne nippone après la fin de la campagne d'Okinawa, le général Masakazu Kawabe, commandant des forces aériennes japonaises, a déclaré ce qui suit : "C'est pour combattre l'invasion prévue des Îles Nationales que nous avons amassé tous nos avions sans les exposer après Okinawa. Plus de 5000 avions étaient encore opérationnels à la fin de la guerre. Nous avons refusé tout combat contre vos avions de l’aéronavale, contre les Superforteresses qui détruisaient les villes, et vos chasseurs-bombardiers qui mitraillaient les unes après les autres des cibles sur Kyushu pendant les six dernières semaines de la guerre. Mais pendant que nous attendions sans pratiquement riposter, la guerre aérienne a été portée à de telles extrémités de destruction, y compris l'utilisation des bombes atomiques, que l'empereur a décidé de capituler sur la base de la Déclaration de Postdam." Interrogé sur les Kamikazes, le général Kawabe a répondu : "Nous devions le faire de cette façon. Nous n'avions pas d'autre moyen d'utiliser nos pilotes".

Un des responsables des pompiers du district de Tokyo a déclaré : "Après le premier grand raid aérien incendiaire, j'ai réalisé combien notre système de prévention des incendies était totalement impuissant à endiguer des attaques d'une telle ampleur." Parmi les industriels, le fabricant aéronautique Chickuhei Nakajima a déclaré que le Japon avait été tellement anéanti par les bombardements qu'il lui faudrait de 2 à 5 ans pour se remettre sur pied, mais seulement si le commerce avec les États-Unis reprenait instantanément. Dans le cas contraire, "même le strict nécessaire à la vie des Japonais ne peut plus être produit".

FIN


ouaf ouaf ! bon toutou !!

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#9 [↑][↓]  16-09-2021 12:50:37

pfe81
Copilote
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Date d'inscription: 08-03-2011
Renommée :   

Re: [Réel] 1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

Bonjour Philouplaine,

alors la .... chapeau ... c'est un super travail de documentation qui est inaccessible facilement désormais !
Je le lirais petit à petit car c'est dense !
Merci encore pour tes contribution historiques exceptionnelles !
Je te lis toujours avec un grand plaisir !
Toulouse, centre aéronautique national laugh .

Patrick


Carte mère MSI Z370, Proc i5 8600K , ASUS RTX 3080 10Go, 32Go de mémoire et disque SSD
, meta quest 3 avec cable link, joystick, commande des gaz, palonnier Thrustmaster

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#10 [↑][↓]  17-09-2021 00:25:16

Henry
Copilote
Lieu: Côtes d'Armor
Date d'inscription: 19-11-2010

Re: [Réel] 1946 – Rapport de l’USAAF sur la Victoire Aérienne au Japon

Bonjour Philippe. Passionnant comme d'habitude. Et félicitations pour cet immense travail.
J'ai lu et relu les 2 premières parties. (les friandises se dégustent lentement).

Les américains font quand même l'impasse sur un certains nombre de faits importants, ou présentés de manière partiale ou incomplète. A commencer par la chance qu'aucun de leurs porte-avions n'aient été présents à Pearl Harbour le 7 décembre 41. Sinon,il n'y aurait sans doute pas eu de bataille de la mer de Corail.

Cette bataille de la mer de corail fut certes une victoire stratégique puisqu'elle empêcha la poursuite de l’expansion japonaise mais une victoire tactique douteuse puisqu'il y perdirent un des 2 porte-avions engagé (cz qu'ils "oublient" de préciser) le Lexington et que le deuxième (le Yorktown) fut fortement endommagé contre la perte d'un seul porte-avions léger pour l'ennemi. Ce qui ne laissait sur ce théâtre d'opération que 3 porte-avions (dont le Yorktown) aux américains contre 6 aux japonais.

Concernant Midway, ils oublient de préciser que s'ils ont pu surprendre les japonais qui ne s'attendaient pas à les trouver là, c'est parce qu'ils avaient réussi à casser le code des communications japonaises et savaient où l'attaque allait se porter. Cette invasion était conçue pour attirer les américains en les obligeant à intervenir.
Les japonais ne pensaient pas les voir arriver avant plusieurs jours.
La réparation rapide du Yorktown et sa participation à la bataille reste une prouesse de l'US Navy.
Les japonais perdent les 4 porte-avions engagés (Kaga, Akagi, Hiryu, Soryu)
Ils ont cependant commis une erreur stratégique qu'ils répéteront plusieurs fois durant la guerre en divisant leur force et en envoyant aux Aléoutiennes les porte-avions Shokaku et Zuikaku pour un bénéfice quasi nul, cet attaque étant sensée être une diversion.
Leur présence à Midway, à 6 contre 3 eut surement pu changer beaucoup de choses.

Par contre, l'article met bien l'accent sur la rigidité du commandement japonais qui n'envisageait pas que la bataille puisse se dérouler différemment du plan prévu et ne laissait pas place à l'initiative.

Mais c'est passionnant. J'attaque la suite demain eusa_clapeusa_clapeusa_clap

Dernière modification par Henry (17-09-2021 00:29:44)


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