Bonjour à tous,

Je ne vais pas souvent dans cette partie du forum, aussi, j'ai décidé aujourd'hui, de vous raconter mon tout premier vol sur Alpha Jet, lorsque j'étais EOPN dans l'Armée de l'Air.

A l'époque, jeune élève pilote que j'étais, nous n'attendions qu'une seule chose, mes camarades de promotion et moi même, les vacances. Pourquoi me direz-vous ? Pour aller bronzer ? Et bien non. Pour un EOPN (élève-officier du personnel naviguant), les vacances ça veut dire avant tout PAX, comprenez « places arrière ». Cette pratique tout à fait courante, consistait à faire embarquer un jeune élève pilote en place arrière d'un avion biplace (on a la même chose pour les hélicoptères ou dans le transport) qui partirai théoriquement avec un seul pilote à bord (commandant de base qui part en mission d'entraînement, plastron pour aller faire du combat aérien et j'en passe). Bien entendu, cette pratique a d'abord pour but de sensibiliser tout le personnel technique à vocation aéronautique, et il n'était pas rare, de faire également voler mécaniciens et contrôleurs aérien.

Toujours est-il que pour moi, les vacances approchent, et je n'ai toujours pas de semaine « PAX » de prévu pour ma semaine de permission (les places sont chères, il fallait parfois se battre un peu pour avoir une place arrière, surtout en chasse), et je finis finalement par avoir une autorisation pour un vol en place arrière au 1/8 « Saintonge », en place arrière d'un vol de plastron, pour aller se battre contre un stagiaire pilote de chasse, et son moniteur en place arrière. Je me rend alors à Cazaux, à la fraîche, alors que les mécaniciens, un peu avant l'heure d'embauche, s'activaient déjà à préparer les avions pour les premières patrouilles « rivage » et « robin ». Tout  heureux que je suis, et après les quelques formalités, validation des autorisations siège éjectable je me rend à la perception, pour prendre en compte mon casque, mae-west et pantalon anti-g. Ça se confirme ! Je dépose alors mon matériel que je porterai plus tard. Très stressé que je suis, on m'indique que je dois de suite présenter mes respects au commandant d'escadron, ce que je fait sans perdre une seconde ; on se sent vraiment tout petit dans ce genre de situation, voire les aînés, en train de préparer leurs vols, croiser les moniteurs dans les couloirs, présenter ses respects au chef... Ce sont des moments très intenses. Vient enfin le moment du briefing météo+questions du jour en salle, et là, je me sent tout petit... Je me rend compte du chemin énorme à parcourir pour arriver à leur niveau.

Après ce brief fort intéressant, le commandant d'une des escadrilles me met dans les mains d'un stagiaire, pour aller apprendre et exécuter les procédures d'évacuation place arrière Alpha-Jet, après quoi, il m'est demandé de procéder à un test pratique et écrit des procédures d'évacuation. On ne fait rien au hasard, tout est très minutieux... La tension monte. Je me rend alors en salle d'Ops, où la marqueuse m'informer être programmé pour 12:30... Il est déjà 11:00, direction le mess pour avaler son repas, et c'est reparti pour le moment de vérité !

Et effectivement, tout vas très vite, mon pilote, un chasseur de défense aérienne sur Mirage 2000-5F à l'origine, n’emmène au briefing, pantalon anti-g enfilé, après quoi on descend à la piste pour monter à l'avion. Et là, c'est le grand moment ! Après avoir observé la pré-vol, je monte en place arrière de l'Alpha Jet, pose mon casque sur le rebord de l'habitacle, et soigneusement, je me brêle avec l'assistance du mécanicien de piste, qui vérifie également mon installation. Ça y est, je suis soudé au siège... Le mécanicien retire les sécurités siège, je ferme et verrouille la verrière et c'est parti ! Je branche la radio en place arrière, vérifie le téléphone de bord, on est bon ! Très vite, j’entends et j'observe sur mon tableau de bord la mise en route débuter, et très vite, l'envolée T4 survient, puis stabilisation des paramètres. Checks avant roulage, je met mes mains sur le casque, pour éviter tout mouvement sur le manche, qui pourrait tuer le mécanicien s'il se prenait un coup de gouverne, et dès lors que la tour nous donne l'autorisation, c'est parti, ça roule. J'en avait presque oublié l'autre appareil, concentré sur ce que je vivait : la patrouille « Rivage echo » est au roulage ! Bientôt aligné en 24, on se prépare au décollage...

Déjà alignés, notre avion est leader de la patrouille, et après un coup de casque en avant, manettes en avant, ça pousse ! Ça pousse bien dans le dos, et rapidement, nous sommes en PS en l'air, et je devine les yeux du pilote du second appareil rivés sur nous, pour tenir une form impeccable (il est noté lui!) ça grimpe à vive allure dans les zones de combat R31B au nord de Cazaux au large de Lacanau et on arrive très vite dans notre volume de combat, qui nous avait été réservé par la marqueuse. Je suis stupéfait de la vitesse avec laquelle tout cela se passe, vous imaginez à quel point le jeune EOPN de 20 ans que j'étais à cette époque était heureux ! Sans plus attendre, on passe   Battle (1nm d'écartement un avion par rapport à l'autre), puis Fence-in (système prêt pour le combat), et on part en « fight is on » après croisement des deux appareils. Et là sa tabasse dur.

Mon pilote est plastron pour l'élève du second appareil, et lui en fait voir des vertes et des pas mûres, pendant 3 séquences pour environ 20 minutes de combat aérien. On vole constamment entre 4 et 6 G (+6G étant la valeur maximale autorisée sur Gadget) et je commence rapidement à souffrir, vu que je suis sac de sable. Au début, je prend plaisir à encaisser ces facteurs de charge, puis, je commence à avoir mal un peu partout, et suivre le second appareil devient difficile. Néanmoins, je ne faiblit pas, je ne vomi pas, je m'accroche à mon siège et je subit sans broncher toutes les manœuvres de mon pilote. C'est bien là qu'on voit que faire du combat en simu et en réalité n'a aucun point commun à cause principalement d'un élément : la souffrance physique. Je commence à être fatigué, j'en arrive presque à regarder ma montre, et la jauge carburant, pour vérifier nos éléments, et regarder à combien nous sommes du « Bingo » pétrole (valeur pétrole minimum à laquelle le pilote doit stopper le combat pour procéder au RTB (retour à la base). Et c'est déjà fini...

Après les 3 séquences de combat, le stagiaire pilote du second appareil s'est bien battu, et il doit déjà penser au débrief, auquel je n'assisterai pas, confidentialité personnelle oblige, et c'est bien normal). Nous sommes bientôt en form' rapprochés, pas encore serrée, et je commence à sentir que ça monte... Comme vu au briefing, je passe sur 100% oxy, ça fait du bien, et le pilote me demande « ça va bien ?», je lui réponds « oui ça tient toujours ! » et il me répond, chose à laquelle je ne m'attends pas « tu vois l'autre Alpha Jet en face de nous, et bien tu rassembles ! », je réplique « reçu j'ai les commandes ». Et là, la fierté d'avoir quelques minutes les commandes du Gadget me fait oublier que quelques secondes avant le souffrait sous le coup des facteurs de charge, et je tente, de rassembler, sans trop de mal, sur l'autre appareil, en échelon refusé droite, étagement négatif, comme me l'a demandé mon pilote...

Nous arrivons rapidement sur Cazaux, et le pilote me reprend les commandes, pour se présenter au break 24... Contacts radio effectués, désormais en numéro 1 et  après avoir ajusté notre vitesse aux aérofreins, on s'aligne sur le taxiway principal et on part en virage pour se positionner en vent arrière main droite à mi-piste et on sort les éléments, après avoir réduit la vitesse aux aérofreins, vers 140kts et on s'approche de la finale, alors que le stagiaire de l'autre appareil nous suit... On passe en courte après un virage de type « PTU » C'est alors que mon pilote décide de faire une remise des gaz, et les deux appareils, bien qu'en formation serrée, repartent pour un tour de piste main droite... (Dans ma tête je pense fort « quelle chance!) Et finalement, réalignement, et posé final.

Que d'émotion, et mois de juillet oblige, il fait bien chaud. Nous quittons la 24, passons le point d'arrêt, et le pilote m'indique que je peux entrebâiller ma verrière, ce que je ne vais tarder pas à faire, et je prend une photo (que je vous met en pièce jointe), seul image matérielle que j'ai de ce jour là. Les deux avions arrivent en face de l'ETO, check-list avant extinction, et c'est déjà fini, après 55 minutes de vol... A ce moment là, je suis lessivé, je n'en peut plus... Je descend de l'avion, avec mon pilote, que je remercie d'emblée très chaleureusement, et nous repartons à l'escadron, près avoir signé la forme 11... On remonte à l'escadron, partie pilote, je remercie tous ceux qui m'ont permis de voler ce jour là, et le commandant d'escadron me libère, pour  réintégrer mes effets de vol « chasse ».

Voilà pour ce récit de vol réel, j'espère qu'il plaira à certains d'entre vous, et vous aura fait partager un peu de la vie d'un jeune élève officier du personnel naviguant, dans ce qui restera à jamais pour lui, un moment unique, un moment exquis où la fierté personnelle s'entremêle avec le bonheur d'avoir enfin, un peu réalisé son rêve, dans cette longue route qui mène au métier tant convoité de pilote de chasse !

A bientôt !

Dernière modification par ECV (05-05-2016 14:53:35)